Comment assainir notre rapport aux médicaments ? Les pistes de réponse des Professeurs BEGAUD et COSTAGLIOLA

Comment assainir notre rapport aux médicaments ? Les pistes de réponse des Professeurs Bernard BEGAUD et Dominique COSTAGLIOLA

 

Le rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France[1] n’y va pas par quatre chemins pour souligner les dysfonctionnements de ce que nous serions tentés d’appeler un système par la force duquel la France est devenue « l’un des pays dans lequel les prescriptions et l’usage irrationnel sont les plus prévalents », même si, étonnamment, « aucune étude ou programme n’a depuis plus de 20 ans permis d’estimer la proportion ou le nombre des prescriptions non conformes et l’ampleur de leurs conséquences néfastes, tant au plan clinique, sanitaire et économique ».

 

Selon  les auteurs, en sus du « hors AMM » ou du « hors AMM justifié », deux autres facteurs sont à l’origine de ces dysfonctionnements :


– une surconsommation notable de nombreux médicaments : les auteurs rappellent qu’en 2007, la France était en tête de la consommation pour 6 des 9 classes étudiées par l’Assurance Maladie dans 5 pays européens (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni et France). Les 6 classes concernées étaient les antidiabétiques, les antibiotiques (malgré une nette baisse depuis 2001),  les hypocholestérolémiants dont les statines, les antidépresseurs, les antalgiques non narcotiques et les tranquillisants (avec en particulier un usage excessif et trop prolongé des benzodiazépines, dont 114 millions de boîtes se vendent chaque année) ;


– des reports de prescriptions insuffisamment préparés et suivis : des nouveautés, parfois mal tolérées, ont pu être prescrites massivement à la place d’anciennes molécules, alors qu’elles ne convenaient pas forcément à certains patients. Autre facteur de report de prescriptions : les vagues de déremboursements successives de médicaments, remplacés par des spécialités « souvent plus coûteuses et parfois mal tolérées ». Ces conséquences négatives sont « en général ignorées ou sous-estimées par les autorités sanitaires ».

 

L’impact sanitaire et économique « est, de toute évidence, considérable », estiment les auteurs, citant notamment le chiffre de 10 à 30 000 décès attribuables chaque année à un accident médicamenteux et les comptes profondément déficitaires de l’Assurance maladie.

 

De plus, plusieurs crises sanitaires, internationales (grippe A/H1N1) mais aussi spécifiquement françaises (vaccin contre l’hépatite B, MEDIATOR, DIANE 35, etc.) ont entraîné « une gestion incessante de l’urgence [qui] nuit à la sérénité des décisions » et altèrent l’image de l’ensemble du système.

 

Afin de tenter d’agir sur ces surconsommations, mésusages, accidents médicamenteux et altération de la confiance, les auteurs préconisent de renforcer la formation, l’information, et de mieux suivre les prescriptions. En ce sens, les auteurs proposent :

  • La création d’une « structure organisant et facilitant l’accès, pour les autorités sanitaires et les chercheurs (dont le rôle d’appui méthodologique et de lanceurs d’alerte est essentiel), aux différentes sources de données en santé pertinentes en ce domaine ». Le débat sur l’accès aux données de santé se justifie complètement dans ce contexte où des vies humaines sont mises en péril par l’administration de médicaments à cause de certaines pratiques clairement inappropriées.
  • « Une meilleure formation et information des professionnels de santé et du grand public, bien mal préparés en France aux principes de base de la bonne prescription et du bon usage des produits de santé ».

Sur ce point, le CISS insiste sur la nécessité de porter une attention particulière sur les usages de certains praticiens qui tantôt s’adonnent à la prescription intensive, tantôt prennent des libertés inconsidérées avec les indications de l’autorisation de mise sur le marché, tantôt établissent des ordonnances à l’aveugle sans connaître les traitements en cours en l’absence de dossier médical personnel traçant l’histoire de leurs patients, tantôt font le choix de la nouveauté aux dépens de l’efficacité thérapeutique.

 

Juste un exemple pour illustrer la pertinence des questions soulevées dans ce rapport : la consommation de psychotropes

En France, on compte 5,6 millions d’adultes ayant une consommation « régulière » de médicaments liés à la santé mentale parmi lesquels les consommateurs d’antidépresseurs sont les plus nombreux (2,5 millions de personnes).

 

Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, en 2011, 19% des jeunes scolarisés de 16 ans ont fait l’expérience des médicaments psychotropes (tranquillisants ou somnifères).

 

Chez les jeunes de 17 ans, 15 % ont déjà pris au cours de leur vie des anxiolytiques, 11 % des hypnotiques et 6 % des antidépresseurs.

 

La synthèse des résultats des enquêtes épidémiologiques sur la consommation de médicaments psychotropes fait apparaître qu’un Français sur quatre a consommé au moins un médicament psychotrope au cours des douze derniers mois et qu’un Français sur trois en a déjà consommé au cours de sa vie. Le constat est donc celui d’« une banalisation du recours à ces médicaments au sein de la population française ».

 

Les comparaisons européennes permettent de mieux saisir les particularités de la consommation française et montrent que « la part de la population ayant pris un psychotrope au cours des douze derniers mois est deux fois supérieure à la moyenne des pays européens limitrophes à la France »[2].

 

Les « troubles » n’ayant entraîné ni hospitalisation ni entrée en ALD « mais ayant amené les individus à une consommation régulière de médicaments psychotropes » ont représenté une dépenses de 8,5 milliards en 2011[3]



Les auteurs du rapport Dominique COSTAGLIOLA et Bernard BEGAUD ont raison de dénoncer le mésusage du médicament et chacun doit maintenant et urgemment prendre conscience des risques que comportent l’acte de commercialiser, l’acte de prescrire et celui de consommer des substances actives aux effets parfois dévastateurs.


Les pouvoirs publics sont invités par les auteurs du rapport à prendre des mesures pour, notamment, mieux encadrer la prescription des médicaments en France… Pas simple, mais indispensable.



[1] Rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France, Bernard Bégaud, Dominique Costagliola, septembre 2013. Consulter le rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France

 

[2]  Rapport sur le bon usage des médicaments psychotropes, par Mme Maryvonne BRIOT, Députée, 21 juin 2006.

 

[3] Données issus du rapport au ministre chargé de la sécurité sociale et au Parlement sur l’évolution des charges et des produits de l’Assurance maladie au titre de 2014.

 

 

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