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Liste en sus versus égalité d’accès aux soins

Liste en sus versus égalité d’accès aux soins


Un décret publié le 25 mars 2016 au Journal officiel fixe la procédure et les critères d’inscription des spécialités pharmaceutiques sur la liste mentionnée à l’article L. 162-22-7 du code de la Sécurité sociale (liste en sus).


Ce décret porte sur les règles de remboursement aux hôpitaux des médicaments qu’ils administrent aux patients. En effet, alors qu’en principe les hôpitaux reçoivent de la Sécurité sociale pour chaque séjour d’un patient un paiement forfaitaire global avec lequel ils doivent payer les médicaments comme leurs autres charges, ils reçoivent en plus du forfait versé par la Sécurité sociale l’intégralité du coût des médicaments lorsqu’ils sont considérés comme innovants et coûteux.


Le dispositif de la « liste en sus » a été établi dans le but de favoriser l’accès aux traitements innovants et coûteux.



  • Eléments de contexte

Jusqu’à présent, l’accès à cette liste en sus dépendait des recommandations du conseil de l’hospitalisation, commission comprenant principalement des administrations de l’État et l’assurance maladie. Le conseil de l’hospitalisation avait produit une recommandation de principe qui précisait les critères relatifs à l’inscription et à la radiation des indications des médicaments de la liste.


Par arrêté du 21 février 2012 et sur recommandation du conseil de l’hospitalisation, les spécialités ALFALASTIN® et JAVLOR® ont été radiées de la liste « en sus ». Cette radiation était fondée sur l’amélioration du service médical rendu 5 (ASMR 5) de ces produits par rapport aux alternatives thérapeutiques financées dans les tarifs forfaitaire de GHS (groupes homogènes de séjour), conformément à la recommandation, dite « Recommantation cadre », du conseil de l’hospitalisation.


Les laboratoires LFB Biomédicaments et Pierre Fabre Médicaments ont demandé au Conseil d’Etat l’annulation de cet arrêté, au motif notamment que l’obligation de motivation et de publication de critères prévus par la directive 89/105/CEE concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes d’assurance maladie, dite directive « Transparence », n’étaient pas respectés.


L’administration soutenait que cette directive n’était pas applicable aux décisions de refus d’inscription ou d’exclusion de la liste en sus puisqu’elles n’avaient pas pour effet d’exclure les produits de la liste des produits couverts par l’assurance maladie, les médicaments demeurant pris en charge par les forfaits hospitaliers.


S’agissant d’une question déterminante pour la solution du litige et présentant une difficulté sérieuse, le Conseil d’Etat a donc saisi la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).


Le 16 avril dernier, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé que :

« L’article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie, doit être interprété en ce sens que l’obligation de motivation prévue aux points 3 et 5 de cet article est applicable à une décision qui restreint les conditions de remboursement ou réduit le niveau de prise en charge d’un médicament en l’excluant de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge par les régimes obligatoires d’assurance maladie en sus des prestations d’hospitalisation dont la prise en charge est assurée dans le cadre de forfaits de séjour et de soins. »

La CJUE considère donc que les décisions d’inscription, de radiation et de non inscription des médicaments sur la liste en sus doivent être prises sur la base de critères objectifs et vérifiables. En outre, en vertu du point 3 de l’article 6 de la directive, ces critères doivent être publiés et communiqués à la Commission européenne.


Le Conseil d’Etat statuant au contentieux, s’appuyant sur la décision de la CJUE, a prononcé par plusieurs décisions en date du 17 juin 2015 l’annulation des arrêtés de radiation des spécialités ALFALASTIN® (décision n° 358498) et JAVLOR® (décision n° 363164), au motif que la Recommandation cadre du conseil de l’hospitalisation ne constituait pas des critères liant les décisions des ministres puisque ces derniers pouvaient s’écarter des recommandations du conseil, entraînant de fait la réintégration de ces spécialités sur la liste en sus.


Le Gouvernement a en conséquence décidé de publier un décret en Conseil d’Etat fixant la procédure et les critères d’inscription des spécialités pharmaceutiques sur la liste mentionnée à l’article L. 162-22-7 du code de la Sécurité sociale, conformément à ce qu’à jugé le Conseil d’Etat.


 

  • Que prévoit le décret ?

Ce décret en Conseil d’Etat s’impose en effet pour fixer :


• la procédure d’inscription et de radiation (modalités de dépôt de dossier, délais, …) des médicaments sur la liste en sus. Incidemment, le décret prend en compte la suppression du Conseil de l’hospitalisation, qui interviendra à compter du 1er juillet 2016 en application du décret n° 2015-1469 du 13 novembre 2015 portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif,


 les critères sur lesquels seront à l’avenir fondées les décisions prises par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale relatives à la liste en sus (inscription, non inscription et radiation de médicaments de cette liste).

 

Conformément à l’article 6 de la directive « transparence », ces critères devront être objectifs et vérifiables.



Conditions pour l’inscription des médicaments sur la liste en sus :


1 – Le médicament doit être majoritairement utilisé à l’hôpital

dans le cas contraire, si son utilisation est marginale à l’hôpital, il a vocation à être remboursé sur la liste des médicaments remboursés en ville et on peut considérer que sa faible utilisation à l’hôpital pourra être absorbée par les tarifs des séjours.


