Ce 30 mars se tient la Journée Mondiale des troubles bipolaires. A cette occasion, Argos 2001, association d’aide aux personnes atteintes de troubles bipolaires et à leur entourage, organise ce samedi un colloque à la Faculté Sorbonne Santé-Université, à Paris. Thème retenu : Troubles bipolaires et parentalité. La matinée s’intéressera aux parents atteints de troubles bipolaires et l’après-midi à l’impact sur les enfants, avec à chaque fois alternance de témoignages et d’interventions d’experts. Pour en savoir plus sur les enjeux de cette 11e édition, on fait le point avec le Dr Eliane Melon, ancien médecin anesthésiste-réanimateur spécialisée en neurosciences et cheffe de projet à Argos 2001, association membre de France Assos Santé.
Pourquoi le choix de la parentalité pour cette 11e édition ?
Eliane Melon – Envisager d’avoir un enfant ou devenir parent quand on est soi-même atteint d’une maladie psychique, quelle qu’elle soit, demande réflexion. Si au siècle dernier, on savait peu de choses sur les troubles psychiques, dont font partie les troubles bipolaires, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La physiopathologie à l’origine de la maladie est bien mieux comprise, comme les mécanismes génétiques et environnementaux, qui président à ses manifestations cliniques. Chez une personne qui a un parent au premier degré atteint d’un trouble bipolaire (père, mère, frère, sœur), le surrisque de développer la maladie est de 10 %. Les connaissances actuelles valent pour les futurs parents.
Et qui dit parentalité dit parents, bien sûr, mais aussi enfants…
Eliane Melon – Effectivement, d’où le découpage de notre colloque en 2 sessions qui permettront de mieux comprendre le vécu de chacun, selon que l’on est un parent ou un enfant. L’enquête 2025 en « double face », avec un questionnaire destiné aux parents touchés par la maladie et un second aux enfants sur l’impact ressenti, révèle surtout la difficulté de vivre avec un trouble bipolaire ou de vivre avec un parent atteint de ce trouble. Au cours de cette journée, l’intervention de psychiatres-chercheurs, pédopsychiatre, et d’une psychologue clinicienne de l’UNAFAM, tous spécialistes de renom dans le domaine de la parentalité et /ou de la génétique, permettront d’apporter des réponses aux différentes questions soulevées
Est-ce si aisé d’évoquer le thème de la parentalité quand il concerne des personnes qui présentent des troubles d’ordre psychiatriques ?
Eliane Melon – Non, ce sujet est relativement tabou. Néanmoins, les parents atteints de troubles bipolaires ont été nombreux à répondre à notre enquête, au nombre de 180. Cela prouve à quel point ils sont conscients de l’importance d’aborder franchement ces sujets pourtant si intimes et complexes. Aborder tous les sujets concernant les troubles psychiques est primordial, car c’est en en parlant que l’on fait reculer la peur et la méconnaissance, qui est à l’origine de la stigmatisation des troubles psychiques et même de l’auto-stigmatisation. C’est aussi notre mission, en tant qu’association d’aide aux personnes atteintes de troubles bipolaires et à leur entourage. Les 4 témoins, 2 parents, 2 enfants adultes, exprimeront leur vécu de parent le matin, d’enfant l’après-midi.
Outre la part génétique, quelles sont les problématiques liées à la parentalité ?
Eliane Melon – D’abord, la notion de parentalité a beaucoup évolué au cours des dernières décennies, tout comme le regard porté sur cette maladie. La connaissance des troubles bipolaires ainsi que leur prise en charge globale ont beaucoup progressé. Avoir un enfant quand on est atteint de troubles bipolaires aujourd’hui est plus aisément envisageable. Il existe des modalités d’accompagnement des jeunes femmes notamment font consensus : c’est le dispositif CICO, pour Consultation d’information, de conseil et d’orientation, apparu en 2011. Ce dispositif interdisciplinaire qui regroupe des psychiatres, addictologues, obstétriciens et pédiatres a pour objectif de faire au mieux pour la mère atteinte d’un trouble bipolaire et pour l’enfant dans les 1 000 premiers jours. La période périnatale (conception, grossesse, naissance et l’année suivant la naissance), est identifiée comme à risque de déséquilibre de la maladie psychique
C’est-à-dire ?
Eliane Melon – Il faut savoir, par exemple, que certains psychotropes chargés de réguler l’humeur peuvent entraîner des malformations du fœtus…Mais arrêter les médicaments, sans accompagnement, peut provoquer une déstabilisation de la mère (phase hypomaniaque ou maniaque, mais aussi dépression profonde). Pour toutes ces raisons, le travail de suivi devrait se faire idéalement dans le cadre d’une prise en charge coordonnée. Il faut savoir que la naissance d’un enfant peut parfois déclencher chez certaines femmes ayant une vulnérabilité génétique, ou non identifiées comme porteuses d’un trouble bipolaire, un premier épisode, dépressif ou maniaque. Pour autant, on peut avoir des enfants quand on a un trouble bipolaire, et les élever aussi bien que les autres mères.
L’accompagnement doit être familial…
Eliane Melon – Oui, c’est essentiel, d’où les 1000 jours pour entourer la mère, l’enfant concerné et le père. Dans notre enquête, nous avons appris que plusieurs pères atteints de troubles bipolaires ont été déstabilisés, parfois gravement par l’arrivée d’un enfant, même s’il arrive plus souvent que ce soit la mère, avec parfois la nécessité d’une hospitalisation. Reste l’après. Si la période périnatale est bien prise charge, il y a obligatoirement un moment où la famille se recompose et doit faire face aux mêmes difficultés qu’un jeune couple avec un bébé, parfois des frères et sœurs, et le parent atteint doit continuer à gérer sa maladie dans ce contexte. Ce qui est difficile pour une personne touchée par des troubles bipolaires, c’est de vivre au quotidien cette maladie chronique, de redoubler d’attention, de discipline et de précautions dans les périodes à risques, fragilisées par les situations stressantes, à l’instar de la maternité et la paternité
Existe-t-il des recommandations de bonnes pratiques ?
Eliane Melon – Concernant les enfants de parents atteints de troubles bipolaires, il existe une vulnérabilité génétique, mais ce n’est pas suffisant pour développer un trouble bipolaire. Les facteurs environnementaux ont un rôle important dans la survenue des troubles psychiques. Préserver les enfants de tout traumatisme est une utopie. Même si l’on sait que nombre de personnes atteints de troubles psychiques graves (troubles bipolaires, schizophrénie, autisme) ont été plus souvent victimes de maltraitance dans l’enfance (que ce soit d’ordre physique psychologique et/ou sexuel) que la population générale. En revanche, la consommation de cannabis, en cas de vulnérabilité génétique, surtout à l’adolescence, peut entraîner la manifestation de troubles bipolaires. L’occasion de rappeler que le neurodéveloppement dure jusqu’à 25 ans.
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