Mayotte : les enjeux d’une reconstruction

Le projet de loi d’urgence pour Mayotte a été présenté ce mercredi 8 janvier en Conseil des ministres. Ce premier train de mesures, notamment de reconstruction, est-il adapté ? Eléments de réponse avec la présidente de France Assos Santé Mayotte, Antufaty Hafidhou qui s’inquiète évidemment de la question de l’accès aux soins, mais aussi de deux déterminants de santé majeurs pour la population : le logement et l’éducation.  

Un mois quasi après les ravages causés par le cyclone Chido, Mayotte se couvre à nouveau de tôles ondulées multicolores. Partout où le sol le permet – c’est actuellement la saison des pluies – ces morceaux de métal, récupérés plus ou moins légalement, là où les rafales de vent les ont dispersés, ont repris du service, seul moyen de retrouver un toit pour des milliers d’habitants de l’archipel qui ont tout perdu le 14 décembre dernier, sous la violence de l’ouragan. « Les bidonvilles sont revenus à 99 % et les personnes sont même plus nombreuses à s’y entasser qu’auparavant », rapporte Antufaty Hafidhou, la présidente de la délégation de France Assos Santé Mayotte.  

Des villages de bidonvilles à ciel ouvert

Ce constat met à mal les exhortations du Premier ministre, François Bayrou, qui lors de son déplacement dans l’océan Indien, fin décembre, avait annoncé vouloir empêcher la reconstruction des bidonvilles. Pour autant, aucune disposition en ce sens ne figure dans le projet de loi d’urgence présenté par le gouvernement Bayrou, ce 8 janvier, en Conseil des ministres. Composé de 22 articles, ce texte, élaboré en réponse au contexte de « calamité naturelle exceptionnelle », décrété le 18 décembre dernier par l’Etat, a pour objectif d’accélérer la reconstruction des infrastructures, écoles et logements, notamment en dérogeant pendant deux ans aux règles d’urbanisme et des marchés publics.

De toute évidence, les populations des bidonvilles n’ont pas attendu pour remettre debout leurs abris. Bidonvilles, par ailleurs plus nombreux, que ce que les Mahorais pouvaient imaginer. La destruction de toute la végétation, arbres, cultures, etc., a redessiné le paysage et mis à découvert la misère. « Il y a au moins une dizaine de villages-bidonvilles, dont on ne soupçonnait pas l’existence, ce qui pose la question des aides envoyées. Si celles-ci sont calculées sur la base du dernier recensement, elles ne seront pas suffisantes. On sait très bien que celui-ci est faussé et que le nombre réel d’habitants représente au moins le double », indique Antufaty Hafidhou qui évoque le risque « sûr et certain » de famine et craint le retour de pillages et de violences.1 « Avant le passage du cyclone, l’alimentation des Mahorais était assurée à 40 % par les cultures vivrières. Il ne reste plus rien aujourd’hui », explique-t-elle, avant d’ajouter que le prix des denrées a de surcroît considérablement augmenté : « Une boîte de couscous de 900 g coûte désormais 10,90 euros ».

