Dépassements d’honoraires : à l’hôpital, en ville, même combat !

Sur un  total de quelque 45 000 praticiens exerçant à l’hôpital public, 4 524 y exercent une activité privée. Parmi eux, plus de 1 800 relèvent du secteur 2 et peuvent ainsi fixer librement leurs honoraires pour la part d’activité libérale autorisée, correspondant à 20% de leur temps.

 

Pourquoi l’exercice d’une activité libérale à l’hôpital est-elle permise ?

 

Le régime de retraite des Professeurs d’Universités / Praticiens Hospitaliers (et Maîtres de Conférence des Universités – Praticiens Hospitaliers (MCU-PH) – tous deux fonctionnaires titulaires -, s’est longtemps singularisé par la seule prise en compte des revenus tirés de l’activité universitaire, l’activité hospitalière n’étant pas soumise à cotisations au régime vieillesse de base.

Mais en 2007, ont été instaurés deux dispositifs de retraite distincts et cumulables assis sur les émoluments hospitaliers.

 

La retraite de l’hospitalier non universitaire – salariés du secteur public – est constituée de l’association de deux régimes obligatoires : la retraite de la Sécurité Sociale et sa complémentaire obligatoire, complétées le cas échéant par la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF), pour ceux qui ont un secteur privé, et par les retraites complémentaires non obligatoires.

 

L’autorisation pour les praticiens d’exercer à temps plein à l’hôpital en 1987(1)  devait ainsi permettre aux hospitaliers d’améliorer leurs revenus de retraite.

Mais depuis, plusieurs dispositions réglementaires ont enrichi leurs régimes de retraites avec des dispositifs additionnels qui réduisent la vocation initiale de l’activité libérale à l’hôpital.

 

En réalité, plus qu’un complément de retraite, l’activité libérale procure un complément de salaire potentiellement substantiel à ceux qui l’exercent… Un avantage souvent invoqué par les directeurs d’hôpitaux comme un moyen d’attacher les praticiens à l’exercice hospitalier qui sans cela, est-il dit, s’en iraient exercer en clinique, à l’étranger ou ailleurs…

 

Dans quelles conditions l’activité libérale doit-elle s’exercer à l’hôpital ?

 

Si les médecins hospitaliers peuvent avoir une activité libérale à l’hôpital, ils ne peuvent toutefois pas y consacrer plus de 20% de leur temps.

 

En outre, les honoraires médicaux doivent être fixés avec tact et mesure (2) et les praticiens ne peuvent pas facturer des dépassements aux usagers bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle complémentaire (CMU-c).

 

Par ailleurs, la consultation en secteur libéral ne doit pas être une orientation proposée pour réduire les délais d’attente.

 

Pourquoi l’activité libérale de certains praticiens hospitaliers introduit-elle le débat sur la légitimité des dépassements d’honoraires ?

 

En 2007, l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) relevait l’existence de pratiques tarifaires clairement constitutives d’abus. Elle indiquait que « les taux de dépassement les plus élevés [étaient] concentrés dans les mêmes régions et disciplines que pour les établissements privés mais [qu’] ils [étaient] en moyenne deux fois plus élevés que dans les établissements privés. »

 

En mars 2012, 60 millions de Consommateurs (3) relève des dépassements d’honoraires moyens de l’ordre de 680 euros pour la pose d’une prothèse de hanche, de 340 euros pour une opération de la cataracte, de plus de 1 000 euros pour une ablation de la prostate !

 

Non seulement de tels excès ne se justifient pas mais, surtout, ils génèrent des inégalités, entre les usagers qui peuvent payer pour couper la file d’attente des soins hospitaliers – les consultations ou interventions effectuées en libéral étant de fait plus rapides – et les autres.

Et puis comment comprendre et accepter que dans une enceinte chargée d’une mission de service public, les fonctionnaires et les salariés puissent exercer une activité privée, parfois fort rémunératrice, anti-déontologique et susceptible de concurrencer l’activité de leur administration ? Comme si un enseignant pouvait consacrer 2 demi-journées par semaine à donner des cours payants (mettons 60 euros de l’heure) à des élèves au sein même de l’école…

 

Les hôpitaux tirent-ils profit de l’activité libérale de leurs praticiens ?

 

Une redevance est due à l’établissement par les praticiens qui exercent une activité libérale. Elle est fixée en pourcentage des honoraires qu’ils perçoivent au titre de cette activité, et non plus sur le tarif de la Sécurité sociale (4).

