Elle concerne déjà plus de 50 % des actes réalisés dans les établissements de santé (publics et privés). La chirurgie ambulatoire est plébiscitée par les patients, les équipes soignantes qui y voient une amélioration de la qualité des soins et les pouvoirs publics pour qui elle représente une manne importante d’économies. Elle est amenée à se développer dans les prochaines années.
La chirurgie ambulatoire prévoit une prise en charge du patient sur une durée limitée à une journée sans hébergement dans l’établissement. Le patient est admis en général assez tôt le matin et peut sortir, à condition d’être accompagné, en fin de journée. Le lendemain de l’intervention, un soignant contacte par téléphone le patient afin de s’assurer de l’absence de complications.
Une consultation avec le chirurgien a rapidement lieu dans la foulée de l’intervention (48 à 72h). Pour les interventions les plus simples (cataracte, arthroscopie du genou, etc.), cette prise en charge va de soi. Pour les plus complexes (chirurgie du cancer par exemple) elle est proposée au patient qui est libre d’accepter ou non.
« La satisfaction des patients, je l’ai vu augmenter de façon considérable sur les 20 dernières années »
Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics poussent à la roue afin de soutenir le développement de cette pratique. « L'objectif est qu'en 2022, sept patients sur dix qui entrent à l'hôpital le matin en sortent le soir », déclarait fin octobre Agnès Buzyn, ministre de la Santé. Elle a réaffirmé cet objectif le 20 décembre dernier, lors de la présentation de la nouvelle Stratégie nationale de santé pour 2018-2022.
Nous avons rencontré le professeur Jean-Pierre Triboulet, ex-chirurgien digestif au CHU de Lille, ancien président de l’Association française de chirurgie ambulatoire (AFCA) et président du Comité du Nord de la Ligue nationale contre le cancer afin qu’il nous éclaire sur les spécificités de ce nouveau mode de prise en charge.
66 Millions d’IMpatients – Comment se déroule une intervention en ambulatoire ?
Jean-Pierre Triboulet – « Une intervention en ambulatoire n’est pas différente d’une intervention donnant lieu à hospitalisation. C’est simplement une question d’anticipation. Il faut que tout soit prévu en amont pour que le jour même il n’y ait pas d’interrogations. Et s’il y en a, le personnel soignant doit être en mesure d’apporter toutes les réponses aux questions que le patient se pose. Ces interventions doivent se dérouler dans un parcours fluide sans perte de temps et sans prise de risques pour le patient. La sortie, notamment, est très encadrée : tout est fait pour minimiser l’inquiétude et l’anxiété du patient.
66M – A qui s’adresse ce type de prise en charge ?
JPT – A une majorité de patients. D’un point de vue purement médical, 90 % d’entre eux sont éligibles. Mais il y a d’autres critères à considérer comme l’isolement par exemple qui constitue une contre-indication majeure à l’ambulatoire. On ne laisse pas une personne rentrer chez elle après une intervention si elle n’est pas accompagnée la première nuit. Si l’on intègre l’ensemble des critères d’éligibilité, on estime qu’environ 80 % des patients sont susceptibles de bénéficier d’une chirurgie sans nuitée dans l’établissement. A noter qu’il n’y a pas d’âge pour l’ambulatoire. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les patients âgés, par exemple, sont très friands d’un retour rapide à la maison. Environ 80 % des gestes chirurgicaux peuvent être réalisés en ambulatoire. Les 20 % restant relèvent de la chirurgie lourde ou de l’urgence. Et encore, il y a certaines interventions réalisées en urgence qui peuvent être effectuées en ambulatoire comme l’appendicectomie.
66M – Le recours à l’ambulatoire est-il fréquent ?
JPT – En 2016, 54% des interventions réalisées l’ont été en ambulatoire. Ce taux était de 48 % en 2014. En gros, ça augmente de 2 à 3% par an. Evidemment, ce taux est variable selon les établissements, les disciplines, les régions ou encore les opérateurs. En septembre, la ministre de la santé a annoncé un taux cible de 66 % en 2020 et de 70% en 2022. On reste encore loin de pays comme la Suède et le Danemark qui affichent des taux moyens d’environ 90%. Il est toutefois important de ne pas se précipiter et d’y aller progressivement afin que les équipes soient convaincues de l’intérêt de la démarche et surtout bien entraînées pour proposer cette prise en charge.
66M – Comment expliquer l’engouement autour de cette hospitalisation express ?
JPT – Au début des années 2000, il y a eu une forte pression sur l’administration du fait du développement de l’ambulatoire à l’international. Tous les pays au même niveau de richesses que le nôtre affichaient des taux de 70 % ou plus. Alors qu’en France on arrivait péniblement à 30%. Il y a aussi eu l’espoir de nouvelles marges financières du fait des économies engendrées par le développement du nombre d’interventions à la journée. De fait, l’ambulatoire implique que le service est fermé la nuit, pendant les vacances, le week-end et les jours fériés. Les économies potentielles (et déjà générées) en matière de ressources humaines ou de frais de fonctionnement sont élevées.
Par la suite, c’est l’intérêt médical et sociétal qui a justifié de développer ce mode de prise en charge. Il génère beaucoup moins de complications et d’effets secondaires (infections nosocomiales, phlébites, etc.). Les équipes soignantes qui se lancent sont en règle générale ravies. Dans mon service, le transfert de notre activité vers l’ambulatoire a permis de diminuer l’absentéisme de 50% par rapport à ce qu’on observait alors qu’on proposait une prise en charge conventionnelle. Les horaires sont différents, moins contraignants, le contact avec le patient est plus humain, plus intéressant. Avec l’ambulatoire, les soignants reviennent aux fondamentaux de leur mission : le soin.
66M – Les patients apprécient-ils cette prise en charge ?
JPT – Au départ, les patients étaient plutôt dubitatifs : ils se demandaient si ce n’était pas une façon de les expédier. Le public ne pense plus ça du tout de l’ambulatoire. La satisfaction des patients, je l’ai vu augmenter de façon considérable sur les 20 dernières années. A la fin de ma carrière, les malades venaient dans notre service (chirurgie digestive, CHU de Lille, ndlr) parce qu’on faisait de l’ambulatoire. Cette prise en charge participe à diminuer l’anxiété des patients. Nombre d’entre eux rapportent aussi qu’elle permet de dédramatiser l’intervention et de mieux prendre en main son parcours médical, de mieux se l’approprier. Les patients dans leur grande majorité sont satisfaits voire très satisfaits d’être pris en charge en ambulatoire. Les motifs de mécontentements existent mais sont rares. Ce n’est pas toujours aussi fluide que ça devrait l’être. Certains patients peuvent par exemple se plaindre du temps d’attente parfois élevé avant d’obtenir l’autorisation de sortie. La possibilité d’un transfert de tâche vers les infirmières qui seraient autorisées à gérer la sortie, un moment très codifié en ambulatoire, est en cours de discussion ».
Belle prouesse chirurgicale et médicale, bon courage