Très à la mode chez les jeunes, le « proto » peut provoquer de graves séquelles, un risque largement méconnu. A Lyon, la première téléconsultation dédiée vise à repérer les personnes addict avant qu’il ne soit trop tard.
« J’ai essayé le proto au Nouvel an 2024 pour la première fois. J’avais vu des gens le faire sur les réseaux sociaux et ça avait l’air trop marrant. Tu es dans un état étrange, euphorique, tu rigoles pour un rien. Quelques mois après, j’en ai repris avec une amie. On était debout dans la rue, elle est tombée en avant d’un coup, sans mettre ses mains, comme si tout son corps était gelé. Elle avait des plaies au niveau du visage et saignait. Un voisin a appelé le Samu, qui l’a emmenée aux urgences. Le mois suivant, j’étais en vacances, j’en ai pris tous les jours ! J’étais dans un autre monde, toutes mes souffrances disparaissaient. En ce moment, je n’en ai pas besoin mais si je me retrouve dans une soirée où il y en a, j’aurais envie de reprendre un ballon ou deux », témoigne Zoé, 16 ans.
Un « ballon », pour les initiés, c’est l’inhalation d’un ballon de baudruche gonflé par des cartouches ou bonbonnes de « proto », ou gaz hilarant.
Rien de plus simple à trouver : les bombes de crème chantilly, par exemple, ont longtemps été la façon la plus simple d’en consommer. Aujourd’hui, l’offre est devenue pléthorique en ligne. « On trouve des cartouches partout. Le marketing fait tout pour cibler les jeunes avec des offres type « 60€ pour 250 chargeurs de « cream deluxe ». On trouve même des méga-bonbonnes de 2 kilos en vente sur Internet », témoigne Laurent Muraro, coordinateur général de la Fédération Entraid’Addict. « Comme si depuis la baisse de la consommation de tabac et cannabis, le transfert se faisait vers le « proto ». L’usage récréatif du protoxyde d’azote ou gaz N2O ne date pas d’hier. Ses propriétés hilarantes étaient déjà connues au 19ème siècle : c’était un divertissement à la mode sur les foires britanniques. Ses consommateurs sont longtemps restés marginaux, mais la pandémie Covid a marqué un tournant. D’après une étude de Santé publique France, en 2022, 14% des 18-24 ans l’avaient déjà expérimenté et plus de 3% en avaient consommé au cours de l’année.
Une grave méconnaissance des risques
L’effet recherché ? Hilarité, ivresse des profondeurs et désinhibition : un cocktail qui donne vite envie de renouveler les prises. Le drame, c’est que la majorité des jeunes consommateurs pense que c’est un produit inoffensif. « Comme les médecins l’utilisent à l’hôpital, les jeunes ont cette fausse croyance que c’est sans danger ! Mais pour endormir quelqu’un, les médecins l’utilisent maximum une heure, alors que les jeunes en prennent tout au long d’une soirée. De plus, à l’hôpital, il est utilisé avec de l’oxygène (MEOPA en pédiatrie), alors que la version alimentaire n’en contient pas. Cela fait une grande différence ! », recadre le Dr Christophe Riou, médecin addictologue aux Hospices civils de Lyon, qui a ouvert l’an dernier la première téléconsultation dédiée. L’addiction survient assez vite, la consommation déclenchant la production de dopamine dans le cerveau. En 2023, 472 signalements liés à cette consommation ont été enregistrés par les centres d’addictovigilance, soit 30 % de plus qu’en 2022.
