Covid-19 : cinq ans après, des patients toujours en souffrance

Dans les premiers mois de l’année 2020, la pandémie nous plongeait dans un état de sidération : impuissants face à un virus inconnu et traumatisés par l’expérience du confinement et la violence des scènes vécues dans les hôpitaux. Cinq ans après, le virus est toujours là. Banalisé, il n’en demeure pas moins dangereux.

Elle a 20 ans, et malgré son jeune âge, qui ne faisait a priori pas d’elle une patiente à risques, Léna a vu sa vie basculer avec le Covid. Avant la pandémie, elle était une adolescente pleine d’énergie, sportive et bonne élève. Elle est aujourd’hui une jeune femme diminuée, qui ne s’est jamais remise de l’infection qu’elle a contractée en février 2020, et qui ne peut poursuivre ses études qu’avec des aménagements spécifiques. « Elle souffre d’un Covid long, résume sa maman, l’épuisement a persisté après l’infection, et des symptômes multiples sont apparus, mêlant des douleurs articulaires, un brouillard mental et des migraines, en passant par des troubles du sommeil, des nausées et des problèmes dermatologiques. » Le diagnostic n’a été posé qu’en 2023, après trois ans d’errance médicale.

« Beaucoup de patients se heurtent malheureusement à une forme de déni, souligne Céline Grassien, bénévole au sein de l’association de patients atteints de Covid long #AprèsJ20. On a tendance à les considérer comme des malades imaginaires. Même si l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) a reconnu le Covid long dès 2020, la maladie reste largement méconnue, elle peut pourtant toucher n’importe qui. » De fait, il a fallu attendre avril 2024 pour que la Haute Autorité de santé (HAS) publie le parcours de soins « Covid long » des plus de 15 ans, un guide d’une quarantaine de pages qui détaille les symptômes prolongés de la Covid-19 ainsi que la prise en charge recommandée, selon la nature des troubles et la complexité des situations. On attend aujourd’hui la feuille de route pour les enfants, encore plus invisibilisés, rédigée avec la collaboration des associations #ApresJ20 et Covid Long Enfants (CLE). « Les recommandations existent désormais, et c’est une bonne chose. Malheureusement, on manque de centres de référence compétents pour recevoir les patients, l’offre est très hétérogène selon les régions », regrette le Pr Dominique Salmon-Ceron, infectiologue à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Paris et spécialiste du Covid long.

Soulager à défaut de guérir

Le public concerné est pourtant loin d’être confidentiel. Dès juin 2022, Santé publique France chiffrait à 4 % de la population, soit plus de deux millions, le nombre de Français atteints d’affection post-Covid. Combien sont-ils aujourd’hui ? « Il y a tous ceux qui ont un Covid long résultant des premières vagues, et ceux qui s’agrègent d’année en année, explique Céline Grassien. Comme le virus circule toujours, et qu’on nen guérit pas encore, c’est une communauté qui grandit, et d’autant plus que le risque de développer un Covid long augmente avec le nombre d’infections contractées ». D’après l’association #AprèsJ20, 300 000 patients souffriraient aujourd’hui d’un Covid long sévère, les empêchant souvent de travailler : « Ces chiffres devraient interpeller car ils ne sont pas dénués de conséquences socio-économiques », insiste Céline Grassien. « Quelques cas de guérisons sont toutefois enregistrés », tempère le Pr Salmon-Ceron. En outre, précise-t-elle, « les programmes de rééducation sont utiles car ils permettent la plupart du temps aux patients de récupérer une partie de leurs capacités. On s’efforce aussi de soulager les symptômes mais on ne dispose pas à proprement parler de traitement qui combatte la maladie à la racine. De ce fait, même si les cas très sévères ne sont pas majoritaires, beaucoup de patients doivent apprendre à vivre avec des séquelles résiduelles ». 

Les atteintes sont d’intensité et de nature très variable, avec 200 symptômes répertoriés par l’OMS, qui vont de l’arythmie cardiaque à des troubles gastriques, en passant par une grande fatigue, des douleurs, des atteintes cognitives ou des éruptions cutanées. Quant aux causes du Covid long, elles restent à élucider. « On a compris que le virus persistait dans l’organisme, comme c’est le cas pour d’autres infections virales à l’origine de syndromes de fatigue chronique, comme le virus Epstein Barr ou le virus Ebola, mais on est loin d’avoir tout découvert », admet le Pr Salmon-Ceron. Les conséquences de cette persistance du virus sont très diverses car il peut perturber plusieurs fonctions de nos cellules. « L’épuisement par exemple pourrait être lié à un dysfonctionnement des mitochondries, et latteinte du système nerveux, à des cellules qui entourent et/ou protègent nos neurones, à l’instar des cellules gliales et les astrocytes », illustre l’experte qui assure que, s’il reste encore beaucoup de questions, les connaissances progressent grâce aux nombreuses études menées sur ce sujet. Plusieurs travaux scientifiques semblent attester en tout cas que le vaccin contre le Covid réduirait le risque de subir un Covid long. Un argument supplémentaire en faveur de la vaccination, que les Français ont pourtant tendance à bouder : en décembre 2024, près de deux mois après le début de la campagne d’hiver, seuls 2 millions de personnes s’étaient fait vacciner contre le Covid. En 2023, leur taux de couverture vaccinale contre le Covid dépassait à peine les 30 % chez les personnes de plus de 65 ans, pourtant population à risque.

