
L’accès aux soins se dégrade sur le territoire français. Les écarts entre les territoires se creusent, tant en termes d’accès géographique que financier. Près de 7 millions de personnes se retrouvent aujourd’hui sans médecin traitant, des services d’urgence hospitaliers ferment faute de pouvoir répondre aux besoins, les hôpitaux saturent et l’offre de soins en ville ne cesse de décliner. Conséquence, certains usagers renoncent à se faire soigner, tant le parcours est long et compliqué.
Il est urgent d’agir. Agir pour garantir aux usagers un accès équitable aux professionnels de santé sur l’ensemble du territoire, que ce soit dans le cadre de soins programmés, non programmés ou d’urgences médicales.
Les mesures incitatives mises en place au cours de ces dernières années pour encourager les médecins à s’installer en zones sous-dotées ont montré leurs limites. Il n’est plus possible d’attendre : la situation nécessite des mesures à court terme de répartition équitable des professionnels de santé sur le territoire, mais aussi des mesures à moyen et long termes pour adapter le système de santé aux évolutions des besoins populationnels.
Selon une récente enquête de l’UFC que Choisir, 35% d’usagers ont dû renoncer à des soins faute de rendez-vous, quand d’autres ont eu recours à des services d’urgences déjà surchargés et non adaptés aux soins non programmés.
Les délais d’attente moyens pour obtenir un rendez-vous sont de plus en plus longs : 9 jours d’attente pour obtenir un rendez-vous auprès de son médecin traitant, seuls 31% des usagers réussissent à obtenir un rendez-vous en moins d’un mois auprès d’un médecin spécialiste, ce délai allant jusqu’à 4 mois en moyenne pour le reste des usagers. Les disparités territoriales sont criantes : ce délai de 4 mois concernent particulièrement les zones rurales (76%) et les villes éloignées (78%), ou encore certaines régions, comme le Grand Est (84%) et les Pays de la Loire, contre 52% en Ile de France.
A ces chiffres s’adossent deux constats : d’un côté, des jeunes médecins qui souhaitent majoritairement travailler en équipe pluridisciplinaire et, de l’autre, des territoires sous-dotés en médecins qui sont de plus en plus nombreux et France, et peinent à attirer de nouveaux médecins, notamment pour les soins de premiers recours. Les centres de santé et maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) sont des lieux d’exercice collectif de proximité qui répondent à cette double attente. Ils permettent un exercice coordonné entre les différentes spécialités des médecins et autres professionnels de santé qui y travaillent et facilitent le partage du dossier médical, favorisant ainsi le suivi et la fluidité du parcours du patient.
(Sources : Rapport de la Cour des comptes de mai 2024 Observatoire de l’accès aux soins (ameli.fr) « l’organisation territoriale des soins de premier recours », enquête UFC Que Choisir 2024, Atlas de la démographie médicale 2025 – CNOM)
France Assos Santé appelle à renforcer le développement des maisons et centres de santé pluriprofessionnels, particulièrement dans les endroits sous-médicalisés. Ces lieux garantiront un égal accès à un suivi médical de qualité, en assurant la continuité des soins dans des conditions de proximité et de délais raisonnables. La prévention et la promotion de la santé seront aussi inscrites dans leur mission, conduites en lien avec les associations de santé présentes sur le terrain.
Le médecin traitant est le pivot d’une prise en charge optimale. Il connaît bien sa patientèle, garantit la coordination du parcours de soins. Mais le nombre actuel de médecins traitants est insuffisant pour permettre la viabilité, partout, de ce mode d’exercice.
Une prise en charge par une équipe traitante pluriprofessionnelle de proximité, structurée autour d’un projet de santé adapté au territoire, en lien avec les acteurs du second recours, permettrait d’offrir des solutions rapides et efficaces à des millions d’usagers tout en évitant les parcours de soins segmentés. Le médecin traitant resterait l’élément central de l’équipe. Pour autant, le rendez-vous obligatoire avec celui-ci ne serait plus indispensable pour avoir accès à un spécialiste, pour bénéficier du renouvellement d’une prescription ou encore d’une ALD.