Le besoin d’hôpitaux de proximité

L’autre préoccupation majeure concerne le secteur sanitaire. Si les routes ont été déblayées, permettant les déplacements, l’électricité n’a été rétablie qu’à 75 %. A priori, tous les foyers mahorais devraient à nouveau être équipés d’ici à la fin de ce mois. En attendant, l’une des missions des associations est de parer au plus pressé. « Récemment, 6 personnes d’un même village du sud de l’archipel m’ont appelée parce que leurs dispositifs médicaux, à base d’électronique, ne pouvaient plus fonctionner, faute d’électricité. Dans ce cas, nous, les associations, nous prévenons le fournisseur, Electricité de Mayotte, pour qu’il fasse le nécessaire le plus vite possible », raconte Antufaty Hafidhou. Pour la première fois depuis le 14 décembre dernier, nos associations membres à Mayotte ont réussi à se retrouver. C’était le mardi 31 décembre. Lors de cette première réunion de crise, elles ont défini un certain nombre de priorités adressées au préfet. « L’un des points très délicats concerne l’accès aux soins, souligne Antufaty. Un seul hôpital de campagne a été installé, à Mamoudzou, et ça ne suffit pas pour soigner tous ceux qui ont été blessés lors de l’ouragan et/ou qui ne peuvent pas se déplacer. Nous demandons aux autorités de monter des hôpitaux d’urgence de proximité ». Or, nombre de médecins – et d’enseignants – sont partis. « Avant le cyclone, nous étions déjà un désert médical, aujourd’hui, c’est encore pire », résume-t-elle. Autre point noir : l’eau courante. Au robinet, elle sort couleur rouille, toujours non potable. Or, le ravitaillement des familles est nettement insuffisant, par rapport aux besoins. « Les familles de 3 à 4 personnes reçoivent un pack de 6 bouteilles d’eau pour une semaine », témoigne notre présidente. Quant aux déchets qui s’entassaient dans les communes, ils sont progressivement ramassés. En attendant, c’est un risque supplémentaire d’infections et de complications, notamment par rapport aux petites plaies, coupures causés par les tôles. François-Xavier Bieuville, le préfet de Mayotte, n’a, pour l’instant, pas encore répondu aux associations qui l’ont interpellé.

A noter que, dans une lettre adressée cette semaine au ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, le sénateur de Mayotte, Saïd Omar Oili, demande l’ouverture d’une enquête concernant le bilan des disparus ainsi que le nombre de personnes amputées, suite au passage du cyclone. Actuellement, le bilan officiel fait état de 39 morts et de quelque 5 000 personnes blessées. « On compte plus de tombes que le nombre de morts déclarés », affirme Antufaty Hafidhou.

Comme avant…en plus grave

L’école pourra-t-elle reprendre le 20 janvier, comme programmé, après un premier report d’une semaine ? Entre les toits arrachés, voire les bâtiments dévastés, l’électricité pas encore rétablie sur tout le territoire et les enseignants qui manquent, la présidente de France Assos Santé Mayotte en doute fortement : « Comment va-t-on gérer cette rentrée ? » Là est la question. « D’ordinaire, les cours se font selon un système de rotation : les uns viennent en classe le matin, les autres l’après-midi. Dans le contexte qui est le nôtre, la moitié des élèves ne pourra pas reprendre l’école, faute de salles en nombre suffisant », développe-t-elle.

Education, accès aux soins, qualité de l’eau, ressources alimentaires… Pour Antufaty Hafidhou, la réalité est la même qu’avant le passage de Chido, en plus grave : « Aujourd’hui, on n’a plus le droit de refaire ce qu’il y avait à Mayotte, il est temps de reconstruire Mayotte, en prenant en considération la réalité mahoraise ».

Projet de loi d’urgence : des lacunes et des inquiétudes

Le projet de loi d’urgence présenté, hier, répond à certaines urgences, notamment pour reconstruire et construire rapidement. Il comporte néanmoins des manques et des préoccupations. Parmi ces dernières, le fait que des règles d’urbanisme puissent être contournées pour reconstruire ou construire vite des bâtiments, à l’instar des écoles. Contourner des règles pourquoi pas, mais contourner les règles d’accessibilité comme indiqué dans l’exposé des motifs de l’article 4 nous semble particulièrement malvenu. Il serait très fâcheux qu’un plan qui a été baptisé « Mayotte debout » permette la construction ou reconstruction de bâtiments non accessibles aux personnes qui ne peuvent pas se tenir debout…Enfin, le premier chiffrage évoqué par Manuel Valls, ministre d’Etat des Outre-mer à quelques centaines de millions d’euros nous paraît très en-deçà des besoins du territoire en matière de santé, d’accès à l’eau, de logement, d’éducation, de transport…besoins déjà très prégnants et urgents avant le passage de Chido.   

 

1 Ce 8 janvier, le ministre d’Etat des Outre-mer, Manuel Valls, a annoncé, lors de sa présentation du projet de loi urgence à la presse, qu’un nouveau recensement sera mené par l’Insee, avant de promettre que la question de l’habitat illégal, absente du projet de loi, sera discutée lors du débat parlementaire, espérant que des mesures pourront alors être ajoutées. « Nous ne laisserons pas Mayotte redevenir une île bidonville », a-t-il tonné.

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