Le long chemin de l’auto-mesure à la télémédecine

Les développements qu’on peut observer ou même imaginer grâce aux objets connectés laissent entrevoir l’amélioration de la prise en charge des patients et de possibles économies. Encore faudrait-il que le corps médical se décide à investir ces nouvelles technologies.

 

Si le marché de la santé connectée est extrêmement animé, ces nouvelles technologies sont encore loin d’avoir envahi les cabinets médicaux. Les applications possibles sont pourtant nombreuses et on peut en attendre une amélioration de la prise en charge pour beaucoup de patients, tout en envisageant des économies potentielles.

« Pour le moment, on ne compte qu’une faible proportion de patients branchés », confirme Jacques Lucas, Vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins, où il occupe la fonction de délégué général aux systèmes d’information en santé. En cause, notamment, le manque d’appétence des professionnels de santé qui, on l’a vu (lire notre enquête « Un marché en pleine expansion » ) « n’apparaissent pas moteurs dans la diffusion de ces outils de mesure ».

Les professionnels de santé semblent encore dans l’expectative, « peut-être un peu sceptiques quant à la fiabilité des ces nouveaux outils », analyse Guillaume Marchand un des fondateurs de la société DMD Santé, spécialisée dans l’évaluation de la qualité des applis santé. Peut-être aussi, selon Jacques Lucas, la profession est-elle encore trop « arc-boutée sur l’idée qu’en dehors du colloque singulier entre le patient et son médecin, il n’y aurait point de salut ».

 

La puissance publique s’affiche favorable

 Quid des pouvoirs publics ? Sollicité par 66 millions d’impatients, le ministère de la Santé affiche son intention d’aller de l’avant : « Les actions du ministère des Affaires sociales et de la Santé en matière de santé mobile s’inscrivent dans un contexte européen et international favorable au développement des applications de santé afin d’adapter le système de santé aux contraintes populationnelles, épidémiologiques et financières ».

Pour le ministère, les usagers entrevoient déjà les bénéfices qui peuvent être tirés de la mise à disposition de logiciels susceptibles de les aider dans le suivi d’un traitement, de leur délivrer des conseils adaptés et de renforcer leur information sur la localisation des services de santé les plus proches de chez eux. « La santé mobile peut ainsi constituer un outil précieux pour favoriser une meilleure implication des patients dans leur prise en charge, inciter à l’adoption de comportements de prévention et faciliter la diffusion de l’éducation thérapeutique ».

Ou encore permettre un meilleur suivi du trouble dont ils sont atteints. Exemple avec l’insuffisance cardiaque, une pathologie très fréquente, première cause d’hospitalisation en France après 60 ans (avec les coûts qu’on imagine) pour environ 3500 décès chaque année. En 2010, la région Auvergne a mis en place Cardiauvergne, un programme de suivi des patients atteints d’insuffisance cardiaque s’appuyant notamment sur l’utilisation de balances connectées.

 

Un programme inédit d’accompagnement thérapeutique

 Objectif de ce programme auquel le CISS Auvergne participe et financé, entre autres, par l’Agence régionale de santé Auvergne et la Commission européenne : le suivi en temps réel de l’évolution du poids des patients, un indicateur essentiel permettant d’anticiper la survenue d’un oedème pulmonaire, principal risque auquel les patients atteints de cette pathologie sont exposés (l’oedème est consécutif d’une rétention d’eau dans les alvéoles du poumon dont la survenue peut être identifié en suivant le poids du patient).

Au 31 décembre dernier, 558 patients bénéficiaient de ce programme d’accompagnement, indique Jean Cassagnes, ancien chef de pôle au service de cardiologie du CHU de Clermont-Ferrand, qui est à l’initiative de cette démarche inédite. « Chaque matin, le résultat de la pesée des patients est télétransmis à une cellule de coordination composée de plusieurs professionnels de santé via un système expert paramétré pour nous alerter en cas de prise de poids trop importante ».