« Marre de répéter ce vaccin »

Pourquoi si peu d’empressement ? Le phénomène de lassitude n’est pas négligeable. « J’en ai marre de répéter ce vaccin tous les ans, je fais déjà celui contre la grippe, ça suffit », lâche Nicole, 87 ans, qui ne s’est pas protégée du Covid cet hiver, sans doute aussi parce qu’il lui fait moins peur. Une enquête Ipsos pour le laboratoire Astra Zeneca, conduite début 2024 et menée à l’initiative d’associations de patients révèle que pour 51 % des Français adultes, l’affection à la Covid-19 est désormais considérée comme une pathologie bénigne. Certes, les chiffres d’hospitalisations et de décès sont devenus modestes – moins de 1 % des hospitalisations, cet hiver, sont dues au Covid, selon les bilans hebdomadaires de Santé publique France –, mais le virus tue encore : le Covid a entraîné la mort de 5 635 personnes durant l’hiver 2023/2024, soit 3,6 % de l’ensemble des décès. La majorité des personnes décédées (95 %) avaient 65 ans ou plus, et la plupart n’étaient pas vaccinés.

Parce que le virus fait moins peur, il y a aussi du relâchement dans le respect des gestes barrières, réappris durant la pandémie, à commencer par le port du masque. Selon l’enquête Ipsos précitée, près de la moitié des personnes interrogées estiment qu’il ne sert plus à grand-chose de le porter dans les lieux publics clos et moins d’un tiers déclarent le porter systématiquement en présence de personnes vulnérables. De quoi inquiéter les patients à risque, et notamment immunodéprimés. Fragilisés par des pathologies chroniques ou des traitements, ils sont 250 à 350 000 en France, ils répondent moins bien au vaccin – le taux d’anticorps neutralisants est plus faible et leur déclin plus rapide – et sont plus à risque de formes graves et de décès que la population générale, en cas d’infection. Pour Valérie, 65 ans, qui est dans ce cas, le relâchement des gestes barrières est un frein aux sorties : « Comme le port du masque est devenu rare dans l’espace public, je me sens à part quand je mets le mien, j’ai l’impression que plus personne ne se sent concerné à part les patients dans ma situation ».

Clotilde Genon est responsable en charge du développement au sein de l’association Ensemble Leucémie Lymphomes Espoir (Ellye). « C’est vrai que depuis deux ans, la communication n’est plus la même, constate-t-elle. Les autorités sanitaires diffusent moins de données, la maladie est moins visible, et les gestes barrières relèvent plus de la responsabilité individuelle que de la solidarité collective. » Même le réflexe de se faire dépister en cas de symptômes évocateurs n’est plus, lui non plus, aussi systématique. « On a appris à vivre avec ce danger, qui n’est plus tout à fait le même qu’il y a cinq ans, avance Jan-Marc Charrel, président de France Rein, association de patients atteints de maladies rénales. Notre communauté a perdu 10 % des siens pendant la pandémie, mais les vaccins et les antiviraux, s’ils ne font pas tout, ont quand même changé la donne. Sans l’approuver, je comprends qu’il y ait une forme de lassitude chez ceux que le virus menace moins. »

Hausse du recours aux médecines alternatives

Médecin généraliste, présidente de la section Santé Publique à l’Ordre national des médecins, Claire Siret déplore, de son côté, une conséquence durable de la pandémie : l’attirance pour les pratiques non conventionnelles. « La crise sanitaire a généré une grande confusion, explique-t-elle. Pendant le confinement, les gens se sont davantage informés sur internet, où l’on disait tout et n’importe quoi. Ils ont cru par défaut des professionnels autoproclamés qui en ont profité, en leur vantant (et vendant) des médecines parallèles qui ne sont pas reconnues sur le plan scientifique. » L’Ordre, qui a publié un rapport très détaillé sur le sujet en juin 2023, reçoit de plus en plus de signalements. Il en saisit systématiquement la justice, les autorités sanitaires et même la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). « Le phénomène perdure, poursuit Claire Siret, parce qu’il s’inscrit dans une mouvance « bio », de retour à la nature, et dans un climat de défiance, mais aussi parce que la problématique des déserts médicaux laisse nombre de patients sans réponses. Faute de médecins disponibles, ils se tournent vers ceux qui leur proposent du temps et des réponses. »

Cinq ans après la pandémie, la problématique des déserts médicaux et du manque de moyens en ville et dans les hôpitaux reste, de fait, toujours problématique. Si, pour la première fois depuis la crise sanitaire du Covid, la dette de santé publique accumulée pendant la pandémie (3,5 millions de séjours hospitaliers reportés fin 2023) se résorbe, selon le Baromètre de l’accès aux soins publié ce 17 mars par la Fédération des Hôpitaux de France, des disparités demeurent. C’est particulièrement le cas pour les personnes âgées – les plus de 75 ans – qui n’ont pas encore suffisamment retrouvé le chemin de l’hôpital, faute de place et faute de soignants disponibles, notamment en cardiologie et en rhumatologie, avec comme conséquence pour ces publics une perte de chance – retard de diagnostic et donc de prise en charge. Ce sous-recours s’observe également pour la chirurgie lourde : tous âges confondus cette fois, ce sont 700 000 séjours de chirurgie qui n’ont pas été réalisés depuis 2020. L’étude Grouvid, réalisée par l’Institut Gustave Roussy pendant la première vague du Covid en 2020, avait modélisé une surmortalité liée au cancer de 2 à 5 % à cinq ans, du fait de retards de diagnostic et donc de prise en charge. Cinq ans après, nous y sommes. Des travaux, notamment l’étude DISRuPTIV, sont justement en cours pour mesurer l’impact réel que la pandémie a pu avoir en termes de délais de prise en charge, de retards de diagnostic et de mortalité associée.

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