« La priorité serait de reconstruire Mayotte à 100 % »

Où en est Mayotte un peu plus de six mois après le passage dévastateur du cyclone Chido, le 14 décembre 2024 ? Le bilan humain officiel est de 40 morts, 41 disparus et des milliers de sinistrés. Mais les urgences demeurent : les crises structurelles, sociale, sanitaire, migratoire, sans oublier le problème de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement, auxquelles est confronté le territoire depuis des décennies, se sont en effet aggravées. On fait le point avec la présidente de France Assos Santé Mayotte, Antufaty Hafidhou, qui était de passage dans l’Hexagone, la semaine dernière, pour assister, le 26 juin, à l’Assemblée générale annuelle de France Assos Santé.

A quoi le département de Mayotte ressemble-t-il aujourd’hui ?

Antufaty Hafidhou – Six mois après les ravages causés par le cyclone, Mayotte n’a guère changé. La population attend, avec une certaine impatience, les aides de l’Etat pour pouvoir reconstruire Mayotte. Le projet de loi de programmation pour sa refondation sera définitivement adopté ce 1er juillet à l’Assemblée nationale, mais sa mise en place va prendre du temps, et ne commencera pas de toute façon avant début 2026. Donc l’agonie des Mahorais ne s’arrêtera pas tout de suite.

L’environnement donne-t-il des signes de changement ou de reprise d’une vie à peu près normale ? 

A. H – Les débris, ruines d’immeubles ou de maisons anéantis, n’ont pas encore été tous ramassés. Et bien entendu, toutes les habitations ne sont pas réparées, j’ai une sœur, par exemple, qui tremble à chaque fois qu’il pleut, car elle n’a qu’une bâche pour s’en protéger. Or les pluies sont fortes dans cette région. Beaucoup d’arbres ont été arrachés, or leurs fruits sont une source d’alimentation pour la population. D’ordinaire, on se débrouille avec nos produits locaux, mais il va falloir attendre quelques années avant que les arbres donnent à nouveau des fruits, je pense aux cocotiers, par exemple. On se tourne donc vers les produits alimentaires importés. Encore faut-il en avoir les moyens : les prix à Mayotte sont parmi les plus élevés d’Europe et ne cessent d’augmenter. Or les salaires, eux, ne bougent pas.1 Et, par ailleurs, il faut composer avec les pénuries. Le réapprovisionnement d’un produit peut prendre entre une et plusieurs semaines. Pour ce qui est des yaourts, par exemple, il faut souvent attendre deux à trois semaines pour en trouver à nouveau dans les rayons des magasins.

Un risque de dénutrition est-il à redouter ?   

A. H – Les Mahorais sont habitués de se nourrir de peu, ce qui explique d’ailleurs que, dans les statistiques, la malnutrition ne ressorte pas. Mais aujourd’hui, force est de constater que tous les Mahorais ne peuvent pas accéder aux denrées importées, faute de moyens suffisants, ni compter sur les cultures vivrières.

Que sont devenus les bidonvilles révélés suite à la chute des arbres ?

A. H – C’est ce qui a été le plus rapidement reconstruit ! Tous les bidonvilles ont été rebâtis. A la suite du passage de Chido, nous craignions de découvrir sous les amas de taules des dizaines de victimes. La réalité est que les habitants de ces bidonvilles ont de toute évidence su se protéger. Et leur première urgence a été de reconstruire leurs abris, en récupérant les taules qui s’étaient effondrées ou envolées. Tout est revenu à l’identique, de ce point de vue.

Est-ce le cas aussi pour l’accès à l’eau potable, insuffisant depuis des années ?

A. H – Il y avait déjà une urgence il y a six mois, autant vous dire que ça ne s’est pas arrangé. Et la situation va encore se dégrader avec la saison sèche. Les coupures sont toujours là : concrètement, on a accès à de l’eau potable entre un jour sur trois/ un jour sur deux Mais on n’est pas assuré qu’elle le soit vraiment, potable. Quand vous avez des enfants, c’est compliqué. Dans tous les cas, il faut acheter de l’eau pour boire. Une usine de dessalement est en cours de construction, dont le projet est piloté par le syndicat des communes de Mayotte, mais elle sera opérationnelle seulement en 2027. Et on espère que sa capacité de production sera en adéquation avec les besoins de la population.

Immédiatement après le passage de Chido, des médecins, des instituteurs aussi, ont quitté Mayotte. Sont-ils revenus ?     

A. H – Avant Chido, Mayotte était un désert médical. Aujourd’hui, il l’est plus encore. Les soignants qui sont partis, et dont le logement a été endommagé par le cyclone, ne sont pas revenus. Le gouvernement a mis en place, avec les autorités du département, des aides pour attirer davantage de personnels soignants. On verra si cela suffit pour faire venir des professionnels de santé. Quant à l’école, si elle fait avec les effectifs en présence, elle doit aussi composer avec les dégâts occasionnés dans certains établissements. Le nombre de classes, et donc d’heures, a été réduit, ce qui fait que pour la fin de l’année scolaire 2024-2025, il n’y a pas eu d’épreuves sur table. Le baccalauréat s’est limité au contrôle continu.