L’infirmier-ère en pratique avancée (IPA) joue un rôle important dans ce fonctionnement en équipe, car elle instaure un véritable lien de confiance qui fluidifie le parcours de santé du patient, facilite son adhésion aux traitements et permet d’éviter les ruptures dans le parcours de soins. Le travail d’équipe dans lequel il s’inscrit permet d’appréhender le parcours du patient dans sa globalité via ses interactions avec les différents professionnels. Cette évolution doit être pérenne, et non pas transitoire, pour pallier le manque actuel de médecins.
Les structures telles que les maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP), les centres de santé, ou encore les équipes de soins primaires constituent des lieux privilégiés adaptés à ce travail en équipe.
France Assos Santé appelle à développer le travail en équipes de soins traitantes coordonnées, via notamment le déploiement sur tout le territoire des Infirmier-ères en Pratique Avancée (IPA), des Centres de santé, des Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), ainsi que des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé (CPTS) indispensables pour rassembler les besoins et gérer ces structures.
Accélérer le transfert de compétences pour libérer du temps médical et assurer un suivi aux patients
La pénurie de médecins sur le territoire nécessite de leur libérer du temps médical afin qu’ils puissent voir et suivre un plus grand nombre de patients. Pour cela, en complément du travail en équipe évoqué précédemment, un travail de transfert de compétences et de délégation de tâche est nécessaire.
Or, la France a une belle marge de progression dans ce domaine. De fait,, elle intègre beaucoup moins les professionnels paramédicaux dans le parcours de soins primaires des patients chroniques que ses homologues européens :
- Seulement 38% des patients chroniques ont bénéficié de l’intervention d’un auxiliaire médical dans l’éducation à la santé / prévention autour de leur pathologie (presque 2 fois moins que la moyenne de l’OCDE)
- 44% des patients chroniques voient uniquement des médecins dans leur parcours de soins primaires, soit 5 fois plus que la moyenne OCDE
France Assos Santé appelle à poursuivre et accélérer le partage de compétences, sur le modèle de la loi relative à l’évolution de la profession des infirmiers, ou encore le décret concernant les infirmiers en pratique avancée (IPA).
Au-delà des 11% de la population dépourvue de médecin traitant, 87% du territoire français est sous-doté en médecin, ce qui entraîne pour les patients concernés des renoncements aux soins, des retards de diagnostics qui engendrent des « pertes de chances » pour ces patients et une augmentation des dépenses en raison des pénalités de remboursement hors parcours de soins coordonné et des traitements plus onéreux nécessaires, avec un coût humain et social important (augmentation des effets indésirables, séquelles, perte d’emploi…).
En outre, on constate une dégradation de l’accès aux soins depuis la suppression de l’obligation pour les médecins de participer à la permanence des soins en ambulatoire (PDSA). Sur la base du volontariat, seuls 40% des médecins libéraux y contribuent, ce qui ne suffit pas à répondre aux besoins de la population sur le territoire. Le « désengagement des médecins libéraux » évoqué par le Conseil national de l’Ordre des médecins est particulièrement criant dans les déserts médicaux. Certes, la pénurie de médecins ne permet pas de couvrir le territoire de manière optimale. Cela dit, l’obligation de PDSA permettrait de limiter les problèmes d’accès et de décharger la minorité de médecins volontaires qui en assument actuellement la charge.
