Le scandale Dépakine continue. Cet anti-épileptique provoque de graves malformations chez l'enfant. Les femmes qui suivent ce traitement sont mal informées.

Le scandale Dépakine : stop ou encore ?

Consommé pendant la grossesse, l’antiépileptique du laboratoire Sanofi est susceptible de provoquer des malformations chez l'enfant ainsi que des troubles du comportement et de l'autisme. L’information tarde à passer auprès des femmes en âge de procréer qui suivent ce traitement. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a été saisie. On attend son rapport d'un jour à l'autre. 

Le scandale Dépakine continue, s’insurge Le Figaro dans une enquête publiée en ligne le 1er février dernier. Un nouveau scandale sanitaire ? On s'en approche… La Dépakine est un antiépileptique du laboratoire Sanofi soupçonné de provoquer des affections irréversibles (troubles du comportement, autisme, retards psychomoteurs) chez les enfants des femmes qui en ont consommé pendant leur grossesse. 

Nous en faisions récemment état sur notre site, dans un papier consacré à l’ouvrage de Clotilde Cadu, journaliste santé pour l'hebdomadaire Marianne, portant sur les effets indésirables liés aux médicaments. Dans ce bouquin, les dessous de l'affaire Dépakine (valproate de sodium), donc, mais aussi de l'incontournable Médiator ou encore des pilules de deuxième et troisième génération. 

Un scandale sanitaire en émergence

Pourquoi est-il question de scandale Dépakine ? Car des médecins ont longtemps prescrit le médicament aux femmes en âge de procréer sans les avertir des risques qu’encourait leur progéniture en cas de grossesse. Risques connus depuis les années 80 de l’aveu même de Pascal Michon, directeur des affaires scientifiques chez Sanofi, cité par Clotilde Cadu.

Exemple, pointé par Le Figaro, celui d’Ingrid, 39 ans qui prend de la Dépakine depuis une vingtaine d'années. Dans le très réputé hôpital Béclère, où elle a bénéficié d’une procréation médicale assistée, on ne lui a jamais parlé des risques associés à la prise du médicament pendant la grossesse. « Elle n'a appris le lien entre la prise de Dépakine et l'autisme de ses jumeaux qu'en novembre dernier, par… la presse ! »

La plaisanterie a duré jusqu’à ce qu’une femme dont les enfants souffrent des effets indésirables de l’anti-épileptique fasse le rapprochement avec la prise de médicament pendant sa grossesse et se décide à monter au créneau afin de secouer l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Nous sommes alors en 2009. Marine Martin – c'est son nom -, aujourd'hui présidente de l’Association d’Aide aux Parents d'Enfants souffrant du Syndrome de l'Anti-Convulsivant (Apesac), tombe de haut.

Le plan d’action de l’Agence du médicament

Pourquoi s'insurger que le scandale perdure ? L'enquête du Figaro suggère que les mesures décidées par l'ANSM en mai 2015 afin de protéger les patientes (près de 150 000 femmes consommeraient de la Dépakine quotidiennement*) et leurs éventuelles futures progénitures, qui auraient dû entrer en vigueur au 1er janvier 2016 tardent à être appliquées sur le terrain.

En pratique, l’ANSM recommande que la Dépakine ne soit prescrite qu’en dernière intention chez les femmes en âge de procréer. Ce qui ne veut pas dire que les traitements alternatifs sont inoffensifs, on le verra plus loin. La prescription du médicament doit par ailleurs être l’objet d’au moins une consultation par an chez un médecin spécialiste (neurologue, psychiatre ou pédiatre). Auparavant, nombre de patientes se contentaient de faire renouveler leur ordonnance par un généraliste. Objectif de cette nouvelle disposition : promouvoir l’information sur les effets délétères du médicament pendant la grossesse que visiblement certains généralistes n’apportent pas suffisamment. 

A noter que « le renouvellement [de l’ordonnance, ndlr] peut être effectué par tout médecin, dans la limite d’un an, au terme duquel une réévaluation du traitement par le spécialiste est requise », précise l’ANSM. Compte tenu des règles encadrant la prescription des traitements au long cours (voir ici notre papier sur le sujet), les patientes devraient en pratique être amenées à consulter tous les 6 mois en alternance un généraliste et un spécialiste.

Les patientes trop peu informées

L’ANSM pointe par ailleurs plusieurs moments critiques nécessitant le recours à un spécialiste : « lorsqu'une jeune fille atteint la puberté, lorsqu’une femme envisage une grossesse et en urgence en cas de grossesse ». L’agence rappelle également que les patientes en âge de procréer doivent impérativement utiliser une contraception efficace pendant le traitement. 

Autre nouveauté depuis le 1er janvier dernier, la délivrance du médicament est désormais conditionnée à l’obligation pour la patiente de fournir au pharmacien un formulaire d’accord de soins. Ce document doit être complété par le médecin spécialiste et par sa patiente, avant l’instauration de son traitement par valproate et à chaque réévaluation de celui-ci (au minimum lors de chaque prescription annuelle).

Là encore, l’objectif est de s’assurer que les femmes sous Dépakine sont « pleinement informées et comprennent les risques de malformations congénitales et de troubles neurodéveloppementaux chez les enfants nés de femmes ayant pris du valproate pendant la grossesse ».