La première téléconsultation dédiée à Lyon
« Nous étions confrontés à des hospitalisations de jeunes consommateurs, via les urgences. Ils arrivaient trop tard, certains déjà dans un état terrible. On s’est demandé : comment anticiper ? Nous avons ouvert cette téléconsultation », explique le Dr Riou. A raison de deux heures par semaine, 150 patients ont pris rendez-vous et 50 d’entre eux ont bénéficié d’un suivi. Je leur explique leurs symptômes, je leur prescris de la vitamine B12 (en déficit, à cause de la consommation), et je les oriente si besoin. Certains réussissent à arrêter tout seuls, d’autres non, c’est comme avec l’alcool », ajoute le Dr Riou. Surtout, l’objectif est de repérer les consommateurs le plus tôt possible, pour tenter de leur épargner de graves séquelles. Car avant les troubles neurologiques sévères, l’un des risques majeurs d’un usage excessif de ce gaz (lire ci-dessous), il y a des signes précurseurs ou « protosignes », comme les désigne l’expert : « Typiquement, la consommation est sans conséquence les premiers mois. Puis le stock de vitamine B12 se réduit. Quand il est vidé, le protoxyde d’azote pompe la vitamine B12 dans les neurones, qui se mettent à souffrir, avec les signes suivants : picotements, pertes d’équilibre, faiblesse musculaire. Les jeunes prennent un peu peur mais recommencent souvent. Or, si on les prend en charge dès ces premiers signes, on peut les guérir sans séquelles à l’instant T, même si on ignore encore les conséquences à long terme ».
Connaître le phénomène pour prévenir
La sensibilisation des parents est cruciale car, bien souvent, ils ne sont pas au courant de cette mode. « La majorité d’entre eux ne savent pas reconnaître ces cartouches ou bonbonnes, alors que les jeunes sont très intéressés quand on les expose, en prévention, sur les festivals », souligne Laurent Muraro. Des changements de comportement pourraient mettre la puce à l’oreille (irritabilité, agressivité, décrochage scolaire…), mais l’entourage fait rarement le lien. Les pratiques de consommation du « proto » sont elles aussi peu connues, se déroulant souvent de nuit, sur des parkings, voire même dans des appartements loués à cet effet, rebaptisés « bars à proto ». La conduite sous protoxyde d’azote n’est pas rare et provoque parfois des accidents mortels. Comme le produit n’est pas classé stupéfiant, il n’y a pas de contrôle au volant, ce qui constitue malheureusement un gros argument en faveur du produit pour les jeunes. Du côté d’Entraid’Addict, on se mobilise. « Lors de nos interventions en milieu scolaire, nous en parlons de plus en plus. Et dans notre prochaine revue trimestrielle, à paraître en décembre, nous avons intégré le « proto » dans la partie consacrée aux produits psychotropes, alors qu’il y a dix ans, on n’y aurait pas pensé ! », souligne Laurent Muraro.
Malgré l’interdiction de la vente aux mineurs en 2021, on en trouve toujours très facilement. « Il y a des gens qui achètent des grosses quantités et revendent sur Snapchat. Mais ça coûte super cher, une bonbonne (20 à 30 ballons), c’est 25€ au moins », rapporte Zoé. En juillet dernier, l’Assemblée nationale a voté une loi pour interdire totalement sa vente au grand public à partir de 2026. En attendant son application, Laurent Muraro s’interroge déjà. « On peut légiférer sur une interdiction mais ensuite, comment la faire appliquer ? La réponse législative ne suffira pas. Il faut des moyens pour plus d’information auprès des consommateurs, notamment le message de consommer assis pour éviter les chutes. »
Quels sont les principaux risques pour la santé ?
- En consommation ponctuelle : brûlures par le froid en cas d’inhalation directe sur une bonbonne, vertiges et désorientation, perte de la notion de réalité et de la coordination, risque de crises d’épilepsie ou de syncope par manque oxygène, risque de chutes et blessures, augmentation du risque d’accident.
- En consommation chronique, les complications sont neurologiques et cardiovasculaires : perte d’équilibre et difficultés à marcher, déclin cognitif et nette diminution de la mémoire et des capacités de réaction, dégradation de la moëlle épinière pouvant conduire à une paralysie des jambes, risque élevé de thrombose veineuse ou artérielle, voire d’AVC.
A partir de quelle dose les risques neurologiques et cardiovasculaires sont-ils présents ? « Le seuil de dangerosité n’est pas encore formellement établi mais se situe autour de 4 bonbonnes par semaine », précise le Dr Riou.

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