Inégalités sociales d’accès à la greffe rénale

Inégalités sociales d’accès à la greffe rénale : perte de chance pour les malades et surcoût pour le système de santé

par Christian Baudelot – Sociologue, membre de Renaloo

Dans le champ des inégalités sociales de santé, les maladies rénales occupent une position originale. Le traitement le plus efficace, la greffe, est aussi le moins coûteux mais les patients les plus favorisés n’en ont pas moins la primeur puisqu’ils en bénéficient plus souvent que les autres. Contrairement à beaucoup d’autres pathologies, ce ne sont donc pas les plus riches qui coûtent le plus cher au système de santé, mais les plus pauvres, qui restent malgré tout moins bien soignés. Deux enquêtes récentes l’établissent clairement. 

La transplantation est aujourd’hui le traitement le plus efficient à tous les âges de la vie en termes de survie, de qualité de vie, et le plus économique pour le système de santé. Le fait est internationalement reconnu. Pourtant, la dialyse reste en France le traitement le plus souvent proposé aux patients en première intention, ce qui explique qu’elle soit majoritaire chez les patients ayant atteint le stade de l’Insuffisance Rénale Terminale. Parmi les 76 000 personnes traitées en France dans ce cas, 55 % sont dialysées et 45 % transplantées.

Pourquoi ? Comment expliquer un tel constat ?

Trois grandes familles de facteurs, non exclusives l’une de l’autre, peuvent être évoquées.

  • Les membres des classes populaires sont, du fait de leurs conditions de vie et d’alimentation, plus touchés par les maladies vasculaires, le diabète et l’obésité, et par conséquent par leurs effets sur la fonction rénale. Ce sont au contraire des troubles plus localisés, rénaux dès l’origine, qui frappent plus souvent les patients les plus diplômés, comme les maladies génétiques, les glomérulonéphrites et les maladies systémiques. Les premières pathologies présentent, plus que les secondes, des contre-indications à la transplantation.
  • La dialyse est devenue au fil du temps un véritable système industriel, intégré et financièrement rentable, avec ses laboratoires, ses cliniques, ses fabricants de machines et de consommables. La généralisation de la tarification à l’acte, avec des forfaits de dialyse entièrement pris en charge par la sécurité sociale, associée à la garantie d’une « clientèle captive » (en majorité trois séances par semaine) incitent les structures publiques et privées à augmenter le nombre de leurs postes de dialyse pour des raisons comptables. La structure particulière de ce système de soins a fait l’objet d’un rapport documenté de la Cour des Comptes en 2015.
  • Les catégories les plus instruites savent aussi mieux s’orienter dans l’univers médical et accèdent plus souvent que les autres aux meilleurs traitements. Elles sont aussi les mieux informées, en néphrologie comme dans les autres pathologies.

Une analyse statistique a cherché à mesurer la part relative de chacune de ces trois familles de facteurs. Le facteur principal expliquant l’inégalité d’accès à la greffe entre les patients est bien d’ordre médical. Un malade souffrant d’une insuffisance rénale terminale due à une maladie génétique a, toutes choses égales par ailleurs, plus de quatre fois plus de chances d’être greffé qu’un patient diabétique ou atteint d’une maladie vasculaire. Mais l’effet du niveau d’instruction n’en est pas annulé pour autant. Toutes choses égales par ailleurs, les personnes ayant un niveau d’études supérieur à la licence ont encore près de deux fois plus de chances d’être greffées que celles ayant un niveau d’étude primaire. Quelle que soit la durée passée en dialyse, les diplômés de niveau licence ont 1,6 fois plus de chance de sortir de dialyse par une greffe de rein que les personnes n’ayant pas dépassé le primaire.

Ces mesures statistiques apportent des précisions sur le moment de la trajectoire du patient où se produit l’écart selon son niveau de diplôme. Pour être greffé, il faut avoir été inscrit par un néphrologue sur la liste d’attente nationale gérée par l’Agence de biomédecine. Or, c’est à ce stade de l’inscription que les écarts mesurés entre les niveaux d’instruction sont les plus significatifs. En revanche, une fois les patients inscrits, l’attribution d’un greffon est déterminée par un score calculé par un algorithme et là, quelle que soit la durée d’attente ultérieure du greffon, l’effet du diplôme ne joue pratiquement plus !!!!

Pour en savoir plus : Christian Baudelot, Yvanie Caillé, Olivier Godechot, Sylvie Mercier, « Maladies rénales et inégalités sociales d’accès à la greffe en France », Population, vol 71 (1), 2016

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