Le dernier numéro de Questions d’économie de la santé (1) vient de paraître. Il porte sur les « distances et temps d’accès aux soins en France métropolitaine ».
Très instructif et relativement tranquillisant a priori car on y lit que 95% de la population a accès à des soins de proximité en moins de 15 minutes et que la plupart des médecins spécialistes libéraux et les équipements médicaux les plus courants sont accessibles en moyenne à moins de 20 minutes par la route. Concernant les soins hospitaliers courants, 95% de la population française peut y accéder en moins de 45 minutes, les trois quarts en moins de 25 minutes.
Est-ce à dire que l’égalité d’accès aux soins et la sécurité des usagers sont garanties ?
- L’estimation des distances et des temps d’accès aux soins doit être lue à la lumière de la densité médicale, territoire de santé par territoire de santé car des déserts médicaux peuvent exister là où une offre de soins est disponible en moins d’un quart d’heure.
La nécessité de respecter le principe d’égalité recommande en effet la prise en compte de critères « principaux » : la densité et l’activité médicale (2).
Ainsi, par exemple, lorsque plus de la moitié des médecins du territoire a une activité (Consultations + Visites) supérieure de 30% à 50% à l’activité moyenne nationale et que la densité des praticiens est inférieure de 30% à la moyenne nationale, ce territoire est considéré comme déficitaire.
Ces références peuvent être adaptées lorsque le territoire comporte des particularités dont les Agences régionales de santé doivent tenir compte (vallées de montagnes enclavées ; part des personnes âgées de plus de 75 ans, dès lors que leur présence serait supérieure de 10% à la moyenne régionale ; classement de certains territoires en zones de revitalisation rurale ; zone franche urbaine ou zones de redynamisation urbaine ; etc…).
Rappelons que la densité médicale est inférieure à 203 pour 100 000 habitants (inférieure de 30% par rapport à la densité nationale) dans huit départements :
- Eure (172)
- Mayenne (186,7)
- Ain (188,8)
- Meuse (189,8)
- Haute-Loire (191,1)
- Indre (195,4)
- Lozère (199)
- Orne (203,6)
Dans certains de ces départements (l’Ain et la Meuse, par exemple), la densité médicale, tous professionnels confondus (généralistes, omnipraticiens, spécialistes) est en baisse constante depuis 2005. Mais le nombre de médecins est stable, voire en légère progression.
Ainsi, dans certains départements, la densité médicale peut avoir fortement diminué sans que la distance ou le temps d’accès ne se soient accrus pour autant.
Corrélativement, un médecin peut être accessible en moins de 15 minutes mais avec un délai d’attente élevé du fait de la désertification médicale ou de l’importance des besoins de soins.
- Par ailleurs, si les distances et temps d’accès aux soins semblent aujourd’hui raisonnables, ils pourraient s’accroître considérablement en l’absence de rééquilibrage des installations sur le territoire. Car en de nombreux endroits, la raréfaction de l’offre médicale n’est pas une perspective lointaine : les médecins en exercice vieillissent et leur renouvellement est loin de s’opérer. La tranche d’âge des moins de 40 ans diminue de 12% alors que celle des plus de 50 ans augmente de 53%. L’âge moyen des médecins en activité totale est de 51 ans (respectivement 48 ans pour les femmes et 52 ans pour les hommes).
Un départ en retraite massif est prévisible dans les 5 prochaines années. Le taux de médecins généralistes exclusivement libéraux âgés de 55 ans et plus est de 42% en moyenne pour la métropole, 10 régions ayant un taux égal ou supérieur. Celui des médecins spécialistes en activité régulière est de 40%, 14 régions ayant un taux égal ou supérieur.
Nombre de cabinets médicaux ferment ainsi au départ en retraite du médecin en exercice (3).
- Il convient de relever un court paragraphe de cette étude, essentiel à la démonstration de la raréfaction des médecins de secteur 1 comme atteinte à l’égalité d’accès aux soins :
« En Ile-de-France, le temps moyen d’accès à un praticien de secteur 1 augmente pour la plupart des spécialités (temps moyen multiplié par deux ou plus pour l’accès aux cardiologues, hépato-gastro-entérologues, gynécologues et pneumologues). C’est également le cas en Rhône-Alpes, notamment pour l’accès aux oto-rhino-laryngologistes et aux urologues ».
Lors d’une enquête réalisée en 2010, le CISS, la FNATH et l’UNAF avaient, de la même façon, démontré que l’accessibilité à certains spécialistes pratiquant des tarifs sans dépassement était difficile dans certaines zones (4).
L’indisponibilité d’offre médicale en secteur 1 constitue un facteur d’inégalité déterminant mais elle est si tendancielle que ni la convention médicale ni les pouvoirs publics ne parviennent à la corriger.
- Enfin, le problème de la permanence des soins reste entier. En de nombreux endroits et à certaines heures, le cabinet médical est bien accessible en moins d’un quart d’heure mais les usagers se cassent le nez sur une porte fermée.
Les distances et temps d’accès aux soins sont donc à relativiser au regard de la disponibilité de l’offre : un cabinet médical fermé présente presque aussi peu d’intérêt qu’un cabinet médical saturé.
Et tant que l’offre médicale en secteur 2 se développera aux dépens de l’activité aux tarifs opposables dans certaines spécialités et dans certains départements, les indices de distances de temps d’accès aux soins ne préjugeront en rien l’égalité d’accès aux soins.
(1) « Distances et temps d’accès aux soins en France métropolitaine », par Magali Coldefy, Laure Com-Ruelle, Véronique Lucas-Gabrielli (Irdes), Questions d’économie de la santé, n°164, avril 2011.
(2) Circulaire DHOS/03/DSS/UNCAM n°2005-63 du 14 janvier 2005 relative aux orientations propres à l’évolution de la répartition territoriale des professionnels de santé libéraux et aux modalités opérationnelles de définition des zones géographiques en vue de l’attribution d’aides aux médecins généralistes.
(3) Définition d’un nouveau modèle de la médecine libérale, mission confiée au Docteur Michel Legmann, président du Conseil national de l’Ordre des Médecins, avril 2010.
(4) Journée d’action contre les déserts médicaux, Actes CISS-FNATH-UNAF, novembre 2010