2 – Le médicament doit apporter un service médical rendu (SMR) majeur (SMR 1) ou important (SMR 2)

la Commission de la Transparence de la Haute Autorité de Santé (HAS) apprécie le service médical rendu du médicament. Ce « SMR » doit être majeur ou important pour justifier d’une prise en charge dérogatoire.


3 – Le médicament doit apporter une amélioration du service médical rendu (ASMR) majeure, importante ou modérée (ASMR 1 à 3) par rapport à l’existant

de la même façon cette ASMR est appréciée par la HAS et ce critère est un marqueur de l’innovation du produit.


Dans les cas où l’amélioration du service médical rendu a été évaluée comme mineure (ASMR 4), le médicament peut être inscrit sur la liste en sus à la condition que le médicament traite une maladie pour laquelle on ne dispose d’aucune autre alternative (qu’il s’agisse d’une alternative médicamenteuse ou chirurgicale) et s’il est estimé que ce médicament a un intérêt de santé publique par la HAS. Mais par quelle instance  au sein de celle-ci ?


A noter qu’en application du principe d’égalité de traitement des produits comparables, lorsqu’une indication reçoit une ASMR 4 ou 5 et que ses comparateurs sont d’ores et déjà inscrits sur la liste en sus, l’indication en question sera également inscrite.


4 – Le coût de ce produit n’est pas compatible avec les tarifs des séjours concernés : il dépasse 30% du montant du forfait et ne peut donc pas en moyenne être couvert par ce montant.


Ces critères sont cumulatifs.


Conditions pour la radiation d’un médicament de la liste en sus :


1 – La réévaluation du SMR et de l’ASMR par la HAS aboutissent à ce que les conditions d’inscription ne sont plus remplies


2 – Le prix du produit a suffisamment baissé (notamment lorsqu’il est génériqué ou que des médicaments biosimilaires arrivent sur le marché) pour que sa prise en charge soit compatible avec les tarifs des séjours pour les hôpitaux.


3 – L’arrêt de la commercialisation d’un médicament



  • Conséquences

Des médicaments présentant un ASMR 1, 2 ou 3 pourront être inscrits sur la liste en sus. Les médicaments ASMR 4 (mineure) ne le seront que si ils traitent une maladie pour laquelle on ne dispose d’aucune autre alternative (qu’il s’agisse d’une alternative médicamenteuse ou chirurgicale) ET s’il est estimé que ce médicament a un intérêt de santé publique.


Cette double condition est de nature à exclure un certain nombre de médicaments utiles de la liste en sus.


A titre d’exemple, le Bélatacep (nouveau médicament anti-rejet qui présente de réels avantages pour les personnes recevant une greffe rénale) a un ASMR 4 mais, selon la HAS, ne répond ni à l’un ni à l’autre des critères.


Dans les faits, la HAS évalue peu l’intérêt de santé publique (comme l’a d’ailleurs fait remarquer Dominique Polton dans son rapport sur la réforme  des modalités d’évaluation des médicaments, remis à la ministre en novembre 2015) qu’il est d’ailleurs difficile de définir.


Ces deux critères cumulatifs auront pour conséquence de limiter l’accès aux médicaments de rupture (innovation majeure) alors même que la majorité des progrès thérapeutiques est incrémentale.


Du fait de la non inscription (ou de la radiation) sur la liste en sus, certains hôpitaux ne le proposeront pas à leurs patients, tandis que d’autres (ceux qui en ont les moyens) les financeront en partie sur leurs fonds propres (une partie du prix étant pris en charge dans le cadre des GHS). Pour exemple, 400 patients en France accèdent aujourd’hui au Belatacep (principalement en Ile-de-France). Des établissements fonctionnant donc « à la fortune du pot », c’est ainsi que certains patients auront la chance d’accéder à des traitements innovants ici alors qu’ils en seront privés ailleurs.

 

 


Favorable à la maîtrise des dépenses de médicament, le CISS rappelle que l’urgence absolue porte sur la fixation de leurs prix.


Conscient de la nécessité de maîtriser les dépenses de santé non pertinentes et également les excès de prescriptions des médicaments les plus onéreux pour traiter certaines pathologies, le CISS est favorable à la clarification des critères d’inscription et de radiation de la liste en sus.


Le CISS l’aurait d’ailleurs utilement rappelé si une véritable phase de concertation avait eu lieu pour permettre aux usagers de donner un point de vue éclairé sur l’accès aux innovations.


Plus grave, l’accès aux traitements se décidera, plus qu’aujourd’hui encore, en fonction de la santé financière de l’hôpital, de la période d’exécution du budget ou des tensions que l’établissement pourrait exercer sur la variable de ses ressources humaines pour trouver les marges de financement, ceci alors même que le médicament a été admis au remboursement. Et à cela,  jamais la ministre ne pourra déroger faute de disposition le prévoyant dans le décret qui vient d’être publié.


Quoi qu’il en soit, une mesure de cette importance aurait justifié qu’une véritable étude d’impact soit conduite, notamment sur l’inscription et la radiation des médicaments présentant une ASMR 4.


Le CISS rappelle, inlassablement depuis l’affaire du Sofosbuvir, que les problèmes d’accès au traitement s’accentuent considérablement et notamment du fait des prix exorbitants de certains médicaments revendiqués par les firmes.

Faute d’agir sur les prix, les pouvoirs publics font donc le choix de priver certains patients de l’égal accès aux innovations. Alors même qu’ils disposent des contrats de bon usage, ces outils à même de juguler les prescriptions abusives de la liste en sus, pour peu que l’on s’en donne la peine.

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