Développons une télémédecine de proximité et intégrant les infirmiers, au service des personnes fragiles

Depuis le 15 septembre 2018, l’Assurance Maladie rembourse les téléconsultations effectuées par les médecins, dans des conditions similaires aux consultations en présentiel si elles respectent le parcours de soins. De plus, les médecins se voient octroyer une enveloppe annuelle de 525 € pour leurs frais d’équipement pour la télémédecine.

Ceci est un vrai pas en avant pour la télémédecine et peut contribuer à améliorer l’accès aux soins pour de nombreux patients en France. Parmi les bénéficiaires potentiels, il y a bien sûr les habitants des « déserts médicaux », mais aussi les 1,2 million de personnes âgées dépendantes ou encore les personnes handicapées, qui ont des difficultés croissantes à trouver un médecin pour les prendre en charge.

En effet, ces personnes ne sont souvent pas en mesure de se déplacer au cabinet d’un généraliste, même si celui-ci est installé à proximité. Or ce médecin, qui faisait autrefois la tournée de ses patients, est aujourd’hui débordé et n’a plus le temps de se déplacer. Les personnes âgées dépendantes ont donc de plus en plus de mal à trouver un médecin traitant qui accepte de les suivre à domicile, même en plein Paris, comme en témoignait par exemple cette dame sur Twitter il y a quelques mois. Et les conséquences sont nombreuses : dégradation de la santé des patients, pression sur les aidants et les infirmiers, hospitalisations coûteuses pour le système de soin et dont les personnes âgées ressortent souvent plus affaiblies qu’elles n’y étaient rentrées.

C’est l’un des enjeux majeurs de la télémédecine que de contribuer à résoudre ces problèmes.

Seule une télémédecine de proximité peut répondre aux défis du soin aux personnes âgées à domicile

Chez ces patients, le professionnel de santé “du quotidien” est le plus souvent l’infirmier. Ce dernier est un interlocuteur essentiel pour le médecin, et peut constituer un relai idéal pour lui permettre d’assurer un suivi par télémédecine, grâce à son excellente connaissance du patient, sa maîtrise des outils numériques et sa capacité à réaliser des examens cliniques (par ex, une prise de tension, ou une bandelette urinaire).

On identifie ici l’un des enjeux fondamentaux du déploiement des projets de télémédecine : faut-il construire des plateformes de médecins, proposant un médecin disponible à tout moment, mais qui ne connaît rien du patient et n’a pas accès à son dossier ? Si cela fait probablement sens pour certains usages, ce n’est certainement pas l’organisation la plus efficiente pour le suivi dans la durée des personnes âgées. En effet il est démontré qu’une personne âgée suivie dans la durée par le même médecin est moins hospitalisée que si elle était suivie par des médecins différents.

Il faut au contraire que ce soient les médecins de proximité qui s’emparent de ces nouvelles technologies, et les intègrent à leurs pratiques. Non pas pour remplacer toutes les visites, mais pour éviter les déplacements systématiques, sources de pertes de temps et stress, et concentrer les temps de visites sur les situations qui le justifient. Et si le médecin est plus souvent à distance, le patient, lui, conserve un contact humain direct avec un professionnel de santé qualifié et qu’il connaît personnellement.

Ce principe de fonctionnement en équipe, avec un infirmier auprès du patient et un médecin à distance, est expérimenté en établissements (hôpitaux, Ehpads) depuis plusieurs années. Les nouvelles technologies mobiles permettent aujourd’hui de le déployer à domicile.

Pour que cette stratégie facilitant l’accès aux soins soit efficiente, les outils doivent être simples d’usage, fiables et peu coûteux, et l’organisation de la chaine de soin de l’infirmier au généraliste en téléconsultation ou au spécialiste en téléexpertise doit répondre à un modèle économique réaliste, soutenu par les tutelles et notamment la CNAM.

Idomed, un exemple pionnier

C’est pour défendre cette vision que nous avons créé la plateforme de télémédecine idomed, portée par une entreprise de l’Economie Sociale et Solidaire. Avec un objectif simple : améliorer la coordination entre infirmiers et médecins dans la prise en charge de personnes fragiles à domicile.