Ce dispositif, couplé à des interventions régulières d’une infirmière à domicile (qui, de son côté, complète le dossier informatique du patient avec des données supplémentaires comme le niveau d’essoufflement, de fatigue, douleurs, etc.) et en coordination avec le médecin généraliste ou encore le pharmacien, permet de réduire la mortalité et la fréquence d’hospitalisation ou sa durée.

 

Nette amélioration des résultats de prise en charge

 « En 2013, nous avons enregistré un taux de mortalité de 12 % là où il est de 30 % dans des conditions classiques de prise en charge. Quant au taux d’hospitalisation après un premier oedème, il est de 13,6 % par an contre 28 à 40 % dans la littérature. »

Les patients qui participent à Cardiauvergne et qu’il est nécessaire d’hospitaliser arrivent par ailleurs dans un état moins grave qu’à l’accoutumée puisque la rétention d’eau a pu être anticipée au moyen du suivi quotidien du poids. D’où une durée de séjour ramenée à 9,2 jours en moyenne (13 jours en l’absence de ce suivi spécifique).

Au-delà des bénéfices évidents pour les patients, cet accompagnement permet de générer d’importantes économies que Jean Cassagnes estime à environ 7000 € par an et par patient. Un montant bien supérieur, note-t-il au passage, à l’investissement requis. Et de conclure : « Ne pas profiter des progrès technologiques pour améliorer la qualité de nos soins serait une grave erreur ».

 

De nombreuses voies encore inexplorées

 Car on peut très bien imaginer que soit dupliqué le programme Cardiauvergne à d’autres territoires ou à d’autres pathologies. Jacques Lucas évoque, autre exemple, la possibilité de suivre à distance la courbe d’effort de patients ayant subi un infarctus de façon à vérifier que le rythme cardiaque ne dépasse pas un certain seuil. Et si c’est le cas, à organiser une consultation de suivi de façon à en étudier avec le patient, graphiques à l’appui, les raisons.

 

Accompagnement thérapeutique, suivi de l’observance des traitements, promotion des bonnes habitudes en santé, développement d’une médecine prédictive et pourquoi pas appui méthodologique aux recherches en épidémiologie (lire encadré ci-dessous)… Les perspectives ne manquent pas. Et bientôt des outils connectés prescrits par le médecin ?

« On y viendra progressivement », estime Jacques Lucas à condition que la fiabilité des appareils ait été dûment vérifiée. A condition également que le corps médical accepte de jouer le jeu. Pour Guillaume Marchand, « La profession devrait être plus pro-active pour accompagner le développement de ces usages. Les outils existent, les patients sont demandeurs et les attendent sur ce terrain ».

 

Encore trop de réticences face à ces nouveaux usages

 « Un monde est en train de basculer, tempête Gilles Babinet, représentant français auprès de la Commission européenne chargée du numérique, dans un billet publié récemment. Si rien n’est fait, la probabilité de voir des gens arriver chez leurs médecins uniquement afin de leur demander de leur rédiger une prescription médicale que leur service numérique de santé aurait concocté, est plus qu’importante ».

«Toutes les régulations, poursuit-il, tentatives d’amélioration à la marge, travaux sur les données médicales se verraient alors anéantis par une chose inattendue : une médecine hors du monde de la médecine, de grande efficacité, mais n’utilisant que marginalement les moyens considérables que nous y consacrons collectivement ».

« Cette crainte n’est pas de la science-fiction. Tout concourt à ce que ces dispositifs émergent d’ici deux à trois ans, peut-être moins. Nos politiques publiques de santé, le conservatisme inexplicable des régulateurs à l’égard des possibilités d’usage des données médicales, seront alors désuètes et les remèdes que l’on évoque régulièrement à l’égard des dysfonctionnements du système de santé auront l’allure d’initiatives ridicules tant leurs portés sembleront alors sous-dimensionnées ».

 

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