Selon Le Figaro qui s’appuie sur les remontées de l'Apesac, plusieurs femmes se seraient vues délivrer de la Dépakine depuis le 1er janvier sans prescription d’un spécialiste et sans être en mesure de fournir au pharmacien un formulaire d’accord de soin. Alsace, Auvergne, Franche-Comté Hauts-de-Seine, Nord-Pas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Val-d’Oise… Les exemples ne semblent pas manquer.

L’ampleur du problème encore méconnue

Sollicitée par 66 Millions d’IMpatients, la Caisse nationale d’Assurance maladie indique ne pas être en mesure de fournir un décompte précis. Etonnant : les données de remboursement dont elle dispose lui permettraient pourtant assez facilement de fournir une idée de l’ampleur du non-respect des recommandations officielles. Et notamment de la délivrance du médicament émanant de la prescription d’un généraliste plutôt que d’un spécialiste.

Pour Laila Ahddar, présidente d’Epilepsie France ce constat n’a rien d’étonnant. « L’accès à la consultation d’un médecin spécialiste de la prise en charge de l’épilepsie prend au moins 6 mois. Sur les forums en ligne, de nombreuses patientes se plaignent de ces délais d’attente ». Pour elle, le plan d’action de l’ANSM a été mis en place trop rapidement. La question quant à son impact sur le quotidien des femmes sous traitement n’a pas été suffisamment traitée en amont pour assurer la transition de ces nouvelles mesures. « L’agence a d’autorité promu l’expression d’une demande de soin à laquelle les professionnels de santé ne sont pas en mesure de répondre ». C’est ballot…

Une chose est certaine pour l’association : « Il faut bien traiter les patientes pendant la période de transition ». Si ces dernières sont conscientes du risque mais ne se sentent pas concernée par ces mesures, mieux vaut leur délivrer le médicament qu’interpréter de façon trop rigoriste les recommandations de l’ANSM au risque de les priver du traitement ». C’est aussi la position que défend l’agence sans véritablement se positionner sur une échéance précise quant au moment où il conviendrait que le dispositif qu’elle préconise soit effectivement appliqué. 

Des recommandations vraiment pertinentes ?

Résumons : d’un côté des femmes épileptiques qui tentent désespérément de consulter un spécialiste, preuve qu’elles sont sensibilisées à la dangerosité du médicament ; de l’autre des patientes qui n’en savent rien et qui continuent de consulter leur médecin habituel, généraliste dans la plupart des cas. Pour la gestion du risque, on repassera… Et si on informait mieux et davantage les généralistes ? C’est la solution avancée par Epilepsie France.

Au-delà du non respect des recommandations de l'ANSM, dont la pertinence ne saute pas immédiatement aux yeux, le véritable scandale tient bien dans l’incapacité de certains prescripteurs d'informer leurs patientes de la dangerosité du médicament.

« Les prescripteurs, les généralistes compris, ont reçu les alertes de l’ANSM voilà plus d’un an, s’agace Marine Martin, présidente de l’Apesac. Le temps pour organiser la redirection des femmes sous Dépakine vers les spécialistes, les généralistes l’ont largement eu. Le problème c’est qu’ils ne lisent pas les recommandations des pouvoirs publics ». C’est en effet un problème. Et s’ils le faisaient, on peut supposer que l’information sur la dangerosité du médicament serait systématiquement portée à la connaissance des patientes. Ce qui serait déjà un considérable progrès.

Marine Martin préconise que les femmes qui ne seraient pas en mesure de produire l’accord de soins en pharmacie ne puissent recevoir qu’une quantité minimale du médicament et soient redirigées vers l’hôpital. « Ça embouteillera pendant un temps les services de neurologie mais au moins toutes les femmes seront rapidement mises au courant ». 

Car pendant ce temps, le médicament continue de faire des ravages. « Le dernier bébé  Dépakine est né le 16 décembre dernier » rapporte Marine Martin. Selon l’ANSM, le médicament présente « un risque élevé de malformations congénitales (environ 10 %) et de nombreux types de troubles neurodéveloppementaux dont des troubles du spectre autistique (jusqu’à 30 % à 40 %) ». L’Apesac, estime aujourd’hui à plus de 1000, le nombre d’enfants victimes de la Dépakine.

En attendant une enquête de l’Igas

Selon l’association, l’affaire Dépakine ne serait que l’arbre qui cache la forêt. De fait, tous les antiépileptiques (Keppra, Lamictal, Tégrétol) « sont tératogènes et susceptibles de provoquer des malformations chez les enfants dont la mère a été traitée pendant la grossesse ». Ce que confirme d’ailleurs le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de chacun d’entre eux. Or, pour la quasi-totalité des patientes concernées, l’arrêt du traitement pendant la grossesse n’est pas une option : enceinte ou pas, celui-ci s’impose.

La médecine n’apporte donc pas à ce jour de solutions satisfaisantes aux femmes atteintes d’épilepsie qui souhaiteraient avoir un enfant. C’est regrettable. Il le serait encore plus que cette information ne soit pas plus largement diffusée au corps médical ainsi qu’aux patientes. 

Prévue le 19 février, la publication des conclusions d’une enquête sur la Dépakine de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a été reportée. Selon nos informations, elle devrait se tenir en début de semaine prochaine. Espérons que ce travail apportera des solutions fiables afin d’améliorer l'information des femmes souffrant d'épilepsie quant à la dangerosité des traitements proposés en cas de grossesse.

* l'ANSM n'est pas en mesure de préciser quelle proportion parmi ce nombre est en âge ou en capacité de procréer.

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