En pratique, nous fournissons aux infirmiers une tablette et un stéthoscope connecté, bientôt un ECG. Médecins et infirmiers peuvent accéder à l’application sécurisée via leur smartphone, la tablette ou leur ordinateur. Ils peuvent ainsi faire des téléconsultations, mais également échanger via une messagerie instantanée simple et ergonomique avec tous les membres de l’équipe de soin (kinésithérapeute, cardiologue…), des messages, des photos ou des documents concernant le patient.

Cette messagerie, qui respecte l’ensemble des règles sur les données de santé (authentification forte, hébergement données de santé, etc), est fondamentale pour :

  • assurer un suivi continu, au sein d’une équipe composée de plusieurs membres répartis sur un territoire
  • permettre le développement des téléexpertises, dont le remboursement débutera début 2019.

Elle est complémentaire des autres messageries sécurisées comme MSSanté, car elle permet d’organiser la circulation d’informations de manière différente (à l’exemple de WhatsApp, qui est un outil très ergonomique mais qui n’offre pas les conditions de sécurité nécessaires).

Tout ceci doit être fait dans un cadre clair entre médecins, infirmiers, patients et fournisseurs de solutions, assurant le respect de l’éthique médicale, de la déontologie professionnelle et des droits des patients. Pour idomed, ce cadre a fait l’objet d’un contrat de télémédecine signé avec l’Agence Régionale de Santé Ile-de-France.

Une solution en phase avec la vision de l’Assurance Maladie

Cette vision est tout à fait en phase avec celle exprimée par l’Assurance Maladie. Par exemple, pour être éligible au remboursement, les téléconsultations devront être effectuées par le médecin traitant déclaré du patient. De même, l’Assurance Maladie envisage la présence d’un infirmier auprès du patient.

Grâce à cela, nous avons bénéficié du soutien de l’Agence Régionale de Santé Île-de-France, dans le cadre du programme Paerpa, pour financer l’expérimentation en cours de notre solution auprès de vingt patients. Les premiers retours sont très positifs : les médecins, les infirmiers, les patients et les aidants sont très satisfaits de ce nouveau mode d’organisation.

L’enjeu du remboursement des infirmiers

Pour que cette télémédecine humaine et de qualité puisse se généraliser, il faut rémunérer les infirmiers pour leur rôle auprès du patient pendant la téléconsultation. Infirmiers libéraux, Services de Soins Infirmiers à Domicile, structures d’Hospitalisation à domicile (HAD)… tous ces acteurs doivent être intégrés dans la réflexion, et des moyens appropriés leur être alloués.

Le besoin est estimé au moins à vingt euros par téléconsultation pour rémunérer le temps de l’infirmier (en moyenne 35 minutes sur place), et une enveloppe annuelle pour le matériel et le logiciel, d’au moins 850€ par infirmier libéral ou 3.400€ par SSIAD.

Ce montant peut paraître élevé en comparaison du forfait de 525€ accessible pour que chaque médecin puisse s’équiper en solution de télémédecine, mais il faut garder en tête que :

  • les chariots de télémédecine, souvent utilisés en Ehpad jusqu’à aujourd’hui, et qui reprennent la même logique de fonctionnement (infirmier auprès du patient, médecin à distance), coûtent entre deux et cinq fois plus chers ;
  • le médecin n’aura la plupart du temps qu’à payer le logiciel, et éventuellement une webcam et un micro, alors que les infirmiers ont besoin de matériel ;
  • le matériel peut être partagé entre plusieurs acteurs du territoire, dans la lignée par exemple des CPTS.

En investissant sur ce sujet, l’Assurance Maladie trouvera son intérêt financier notamment grâce à la baisse du nombre d’hospitalisations. Et elle permettra que ces innovations bénéficient à ceux qui en le plus besoin en favorisant un accès équitable aux soins sur les territoires.

Travaillons ensemble pour être à la hauteur de ce triple enjeu : sanitaire, économique, et sociétal.

Vincent Lambert
Co-fondateur et président d’idomed
www.idomed.fr

Dr Pierre Espinoza
Expert en télémédecine
Membre du bureau de la Société Française de Télémédecine

1 commentaires

  • hayet dit :

    Ceci est un vrai pas en avant pour la télémédecine et peut contribuer à améliorer l’accès aux soins pour de nombreux patients ainsi que les personnes âgées dépendantes ou encore les personnes handicapées.

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