Déserts médicaux, restes à charge trop importants dans certains domaines comme le dentaire ou l’optique… L’accès aux soins est devenu un véritable problème pour une partie de la population française. Cette question majeure mérite d’être invitée rapidement dans le débat politique…
L’accès aux soins s’est dégradé en Europe depuis la crise financière de 2008. Selon l’OCDE, la proportion de besoins non satisfaits pour des raisons financières ou géographiques a en effet augmenté entre 2010 et 2014, et cette tendance est assez marquée en France.
En matière d’accessibilité géographique, notre pays se caractérise par une très forte densité médicale dans les villes (4,5 médecins pour 1 000 habitants) et une densité beaucoup plus faible dans les zones rurales (1,4 médecin pour 1 000 habitants) – même si celle-ci reste dans la moyenne des pays de l’OCDE.
Lutter contre les déserts médicaux
La densité médicale est notamment corrélée au revenu moyen des habitants et il existe dans ce domaine de grandes disparités territoriales qui font que l’égalité d’accès n’est pas toujours assurée. Au point que certaines zones périurbaines ou rurales font figure de véritables « déserts médicaux ».
Certains spécialistes deviennent difficilement accessibles pour une partie de la population. Environ 28 % de la population a ainsi du mal à trouver un ophtalmologiste et 49 % vit dans une zone déficitaire en ophtalmologistes pratiquant les tarifs de la Sécurité sociale, selon une enquête de l’association de consommateurs UFC-Que choisir.
Pour lutter contre ces déserts médicaux, différentes mesures sont proposées, parmi lesquelles l’augmentation du numerus clausus, c’est-à-dire du nombre de places offertes chaque année par le concours de médecine (actuellement d’un peu plus de 8 000), le développement de maisons de santé pluridisciplinaires, ainsi que celui des technologies numériques et de la télémédecine.
Différents systèmes destinés à inciter les jeunes médecins diplômés à s’installer dans les déserts médicaux ou à les décourager d’exercer dans les zones déjà surdotées, sont également imaginés.
Le développement de maisons de santé pluridisciplinaires, regroupant sur un même site et au sein d’une même organisation, des médecins et des professionnels de santé de différentes spécialités, est l’une des mesures qui fait le plus consensus. Ce type d’établissements est censé permettre également de dégager des économies d’échelle et de réaliser des gains de productivité, tout en mettant en œuvre des outils d’amélioration de la qualité de l’offre et du parcours de soins.
Un reste à charge élevé pour certains soins
La problématique d’accès aux soins ne se pose pas seulement sur le plan géographique, mais également, bien sûr, sur le plan financier.
Selon l’OCDE, en France, les personnes les plus pauvres renoncent plus souvent à se faire soigner que dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne, l’Espagne ou le Royaume-Uni. Et cette proportion est en augmentation. Des inégalités particulièrement prononcées en matière de prothèses dentaires, du fait de leur faible remboursement par l’Assurance-maladie, mais également dans les domaines de l’optique et des audioprothèses.
En France, le taux de renoncement aux soins dentaires chez les plus pauvres atteint ainsi 12% selon l’OCDE, contre 1,6% chez les plus riches. Selon la Mutualité française, « près de deux millions de Français renoncent ou diffèrent des soins d’optique pour des raisons financières. Actuellement, les assurances complémentaires prennent en charge 68 % des frais d’optique, peu remboursés par la Sécurité sociale, les ménages contribuant à hauteur de 26 % ».
Plus généralement, tous domaines confondus, entre 21 % et 36 % des personnes interrogées admettent un renoncement aux soins selon une étude de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, dépendant des ministères sociaux).
Au total, notre système de santé français se caractérise pourtant par un reste à charge particulièrement bas pour les patients : environ 7 % des dépenses totales de santé en France en 2013 contre une moyenne d’environ 19 % dans l’OCDE. Mais cette excellente performance globale masque de fortes disparités et les restes à charge restent souvent très significatifs en matière de santé dentaire, optique ou auditive.
La solution des réseaux de soins
« Ce reste à charge parmi les plus faibles d’Europe est le résultat d’un modèle de santé historiquement basé sur un partenariat entre la sécurité sociale et les complémentaires santé », explique Jean-François Tripodi, directeur général du réseau de soins ouvert Carte Blanche Partenaires. « La création d’une assurance maladie universelle conduirait à l’effritement du système de santé français. Pour préserver notre système de soins, menacé par le déséquilibre budgétaire, il faut plutôt se concentrer sur le potentiel de l’existant : la collaboration entre les complémentaires santé et les réseaux de soins ».
S’appuyant sur une récente note d’analyse de la Fondation Concorde, un think tank proche du monde de l’entreprise, qui demande le développement des réseaux de soins pour sauver la Sécurité sociale, Jean-François Tripodi défend le rôle régulateur de ces réseaux. Ces plateformes de santé, agréées par des mutuelles et des assureurs santé, signent des contrats avec des chirurgiens-dentistes, des opticiens ou des audioprothésistes, qui acceptent de prendre certains engagements en matière de qualité de la prestation et de tarifs. « L’objectif est qu’un assuré qui paie sa cotisation à la Sécu et à sa mutuelle puisse bénéficier d’un reste à charge nul. Pour y arriver, il faut combiner l’action des pouvoirs publics sur la régulation des prix et celle des complémentaires santé grâce aux réseaux de soins agréés », expliquait dès 2012 le président de la Mutualité d’alors, Étienne Caniard.
Encouragés depuis 2014 par la loi Le Roux, « les réseaux de soins contribuent à une meilleure régulation médico-économique : les complémentaires remboursent au juste prix tout en s’assurant de la qualité de la prise en charge », souligne encore le dirigeant de Carte Blanche Partenaires. « Sans compter les services de prévention et d’accompagnement santé qui influent sur une meilleure information des patients et permet d’éviter les risques de maladies ».
Outre une diminution du reste à charge et un meilleur remboursement, les bénéficiaires de réseaux de soins profitent également d’avantages négociés : tiers payant généralisé, actions d’accompagnement et de prévention, services inclus… S’ils étaient accessibles à l’ensemble des Français, les réseaux de soins permettraient une économie globale de près de deux milliards d’euros par an, estime la Fondation Concorde, qui pense donc « nécessaire de donner plus de liberté aux acteurs de santé et d’encourager, par un partenariat renforcé entre le public et le privé, le développement des réseaux de soins, pour offrir aux Français une médecine plus accessible et moins chère ».
Philippe MOREAU
Usager du système de santé, retraité de la fonction publique
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