Face à la pénurie de dermatologues, plusieurs pharmacies proposent désormais des services de téléexpertise dermatologique. Des dermatoscopes – du nom de l’appareil utilisé pour observer avec précision les grains de beautés et autres lésions cutanées –, connectés et dopés à l’IA assurent des diagnostics plus rapides pour les cancers de la peau, de type mélanomes. Présentés comme des solutions innovantes et pratiques, ces dispositifs séduisent les officines et les patients par leur accessibilité et la rapidité des résultats. Mais derrière la promesse, de nombreuses zones d’ombre subsistent, notamment en matière de qualité, de sécurité… et de droits des patients.
Des dispositifs aux certifications incertaines, des patients mal informés
Ces services reposent souvent sur des outils intégrant de l’IA, capables de scanner une lésion cutanée pour en évaluer la nature ou orienter vers un avis spécialisé. Pourtant, plusieurs de ces appareils mis sur le marché et à disposition en pharmacie ne disposent pas de certification médicale solide concernant leur efficacité ou leur sécurité comme le soulignait récemment la Société Française de Dermatologie.. Leur utilisation peut donc s’accompagner de risques majeurs, à commencer par des erreurs d’interprétation. Des erreurs potentiellement graves dans le cas des cancers de la peau (mélanomes), comme le rapporte Pascale Benaksas, présidente de l’association France Asso Cancer et Peau : « Des signalements nous sont remontés actuellement de la part de patients faussement rassurés. L’outil leur dit que la lésion analysée est « verte » zéro risque, mais heureusement que certains consultent quand le doute subsiste, à l’instar de cette patiente qui, peu après, a reçu de son médecin un diagnostic de mélanome déjà avancé qui touchait les ganglions. Si cela avait été détecté correctement plus tôt, cela lui aurait épargné chirurgie et traitements anticancéreux ». Un constat partagé par Philippe Bergerot, président de la Ligue nationale contre le cancer. « En l’état, ces outils ne fluidifient pas le système, ils peuvent même le compliquer. Pour autant, les dispositifs de télédiagnostic fleurissent, sans réelle garantie pour les patients », explique-t-il.
Au-delà de l’IA, qui peut faire des erreurs, c’est aussi l’engagement de relecture par des professionnels qui pose question. Alors que ces services sont présentés comme des téléexpertises médicales avec un avis rendu systématiquement après envoi des images, certains ne font en réalité pas vérifier les clichés des dermatoscopes par un médecin spécialiste, ou uniquement en cas de signalement par l’intelligence artificielle. Ce qui n’est guère plus rassurant quand celle-ci n’a justement pas été éprouvée, note Pascale Benaksas : « Si les clichés moulinés par ces algorithmes ne sont vérifiés par un médecin spécialiste que lorsque l’IA pense avoir trouvé quelque chose de suspect, c’est évidemment un problème quand l’IA n’est pas éprouvée, et plus encore quand les annonces commerciales affirment le contraire ».
Cette absence de supervision par un dermatologue qualifié, malgré les messages publicitaires, constitue ni plus ni moins un manquement à l’information claire et loyale des patients qui accordent leur confiance à ces dispositifs. Ces derniers ne sont pas les seuls à être floués par certaines de ces offres puisque les pharmacies qui proposent ces services n’ont pas toujours connaissance du degré de certification de ces outils ou ne le vérifient pas toujours. Faute de vigilance et de formation sur les enjeux de l’IA, il est facile de faire confiance aux discours marketing tant la promesse d’amélioration de l’accès aux soins est alléchante. « Depuis début juillet, nous avons commencé à alerter et, surprise, nous observons que les services en question changent leurs slogans et promesses publicitaires, preuve qu’ils avaient des choses à se reprocher », rapporte la présidente de France Asso Cancer et Peau.
Une vigilance collective s’impose
France Assos Santé alerte donc les usagers et les professionnels de santé sur la situation. L’usage de ces technologies numériques doit s’appuyer sur un triptyque non négociable dans le cadre du diagnostic médical : une information claire et loyale des usagers, des technologies certifiées de manière robuste et indépendante, une supervision humaine pour la validation et l’annonce du diagnostic. Des enjeux de santé publique rappelés par Philippe Bergerot : « Il faut assurer une évaluation indépendante de ces dispositifs, garantir, un encadrement des pratiques et intégrer ces technologies dans des réseaux territoriaux permettant une supervision par des dermatologues, sans quoi les promesses contenues dans ces technologies risquent de tourner au leurre ». Chantal Cateau, présidente du Lien, l’association qui défend les victimes d’accidents médicaux, appelle, pour sa part, les pharmaciens à la prudence « Ils sont garants de la sécurité et de la qualité des services qu’ils proposent aux patients, ce qui concerne évidemment les dispositifs avec de l’IA embarquée. Les pharmaciens ont le devoir de vérifier les caractéristiques de ces outils. » A cet égard, elle souligne le retard des professionnels de santé de ville : « Les établissements de santé sont évalués par la Haute Autorité de santé, dans la cadre de la certification qualité, sur leurs processus d’achat des dispositifs médicaux numériques et de contrôle qualité à l’usage. Il est urgent que les professionnels libéraux leur emboitent le pas ».
Cependant tous s’accordent sur le potentiel de ce type de service et encouragent la diffusion de ces outils pour améliorer l’accès aux soins et surtout avoir une approche préventive plus efficace, comme le rappelle Philippe Bergerot. « L’intelligence artificielle ouvre des perspectives inédites en matière de prévention, comme c’est le cas en dermatologie. Problème, son intégration reste floue : les algorithmes sont rarement transparents, leur fiabilité peu encadrée et leur usage souvent mal intégré aux parcours de soins », expose-t-il. Les usages des systèmes d’IA doivent donc être encadrés et faire l’objet de bonnes pratiques, comme l’évoque Chantal Cateau : « Quand on parle de téléexpertise, transmet-on bien un avis ou un compte-rendu au patient et au médecin traitant ? Est-ce qu’on donne au patient les bonnes clés de lecture quand il reçoit ce type d’avis ? Les organisations professionnelles, comme l’Ordre national des pharmaciens et les syndicats doivent sensibiliser et sanctionner si nécessaire. Si on dit aux patients que l’outil et le service sont sûrs, il faut qu’ils le soient vraiment. ». Et Pascale Benaksas d’ajouter : « Utiliser des dispositifs certifiés « classe II b » est une garantie pour le patient, comme pour le pharmacien et tout autre professionnel de santé. Il faut aussi penser à privilégier le maillage territorial pour éviter les conflits déontologiques et améliorer la traçabilité de ces actes ».
Dans son « Manifeste sur l’intelligence artificielle au chevet des malades », France Assos Santé balaie les nombreux enjeux pour assurer des usages éthiques et responsables de l’IA. L’ensemble des institutions et pouvoirs publics doivent s’engager pour favoriser des usages vertueux. Parmi nos propositions, nous appelions l’Assurance maladie à financer l’équipement et l’utilisation de dispositifs embarquant de l’IA à des fins de prévention, en mettant en avant les solutions qui fait la preuve de leur efficacité. L’exemple du diagnostic précoce des cancer est un exemple parlant : c’est un gain pour le patient, mais aussi pour la collectivité avec, à la clé, des économies importantes. Sous condition de veiller à la sécurité des dispositifs utilisés.
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