Amiante : enfin un procès pénal en France ?

L’année 2013 a mis à rude épreuve les victimes de l’amiante, qui doivent déjà vivre avec le plus grand drame sanitaire de tous les temps et le deuil de leurs proches ou de celui de leurs collègues. Ainsi, en mai dernier, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a annulé neuf mises en examen du dossier de Condé-sur-Noireau.

Les juges réécrivaient ainsi l’histoire de cette catastrophe, qui provoque 3 000 décès par an. Ils niaient les connaissances médicales et épidémiologiques accumulées depuis le début des années 60, considérant que la politique d’« usage contrôlé » de l’amiante avant 1995, prônée par les industriels, était normale et, cerise sur le gâteau, ils attribuaient au Comité permanent amiante un rôle positif en matière de prévention. Pas mal pour une structure de lobbying qui a réussi à retarder l’interdiction de l’amiante jusqu’en 1997 ! La FNATH et l’ANDEVA avaient alors décidé de se pourvoir en cassation.

En décembre, la cour de cassation a heureusement annulé cet arrêt scandaleux de la cour d’appel de Paris, confirmant les mises en examen non seulement des responsables principaux d’Eternit, mais aussi des décideurs publics et des lobbyistes du comité permanent amiante (CPA) dans le dossier de Condé-sur-Noireau. Cette décision de la cour de cassation est venue conforter la position des victimes de l’amiante qui, depuis toujours, ont dénoncé tant l’activité délictueuse des industriels de l’amiante, que celle du CPA en même temps que la carence fautive des décideurs publics. Si les victimes se félicitent d’une telle décision, elles ne peuvent que déplorer les errements de cette chambre de l’instruction qui leur a fait perdre deux ans dans une procédure déjà si longue. Les victimes de l’amiante, l’ANDEVA et la FNATH ont en effet déposé leur plainte il y a presque 20 ans ! Les dirigeants d’Eternit ainsi que les responsables administratifs de l’époque vont pouvoir rendre des comptes à la Justice, comme en Italie. Car l’Italie nous a montré l’exemple en condamnant il y a déjà deux ans à 16 ans de prison les ex-propriétaires du groupe suisse Eternit.

Ce que l’on attend en effet de ce procès pour la France, c’est la démonstration que l’Etat, le Ministre de la Justice et le Parquet s’inspirent de cet exemple italien pour que les victimes de l’amiante et leurs familles ne soient pas toutes décédées ou trop âgées pour que leurs plaintes, déposées, il y a près de 20 ans, aboutissent, enfin, à un procès pénal de l’Amiante en France avec des accusés encore en vie. Au-delà de leur indemnisation, les victimes de l’amiante souhaitent que les responsables de ce drame sanitaire soient condamnés.

Par ce procès pénal tant attendu, les victimes de l’amiante attendent la fin d’une époque.

Une époque où la criminalité industrielle et environnementale de masse n’était pas considérée comme un trouble à l’ordre public.
Une époque où seules les associations de victimes devaient intenter les poursuites, sans aucun accompagnement de l’Etat, malgré les tentatives pour retarder les instructions ou les faire annuler.
Une époque où le Ministère de la Justice ne proposait aucune politique pénale du travail digne de ce nom, soutenue par des moyens suffisants et accompagnée d’objectifs précis.

La route semble maintenant libre pour que les responsables, tous les responsables de la catastrophe sanitaire de l’amiante, dont les fautes ont brisé tant de vies, soient enfin jugés. Si ce n’est en 2014, peut-être en 2015… Mais beaucoup de nos adhérents ne verront pas ce procès, car ils seront décédés bien avant. Morts pour avoir utilisé dans leur travail un matériau miracle, dont les industriels connaissaient la dangerosité depuis des décennies. Et qu’ils ont continué à utiliser au mépris de la santé des travailleurs.

Arnaud de Broca

Arnaud de Broca est secrétaire général de la FNATH, association des accidentés de la vie, qui a contribué avec l’ANDEVA, dont elle est membre fondateur, à convaincre les pouvoirs publics d’interdire l’amiante en 1996. Juriste de formation et membre du conseil d’administration du FIVA au début des années 2000, il continue de suivre et de défendre les victimes de l’amiante et plus généralement de tous les accidentés de la vie pour que leurs droits soient enfin reconnus.

 

 

 

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