Et même si le nombre de médecins fraichement diplômés commence tout juste à augmenter grâce au déverrouillage du numérus clausus, mais eu égard à la moyenne d’âge élevée des médecins d’une part et à l’accroissement important des besoins de la population d’autre part, il faudra compter des années avant que l’offre suffise à combler les besoins. En outre, un nombre suffisant de médecins sur le territoire ne garantit pas un accès suffisant à tous, loin de là : en termes de densité (nombre de médecins pour 100 000 habitants), le creusement des inégalités entre territoires déjà constaté depuis de nombreuses années ne cesse d’augmenter. Ainsi, les zones déjà identifiées comme sous-dotées sont celles qui se « désertifient » le plus et le plus rapidement.
A titre d’illustration, depuis 2010, la Creuse a subi une variation de densité de – 17,2%, quand les Hautes-Alpes ont bénéficié d’une hausse de densité de + 36,2%. Et pour ajouter au tableau, la Creuse compte 46% de médecins de 60 ans et plus. C’est le cas, à 1% près, pour le Lot et Garonne, la Nièvre ou encore la Haute Marne. Et c’est pire en Lozère avec 49% de médecins de 60 ans et plus, et pour l’Yonne, avec 50%.
Ce tableau nous conduit à une proposition indispensable, complémentaire au déverrouillage du numérus clausus et apertus : la régulation de l’installation des médecins, qui ne devraient plus pouvoir s’installer dans les zones déjà suffisamment pourvues, mais être orientés en priorité vers les zones sous-dotées. Cette mesure serait complémentaire au pacte contre les déserts médicaux, qui, à elle seule, ne suffira pas.
(Source : atlas démographique médicale du Cnom 2025, Observatoire de l’accès aux soins – Assurance maladie, 2024, Cour des comptes 2024)
France Assos Santé réclame, à l’instar de la proposition de loi Garot :
- Une meilleure répartition sur le territoire des professionnels de santé, en commençant par la régulation de l’installation dans les zones suffisamment dotées des professionnels de santé afin de répondre aux besoins, dans un contexte de vieillissement de la population.
- Le rétablissement de l’obligation de PDSA (permanence des soins ambulatoires)
La suppression de la pénalité financière pour les personnes ne disposant pas de médecin traitant et se trouvant de fait hors du parcours de soins coordonné.
Force est de constater que de nombreux médecins s’installent dans le périmètre de leur lieu de formation. Selon une étude de l’INSEE, les médecins généralistes libéraux ayant commencé leur internat entre 2004 et 2007 s’installent souvent près de leur lieu de naissance ou d’internat. Il est donc pertinent d’étoffer le maillage de lieux de formation et de lieux de stage, ce qui impose d’en augmenter le nombre, ainsi que de permettre l’agrément d’un nombre suffisant de maîtres de stage. Il serait nécessaire également d’imposer un stage au moins en situation de travail en équipe (MSP, centre de santé…) pour favoriser ce mode de pratique pour lequel les jeunes médecins montrent une appétence, et dont les bienfaits pour des parcours patients sans rupture sont démontrés.
Source : étude INSEE de novembre 2024
France Assos Santé appelle à déployer sur le territoire la formation et l’internat, au-delà de la première année d’études de médecine et à imposer un stage au moins en situation de travail en équipe (MSP, centre de santé…), en priorisant les zones sous-dotées.
La télémédecine, popularisée lors de la crise sanitaire du Covid-19, devait initialement contribuer à réduire les inégalités d’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux. Pourtant, les usages observés révèlent un bilan contrasté. Cinq ans après le premier confinement, les patients utilisateurs sont majoritairement jeunes, urbains et socialement favorisés.
À l’inverse, les personnes précaires, âgées ou éloignées du numérique – près de 16 millions de Français – restent souvent exclues. En particulier les usagers qui vivent dans des villes de plus de 50000 habitants utilisent 6 fois plus la télémédecine que les autres. Il y a donc urgence pour que les possibilités de la télémédecine bénéficient en priorité aux patients en zone rurale touchés en premier lieu par la désertification médicale.