Pour revenir à l’accès aux soins, c’est extrêmement tendu…         

A. H – Depuis deux ans pratiquement, il n’y a plus de maternité de proximité. Il n’y a plus que la maternité de Mamoudzou, qui n’est pas dans la capacité d’accueillir toutes les parturientes. Le taux de natalité à Mayotte est le plus élevé de France, avec près de 9 000 naissances en 2024. Même en légère baisse par rapport à 2023, ce chiffre reste important, notamment pour ce qui est de la scolarité de tous ces enfants, au regard des conditions décrites auparavant. La maternité du CH de Mamoudzou demeure la plus grande maternité de France et même d’Europe avec des moyens qui ne sont pas à la hauteur !

Qu’est devenu l’hôpital de campagne qui a été monté après le passage du cyclone ?

A. H – Les Mahorais ont découvert du jour au lendemain qu’il avait disparu. On ne sait même pas pourquoi ni comment il a été décidé de le supprimer. Or, il y a beaucoup de maladies chroniques à Mayotte, comme le diabète. En 2019, on estimait que 12,1 % des 18-69 ans étaient touchés – contre 5,7 % dans l’Hexagone. Dans le même temps, l’incidence du cancer, du sein et de la prostate en particulier, ne cesse d’augmenter, de manière même alarmante. Mais on manque de spécialistes dans ces domaines. Quand on est malade, et si on a les moyens et/ou de la famille sur place, on part se soigner à La Réunion ou dans l’Hexagone. Mais ce n’est pas pris en charge, ou très peu, et, pour la personne qui doit se déplacer loin de ses proches, c’est très déstabilisant. Les évacuations sanitaires (Evasan) ne sont pas la solution : il faut installer les moyens nécessaires pour se soigner à Mayotte.

Et qu’en est-il de la santé mentale, notamment chez les jeunes de moins de 20 ans qui représentent 55 % de la population mahoraise ?

A. H – Il n’y a aucun accompagnement, faute de spécialistes suffisants dans le secteur de la psychiatrie. Or les besoins qui préexistaient à Chido ont évidemment empiré. Un jeune qui va à l’école et qui voit l’état de dégradation de son établissement n’a pas forcément une vision très optimiste de son avenir. Le risque, c’est ce que cela finisse par imploser. Il faudrait vraiment mettre en place des mesures de prévention et d’évaluation. Pour la problématique de la santé mentale, comme dans bien d’autres domaines, à Mayotte, nous manquons de données pour évaluer l’ampleur des phénomènes. C’est un peu comme si les autorités se disaient, « pas de données, pas de problèmes » !

Les associations de patients réussissent-elles à se faire entendre auprès des autorités sanitaires ?

A. H – Nous ne baissons pas les bras, tout comme les personnels soignants également mobilisés à nos côtés sur ce problème d’accès aux soins. Recevoir entre 60 et 80 patients par jour ne permet pas d’assurer des consultations en bonne et due forme. Et actuellement, nous devons de surcroît faire face à l’épidémie de Chikungunya, particulièrement virulente cette année.2 Le problème, c’est que notre agence régionale de santé (ARS) fait la sourde oreille. Nous n’avons jamais aucune réponse à nos demandes. Nous ne savons même pas combien il y a de représentants des usagers à Mayotte. Nous allons devoir alerter le ministère de la Santé pour essayer de changer cela. Lorsque je viens à une Assemblée Générale de France Assos Santé, comme celle de ce 26 juin, et que je rencontre mes homologues des autres régions, je prends conscience que notre lien avec l’ARS n’est pas normal. Partout ailleurs, le lien avec l’ARS est très important, ponctué par des rencontres régulières et des échanges permanents !

N’est-ce pas usant ? 

A. H – C’est surtout compliqué pour nous, associatifs et représentants des usagers. On se retrouve devant des patients auxquels on ne peut fournir aucune réponse. On est censé pouvoir les accompagner, mais en raison de cette absence de contact avec l’ARS, on ne peut pas remplir notre mission. C’est très lourd à supporter.

S’il y a avait une mesure à prendre rapidement, quelle serait-elle pour vous ? 

A. H – La priorité serait de reconstruire Mayotte à 100 %. Se contenter de remettre un territoire comme le nôtre à niveau n’aurait aucun sens dès lors qu’il est depuis plusieurs années au niveau zéro. Avant Chido, il fallait déjà reconstruire Mayotte. Chido n’a fait que confirmer cet impératif. On parle beaucoup de Mayotte depuis janvier 2025. De nombreux envoyés spéciaux du gouvernement sont venus, le sénateur mahorais Thani Mohamed Soilihi a été nommé ministre délégué chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux dans le gouvernement Bayrou, mais notre voix a toujours du mal à être entendue.

 

1 D’après les chiffres de l’Insee, le salaire mensuel moyen à Mayotte est de 1 042 euros par mois. 

2 Selon Santé publique France, chikungunya a causé la mort de 20 personnes à La Réunion – bilan du 4 juin. 

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