 

Le taux de la redevance mentionnée à l’article L. 6154-3  est ainsi fixé :

 

– Consultation : 25% pour les Centres Hospitaliers Universitaires (CHU), 15% pour les Centres Hospitaliers (CH).

– Actes autres que les actes d’imagerie, de radiothérapie, de médecine nucléaire, de biologie : 40% pour les CHU, 20% pour les CH.

– Actes d’imagerie, de radiothérapie, de médecine nucléaire, de biologie : 60% pour les CHU et pour les CH.

 

Selon l’enquête de 60 millions de Consommateurs précitée, « en 2009, par exemple, les médecins exerçant en libéral au CHU de Nice lui ont versé près de 910 000 euros de redevance, soit en moyenne 20 000 euros par praticien. »

 

La réponse est donc oui, la prise d’intérêt des hôpitaux dans l’activité libérale exercée avec dépassements d’honoraires est évidente et interroge quant à leurs responsabilités s’agissant de la flambée des tarifs médicaux facturés en leur sein, par leurs praticiens.

Les agissements d’une personne recevant des subsides d’une autre se livrant habituellement à des actes illicites (un dépassement de 1 200 euros pour une hernie discale au CHU de Lille n’est-il pas une escroquerie ?) trouvent une qualification particulière en droit français…

 

Pourquoi faut-il maintenant encadrer les dépassements d’honoraires, qu’ils soient facturés par les praticiens hospitaliers ou par les médecins exerçant en cabinet de ville ?

 

Tout d’abord, il semblerait que les hôpitaux peinent à contrôler le respect de la limite de temps dédié à l’activité libérale des praticiens hospitaliers, ce qui, dans certains cas, peut déséquilibrer la nature de l’offre de soins, tirés vers le privé, dans les murs mêmes de l’hôpital.

 

Il existe bien, au sein de  chaque établissement dans lequel s’exerce une activité libérale, une commission d’activité libérale chargée de veiller au bon déroulement de cette activité et la loi HPST de 2009 prévoit même qu’un représentant  des usagers y siège. Tous les six mois, en principe, les organismes d’assurance maladie communiquent au directeur de l’établissement de santé et au président de la commission de l’activité libérale, les informations sur les honoraires, le nombre et le volume des actes effectués par les praticiens concernés.

Est-ce bien le cas dans les faits ? Ces commissions disposent-elles des moyens leur permettant d’exercer véritablement et efficacement leur rôle de vigie ?

Commençons donc par mieux contrôler le respect des règles de l’activité libérale à l’hôpital, l’administration en sortira grandie et l’égalité d’accès aux soins sera servie

 

Ensuite, le CISS, mais il n’est pas le seul, souhaite l’encadrement des tarifs médicaux face auxquels des milliers d’usagers se trouvent démunis. De l’aveu même de près de 200 médecins hospitaliers dans un appel lancé aux candidats à la présidentielle(5), les « dérives de l’exercice privé à l’hôpital public » sont déplorables.

Les signataires vont jusqu’à demander « au gouvernement d’examiner avec les professionnels les conditions pour que soit mis fin à l’exercice privé au sein de l’hôpital public ».

La limitation des dépassements d’honoraires en ville est également proposée en même temps qu’une revalorisation des tarifs remboursés par la Sécurité sociale.

 

Il est urgent de traiter le bégaiement des mesures contre les dépassements d’honoraires pour aborder la problématique de front et dans son ensemble car si les dérives sont inacceptables à l’hôpital, elles ne le sont pas moins en ville.

 

Ce n’est pas à l’intérieur des bordures étroites de l’hôpital que l’on doit concevoir les solutions contre les dépassements d’honoraires – sauf à en interdire la facturation par les praticiens hospitaliers  – car les difficultés d’accès aux soins vécues par les usagers sont partout, à l’hôpital comme en ville, en médecine comme en dentaire, à Paris comme à Montpellier.

 

Lequel des candidats à l’Elysée avancera la seule bonne idée qui vaille et qui consiste à encadrer effectivement et strictement les tarifs médicaux pour interrompre la logique inflationniste qui explique en partie que la santé soit la deuxième préoccupation principale des Français ?

 


(1) Loi n°87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’ordre social.

(2) Article R. 4127-53 du Code de la Santé publique.

(3) 60 Millions de Consommateurs, n°469, mars 2012.

(4) Décret n° 2008-764 du 15 mai 2008.

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