À l’échelle des territoires on observe cependant des dynamiques vertueuses en ce sens : des filières régionales de diagnostic dermatologique par télé-expertise médicale, des consultations spécialisées de suivi en gériatrie avec les EHPAD pour éviter l’envoi aux urgences des résidents faute de médecin disponible, ou encore la mise en place avec les organisations coordonnées territoriales de prise en charge des soins non-programmés grâce aux téléconsultations accompagnées par des infirmiers et pharmaciens, etc.
Ces initiatives portées par les acteurs de santé locaux, professionnels et organisations de santé, acteurs publics, etc. se basent sur des diagnostics locaux de santé pour répondre au plus juste aux besoins des usagers. Elles peuvent ainsi apporter une réponse pertinente qui tire le meilleur parti des ressources disponibles sur le territoire en présentiel et distanciel pour une meilleure entrée ou suivi dans le parcours de santé.
France Assos Santé appelle l’ensemble des acteurs de la santé dans les territoires à penser de nouveaux parcours de santé, pour le diagnostic et le suivi des patients, en intégrant la télémédecine. Pour que ces initiatives deviennent des solutions pérennes il sera indispensable qu’elles soient facilitées par les acteurs publics (Assurance maladie, Agences Régionales de Santé, etc.) notamment d’un point de vue économique.
Les difficultés de l’accès aux soins s’analysent aussi au regard du reste à charge, au-delà même de la pénurie de médecins sur le territoire. Ainsi, certains territoires peuvent avoir des médecins, mais s’ils pratiquent majoritairement les dépassements d’honoraires, l’accès aux soins restera tout aussi difficile pour une partie de la population que si le territoire était un désert médical. Rappelons que près de 75% des nouveaux médecins spécialistes qui s’installent le font en secteur 2 avec application de dépassements d’honoraires.
Les sondages récents effectués autour du renoncement aux soins indiquent tous un taux autour d’1/4 de la population qui renonceraient à des soins pour raisons financières.
Les restes à charge sont un poids de plus en plus lourd pour les personnes malades, en situation de handicap ou de perte d’autonomie : Les personnes en ALD ont un reste à charge 1.8 fois élevé que la population générale selon le dernier rapport de l’IGAS du printemps 2024. De plus de nombreux coûts liés à la santé ne sont pas identifiés dans les comptes sociaux, il s’agit des restes à charge invisibles qui selon notre enquête s’élèvent en moyenne à plus de 1550€ par an.
Les dépassements d’honoraires explosent : entre 2000 et 2024 le taux de spécialistes exerçant en secteur 2 a grimpé de 20 points passant de 37% à 56%. Par ailleurs en 2024, 75%% des nouveaux médecins spécialistes qui s’installent le font en secteur 2. En 2022, 64% de la population vivait dans un territoire où plus de 50% des spécialistes exerçaient en secteur 2.
L’évolution des dépassements d’honoraires ne fait qu’augmenter, entrainant des renoncements aux soins de plus en plus importants, avec des conséquences déjà connues d’aggravation et de complications de l’état de santé des usagers et d’hospitalisations plus couteuses.
A défaut d’une interdiction du secteur 2, des mesures correctives doivent être mises en place, afin d’aboutir à une offre de secteur 1 suffisante sur l’ensemble du territoire.
Source : Srapport IGAS/IGF de juin 2024, étude FAS d’octobre 2024, Enquête UFC Que Choisir de novembre 2024, sondage Yomini avril 2025, Rapport du HCAAM « Les dépassements d’honoraires des médecins : état des lieux », Enquête exclusive de France Assos Santé sur les coûts cachés de la santé : des résultats à charge
France Assos Santé appelle à :
- Durcir les conditions d’accès au secteur 2 (soit en fonction des territoires, soit critères d’ancienneté)
- Prévoir un temps obligatoire d’activité à tarif opposable pour l’ensemble des médecins libéraux
- Supprimer le secteur 2 au profit d’un secteur 2 OPTAM d’ici à 2 ans
