Du bon usage des appareils de géolocalisation pour les patients atteints de troubles cognitifs

60 millions de consommateurs vient de sortir un comparatif sur les dispositifs de géolocalisation destinés à accompagner les personnes souffrant de troubles cognitifs lors de leurs déplacements. Les appareils ont été testés en conditions réelles par des binômes volontaires (aidants et aidés), par des ergonomes spécialistes du handicap, des experts en laboratoire, ainsi que des juristes pour ce qui concerne les contrats de vente et les offres d’abonnement le cas échéant. Il en résulte que sur 8 appareils testés, seuls 4 méritent d’être recommandés. Mais au-delà de la performance de ces dispositifs, c’est également la question sur la préservation de l’autonomie des patients qui se pose et qui passe par un dialogue autour de leur consentement à utiliser ces dispositifs.

Bien entendu ces appareils, qui proposent quasiment tous des options de localisation soit par SMS, soit sur un site web ou une application dédiée, ainsi qu’un suivi de parcours, peuvent être mal acceptés par leurs utilisateurs du fait de leur aspect intrusif. Cependant, Emmanuel Hirsch, Directeur de l’Espace Ethique Ile-de-France, précise qu’il faut surtout envisager le côté positif de ces dispositifs, puisqu’ils permettent aux patients de se déplacer seuls, ce qui dans certains cas, sans ces appareils, devient très difficilement gérable.

Présent au ministère lors de la publication de la charte de bonnes pratiques relatives à l’emploi des dispositifs de géolocalisation, Emmanuel Hirsch nous donne son point de vue optimiste sur ces nouvelles technologies mises au service du maintien de l’autonomie et donc de la dignité des patients.

66 Millions d’IMpatients : Ces appareils de géolocalisation sont-ils vraiment utiles au quotidien pour les malades et leur famille ?

Emmanuel Hirsch : L’enjeu est celui de l’autonomie des personnes en situation de vulnérabilité, comme dans le cas de personnes atteintes d’une maladie neuro-évolutive telle qu’Alzheimer. Ces maladies peuvent, à un moment donné, altérer leur capacité de discernement et de tels dispositifs permettent d’éviter que ces personnes ne se perdent et soient éventuellement exposées à des dangers. On est effectivement confronté à un dilemme, qui est, soit sécuriser l’environnement de la personne au point qu’elle reste entravée à son domicile ; soit lui donner de nouveau une capacité de liberté, de mobilité à travers un certain nombre de dispositifs géolocalisés, qui sécurisent d’éventuelles promenades, ou sorties par exemple pour aller faire ne serait-ce que des courses. La géolocalisation n’est d’ailleurs pas réservée aux personnes atteintes de maladies neurocognitives, elle peut également être appropriée pour une personne atteinte d’un handicap, en fauteuil-roulant par exemple, qui risque lors d’une promenade à la campagne de faire une chute. A priori, pour autant que la personne soit respectée dans ses choix, dans sa sphère privée, et que les modalités d’utilisation des dispositifs respectent les principes essentiels de confidentialité, ce n’est pas contradictoire aux règles d’éthique.

Quand faut-il aborder la question du consentement ?

Lorsqu’une personne est atteinte d’une maladie neuro-évolutive, à un stade où elle est encore en capacité d’anticiper ce type de décision, il est opportun d’en parler en amont avec ses proches, son médecin, afin de pouvoir mettre le dispositif en place si nécessaire dans un futur plus ou moins proche. Le problème est plus complexe si on ne connaît pas la position de la personne sur l’utilisation de ces appareils au moment où elle en a besoin mais n’est plus forcément en capacité de donner son consentement.

Je dirais qu’en matière d’éthique, l’important est de mettre en avant l’intérêt supérieur de la personne. Si cette dernière vit seule et que l’on veut qu’elle soit préservée dans sa capacité de mobilité, il peut être pertinent de mettre en place un système de géolocalisation. Cela lui permet de sortir de chez elle, alors que sans dispositif de ce type, elle resterait cloitrée à son domicile. Evidemment c’est toujours le moindre mal que l’on vise. Le pire selon moi, c’est que la personne reste enfermée chez elle ou qu’elle soit orientée dans une institution.

Est-ce problématique, d’un point de vue moral, d’imposer un tel dispositif à une personne qui n’a pas pu exprimer clairement son consentement ?

Il y a une réalité qui est la maladie. Ce qui est immoral d’une certaine manière, c’est la maladie elle-même. Quand vous êtes atteint d’une maladie qui affecte vos capacités de jugement, vos capacités relationnelles, l’immoralité c’est la maladie. La vraie question c’est comment compenser un certain nombre de déficits. Vous pouvez toujours émettre des règles strictes, à tel point qu’on ne proposera rien. Je pense que la géolocalisation aide concrètement des personnes atteintes de troubles cognitifs, et rassure également leurs proches. Lorsque vous êtes le conjoint d’une personne affectée dans ses capacités cognitives et que vous l’aimez, il sera plus facile d’accepter de la voir partir se promener, aller faire des courses ou aller boire un café, grâce à la géolocalisation. Il faut voir l’aspect positif des choses. Il est plus compliqué selon moi sur le plan éthique, d’envisager d’enfermer une personne, parfois avec des contentions physiques ou chimiques.

Il existe dans certains établissements des systèmes de repérages magnétiques des résidents, qui leur permettent d’aller se promener dans un jardin ou un parc en sécurisant leur sortie. Est-ce immoral ? Vaut-il mieux les laisser enfermés, parfois à clé, dans leur chambre ? Il n’y a pas de situation idéale. Il y a des avancées technologiques, qui doivent être raisonnées dans leurs conséquences. Il faut évidemment se poser les bonnes questions concernant l’utilisation de ces technologies dans la sphère privée, afin de respecter la confidentialité des informations sur la vie des malades, mais en général ces dispositifs sont bien encadrés d’un point de vue juridique.

En France, nous sommes bien protégés sur les questions de confidentialité liées à ce type de technologie ?

Précisons que cela ne concerne pas uniquement la géolocalisation, car il y a aussi par exemple les dispositifs d’accompagnement et d’alerte à domicile. En France, il y a des règles précises sur le respect des données privées. La CNIL est très vigilante à cet égard. Le respect de la dignité de la personne et de la protection du privé sont fortement encadrés. Je pense que la France est à la hauteur des enjeux sur ces nouvelles technologies et que cette exigence d’encadrement permet d’éviter les éventuelles réticences ou hostilités à leur mise en œuvre.

La vraie question est le contenu du repérage proposé par ces outils et au-delà de la question sur la confidentialité dans le cadre de la géolocalisation, il y a aussi celle de la façon dont on va interpréter ces données. Par exemple quel indicateur va-t-il nous faire considérer que la personne est en situation d’être perdue, à quel moment on intervient, qui intervient et au bout de combien d’interventions en déduira-t-on que la personne n’est plus assez autonome pour rester chez elle et envisager de la placer dans une institution ? Ce sont également des questions à anticiper au moment de recueillir le consentement. Dans tous les cas, il ne faut pas se tromper de combat. Nous sommes tous déjà géolocalisés, parfois à notre insu, via nos téléphones mobiles. La question n’est donc pas de savoir si les dispositifs de géolocalisation sont éthiques ou non en tant que tels, mais bien de réfléchir à l’usage que l’on en fait. Si ces dispositifs permettent de redonner un espace de liberté et d’expression aux personnes qui en ont besoin, de leur apporter un surplus de dignité, alors c’est plutôt éthique.

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