Monsieur le Premier ministre,
En tant qu’Union nationale des associations de patients et d’usagers du système de santé, associations présentes au quotidien sur l’ensemble du territoire, nous constatons la montée des inquiétudes parmi les usagers, confrontés à des difficultés croissantes face au système de santé. Nous souhaitons vous alerter sur le caractère profondément injuste et inefficace du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) déposé le 14 octobre 2025.
Si nous sommes bien conscients de la nécessité de maîtriser le déficit de la Sécurité sociale, nous considérons que les mesures proposées ne s’attaquent pas aux vrais problèmes. En faisant reposer l’effort principalement sur les personnes malades, ce PLFSS ne fera qu’aggraver les conséquences déjà constatées de la hausse des franchises et des restes à charge : l’accès aux soins se détériore, les inégalités d’accès s’accroissent, l’état de santé de la population se dégrade et la perte de confiance dans le système s’accélère.
A l’heure où nous célébrons les 80 ans de la Sécurité sociale, pilier de notre démocratie, nous réaffirmons notre opposition au principe des franchises et participations qui pénalisent les personnes ayant besoin de soins. Il n’est pas acceptable qu’une contribution soit assise sur le besoin de se soigner. A ce niveau de franchises et participations, nous le disons clairement : il ne s’agit plus d’un détricotage, mais d’une véritable démolition de notre protection sociale solidaire et universelle.
Nous rejetons également l’argument d’une prétendue « responsabilisation » des patients. Les patients ne sont pas responsables des actes, examens et traitements qui leur sont prescrits par leur médecin. Laisser entendre qu’ils choisissent de « surconsommer » les soins revient à les culpabiliser injustement. Ces mesures de « responsabilisation » reviennent en réalité à réduire la part prise en charge par la Sécurité sociale et à augmenter celle supportée par les personnes malades.
En témoigne le projet de décret visant à supprimer l’exonération du ticket modérateur des personnes en affection de longue durée (ALD) pour les médicaments remboursés à 15%. Cette mesure aura un impact majeur engendrant un reste à charge supplémentaire, direct ou indirect via une augmentation des cotisations de complémentaire santé. Certains médicaments, jugés « de confort », sont essentiels pour garantir l’adhésion aux traitements lourds et la gestion de leurs effets secondaires. Plus largement, cette mesure contribue à attaquer l’ensemble du système de prise en charge des ALD.
Selon notre dernière étude sur les restes à charges, les personnes atteintes de maladies chroniques ou en situation de handicap subissent des restes à charges de l’ordre de 2 000 € par an en moyenne. Un doublement des montants et des plafonds des franchises ainsi que des participations forfaitaires, leur extension aux consultations dentaires et la création d’un nouveau plafond spécifique aux transports sanitaires ne pourront qu’accentuer les difficultés financières d’accès aux soins, voire le renoncement aux soins que nous observons déjà chez une part significative de la population. Sur la ligne d’information juridique Santé Info Droits de France Assos Santé, le nombre d’appels relatifs aux franchises et participations forfaitaires a été multiplié par 5 en l’espace d’un an, témoignant de difficultés financières et d’inquiétudes croissantes sur la possibilité de continuer à se soigner.
En plus d’être injustes, ces mesures sont inefficaces sur le plan budgétaire. En effet, après un effet à court terme de transfert de charges vers les patients, l’impact du report et du renoncement aux soins entraînera un rebond des dépenses, lié à des soins plus lourds et plus coûteux.
Plutôt que de faire payer les patients, nous vous exhortons à mobiliser d’autres leviers autrement plus efficaces pour assainir les finances publiques tout en améliorant la qualité du système de santé. De nombreuses pistes ont été identifiées, par France Assos Santé mais aussi d’autres acteurs tels que l’IGAS, la Cour des comptes, le HCAAM et l’Assurance maladie :
- Agir sur la pertinence et la qualité des soins : mieux encadrer les prescriptions (de médicaments, examens et actes), notamment pour réduire la iatrogénie liée à la sur-prescription médicamenteuse ; réduire la part de tarification à l’acte en ville pour aller vers plus de financements à la capitation en équipe pluriprofessionnelle ; augmenter significativement la part de financement à la qualité en s’appuyant notamment sur l’adoption d’indicateurs rapportés par les patients, particulièrement dans l’application de protocoles de soins comprenant des programmes d’accompagnement pour les personnes atteintes de pathologies chroniques ;
- Adopter une politique de prévention volontariste, meilleur levier contre l’explosion des maladies chroniques : généralisation du Nutri-Score ; instauration d’un prix minimum pour l’alcool ; limitation de la publicité pour l’alcool et la malbouffe ; modulation de la TVA pour favoriser l’accès à une alimentation favorable à la santé, conformément aux repères du Plan National Nutrition Santé.
La question des recettes doit également être abordée. A tout le moins, nous demandons d’introduire dans le PLFSS 2026 des mesures permettant de générer des recettes tout en réduisant la consommation de produits néfastes pour la santé :
- Une taxation des contenus publicitaires qui font la promotion des produits trop sucrés, trop salés, trop gras ;
- Une taxe sur les sucres ajoutés dans les produits transformés destinés à la consommation humaine ;
- Une fiscalité incitative pour le secteur de la restauration rapide, en modulant le taux de TVA selon la qualité nutritionnelle des menus proposés ;
- Une taxation renforcée des publicités pour l’alcool.
Enfin, nous avons entendu vos engagements en matière d’accès aux soins, avec l’annonce du déploiement de 5 000 maisons « France Santé ». Leur mise en œuvre nécessitera un fort engagement de tous les acteurs sur les territoires. Pour obtenir des résultats concrets en matière d’accès aux soins pour tous, il faudra, outre les barrières financières d’accès que nous vous demandons de lever, qu’un ensemble de mesures courageuses soient prises, incluant la régulation de l’installation des médecins dans les zones suffisamment dotées et le renforcement de la permanence des soins ambulatoires.
Dans le cadre du débat sur le PLFSS 2026, les usagers de la santé, que nos associations représentent, attendent du gouvernement, des arbitrages plus favorables aux personnes malades et une vision plus ambitieuse de refondation de notre système de santé et de protection sociale, tout en préservant ses valeurs de solidarité et d’universalité.
Nous souhaitons aussi que les réformes structurelles nécessaires soient construites avec les associations représentant les patients et les usagers de la santé.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre sincère considération.
Gérard Raymond
Président de France Assos Santé
Copie : Madame Stéphanie Rist, ministre de la Santé, des Familles, de l’Autonomie et des Personnes handicapées
