Le rapporteur du Parlement européen, Tomislav Sokol, député croate du PPE, a présenté le 1er septembre son rapport préliminaire concernant le projet de règlement sur les médicaments critiques, qui devrait permettre de renforcer la production et de sécuriser l’approvisionnement de ces médicaments en Europe. Si les amendements proposés ont été bien accueillis par les députés de la commission de la santé en charge du dossier, les usagers et patients que nous sommes sont moins enthousiastes.
Ce que propose la Commission européenne
Si la nécessité de redéployer en Europe la fabrication de médicaments critiques, pour lesquels un approvisionnement insuffisant peut entraîner un préjudice grave pour les patients, ne fait pas débat dans un contexte d’explosion des pénuries, les modalités pour « rapatrier » une production largement exportée dans des pays à bas coût (Inde et Chine notamment) sont plus complexes.
Le texte proposé par la commission prévoit ainsi la création de « projets stratégiques », qui bénéficieraient d’un soutien administratif et réglementaire, mais aussi de financements nationaux ou européens, afin d’aider les opérateurs économiques à accroître la production de ces médicaments ou des substance actives nécessaires à leur élaboration au sein de l’Union européenne (UE). Il ouvre aussi la possibilité de réaliser des achats conjoints, pour leur permettre aux États membres d’acquérir plus facilement et à moindre coût des médicaments critiques et des médicaments d’intérêt commun, pour lesquels l’accès ne serait pas garanti par le fonctionnement du marché dans 3 pays ou plus.
Les améliorations apportées par le Rapporteur
Tomislav Sokol n’est pas resté complètement sourd aux demandes des patients. Il a, en particulier, accueilli notre demande d’être représentés, au même titre que les États membres (2 membres de plein droit), au sein du groupe de coordination pour les médicaments critiques, qui gèrera l’ensemble du dispositif.
Il a également renforcé les obligations à la charge des industriels qui recevront des financements et établi le principe du reversement des aides perçues, éventuellement couplé avec des sanctions, en cas de non-respect de ces obligations.
Un élargissement du champ d’application qui dénature l’objectif du texte initial
Alors que les projets stratégiques et les aides publiques devraient être réservés aux médicaments critiques, surtout ceux présentant des risques de pénuries, le rapporteur propose qu’ils soient également accessibles aux médicaments d’intérêt commun, dont il élargit la définition pour y inclure notamment tous les médicaments orphelins. Le renforcement des chaînes d’approvisionnement de médicaments critiques n’est donc plus l’objectif premier du texte. Désormais, il vise à soutenir la compétitivité du secteur pharmaceutique de l’UE dans son ensemble, sans identifier de budget ad hoc pour financer les mesures proposées – il se contente de citer le budget général de l’union.
Une gestion commune des stocks contraignante
Les mesures nationales imposant aux industriels la constitution de stocks de sécurité, comme c’est le cas en France pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (2 mois), sont un sujet qui divise les États membres et suscite depuis toujours l’opposition farouche de l’industrie, en particulier des producteurs de médicaments génériques.
Si la Commission européenne proposait simplement de s’assurer que ces mesures soient proportionnées et sans incidence sur les autres États membres, Tomislav Sokol la charge d’adopter des actes délégués pour fixer des niveaux maxima de stocks, entre autres. Il propose également de mettre en place un mécanisme de coordination à la main de la commission, qui contrôlerait en permanence l’état des stocks et imposerait des mesures de redistribution en cas de pénurie. Enfin, il suggère la création d’un stock européen de médicaments, qui serait financé par le budget général de l’UE.
Si ces propositions reflètent l’intention louable d’assurer davantage de transparence et d’équité, elles imposent de mettre en place des mesures contraignantes et complexes, faisant fi de l’existant. France Assos Santé préconise au contraire de considérer les stocks nationaux de sécurité comme une opportunité et non comme un obstacle, en faisant en sorte qu’ils soient mobilisés plus régulièrement pour pallier les pénuries dans d’autres États membres, dans le cadre du mécanisme européen de solidarité – qui a déjà permis à 11 reprises de venir en aide à des pays en difficulté.
De nombreux « cadeaux » aux entreprises
Parmi les contributions des représentants d’intérêt, dont le rapporteur dit s’être inspiré, près de 60 % proviennent de firmes pharmaceutiques ou d’associations d’entreprises. C’est donc sans surprise que l’on y identifie de nombreuses mesures favorables à l’industrie, mais contraires aux intérêts des patients et/ou de la santé publique.
- Les multiples amendements imposant de consulter, voire de prendre des décisions « en coopération avec les acteurs économiques » font craindre la mise en place d’un système « cogéré » avec les industriels, qui deviendraient, ainsi, à la fois juges et parties ;
- L’invitation à supprimer les entraves à la production de médicaments, qui résulteraient des règles protectrices de l’environnement ou encadrant l’utilisation des produits chimiques, pourrait aboutir à un démantèlement d’un cadre réglementaire protecteur de la santé publique ;
- Le texte limite la possibilité de recourir aux achats conjoints pour les « États membres avec une situation épidémiologique ou économique similaires » et impose des flexibilités réglementaires en cas de tels achats, à l’instar de l’utilisation exclusive de la notice électronique, mesure contre laquelle les associations d’usagers et de patients se sont unanimement prononcés.