Alors que 2025 a fait de la santé mentale sa cause nationale, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) a rendu public, en juillet dernier, ses 48 propositions pour une refondation de la psychiatrie, remises au ministère de la Santé. Face à la crise des vocations, au mal-être des jeunes, au manque de moyens, les défis sont énormes. Pour autant, la psychiatrie est peut-être à un tournant. Entretien avec Corinne Martinez, administratrice et pilote du Groupe Technique national Santé et Soins de l’Unafam.
En cette fin octobre, alors que l’année de la santé mentale tire à sa fin, quel pré-bilan tirez-vous ?
Corinne Martinez – Il est très mitigé. Bien sûr, et c’est un point positif, on a davantage parlé de santé mentale et, surtout, du mal-être qui touche de nombreux jeunes. Mais pour ce qui est de la psychiatrie, qui est notre périmètre à l’Unafam, elle est toujours à la peine.
Et pas vraiment de plan santé mentale à l’œuvre, en dépit du label « cause nationale »…
M – Sur le papier, le plan santé mentale de Yannick Neuder, le ministre de la Santé et de l’Accès aux soins du gouvernement Bayrou, dévoilé en juin dernier, vise à renforcer la psychiatrie. C’est écrit en tout cas. Au niveau des principes, l’Unafam est assez satisfaite de voir que certaines de ses propositions ont été reprises, comme le repérage précoce ou le besoin de formation des médecins de premier recours. Après, comment sera-t-il mis en œuvre ? C’est la question, dans le contexte politique que l’on connaît. A part de l’affichage, ça reste très flou.
En matière de psychiatrie, l’année 2025 n’aura-t-elle pas permis quand même de faire bouger les lignes ?
M – Elle aura peut-être permis de lancer des fils pour que l’individualisme qui caractérise nos sociétés arrive à évoluer vers davantage d’attention à l’autre. A cet égard, la manifestation du 10 février dernier, place de la République, à Paris, à l’occasion du 20e anniversaire de la loi handicap de 2005, a été un moment mémorable. Ce genre d’événement remet sur le devant de la scène l’idée qu’on a tous la possibilité de faire quelque chose. C’est pourquoi, par exemple, l’Unafam plaide, dans ses 48 propositions, en faveur du déploiement des Premiers secours en santé mentale auprès de la population générale.
Ces 48 propositions s’articulent autour de 3 axes, le premier appelant à « agir précocement ». En quoi est-ce nécessaire de repérer le plus tôt possible un trouble psychique ?
M – On sait aujourd’hui que plus on agit tôt, moins la maladie va s’installer et plus le handicap associé pourra être évité ou minoré. Et selon les cas, elle pourra être réversible. En raison de la plasticité ou de la maturité cérébrale chez les plus jeunes, rien n’est perdu si l’on peut agir avant 25 ans. Même avec des aménagements, la personne pourra se réinsérer dans la vie, celle qu’elle s’est choisie. Agir précocement, c’est éviter le couperet. Et puisque le contexte nous porte à faire des économies, c’est aussi réduire les coûts pour la société, puisque la personne va bien et pourra même être contributive au collectif.
Agir tôt suppose quelques améliorations…
M – Le maître-mot, c’est formation. Le premier contact, c’est le médecin traitant. Il faut donc faire en sorte qu’il y ait une formation digne de ce nom à la psychiatrie au cours du cursus en médecine et, en attendant, que soient proposés, au moins dans le cadre de la formation continue, des modules pour les généralistes, comme cela se fait dans certaines régions où il y a des contacts entre les établissements psychiatriques et les Unions régionales des professionnels de santé (URPS). Au travers des projets territoriaux de santé mentale et des conseils locaux de santé mentale, il faut impérativement mettre l’ensemble des acteurs en réseau et s’appuyer sur toutes ces compétences.
Ce qui revient à dire que, en santé aussi, il faut en finir avec le travail en silos…
M – L’approche pluriprofessionnelle qui favorise la prise en charge de la personne dans sa globalité, psychique et somatique, s’inscrit bien dans ce concept de « One Health » (« une seule santé »), préconisé par l’OMS en matière d’accompagnement et de rétablissement. On sait aujourd’hui que certaines molécules entraîneront des effets indésirables, tels que le diabète, ou seront, chez les femmes, à surrisque de cancer du sein. Il y a aussi un corps, il faut s’en occuper.
Et rappelons qu’il est possible de faire du repérage très tôt…
M – Effectivement, les sage-femmes ont un rôle à jouer, en première ligne, dans le repérage des dépressions du post-partum, afin de prévenir les éventuelles incidences sur le développement des nourrissons. Et la prévention est aussi l’une des missions de la médecine scolaire, à ceci près que, avec 900 médecins scolaires pour quelque 12 millions d’élèves, elle ne peut remplir correctement sa mission.
Le deuxième axe de vos propositions vise à « Promouvoir le rétablissement de tous grâce à une psychiatrie de qualité ancrée sur la communauté ». En clair, l’Unafam défend une approche plus inclusive, notamment vis-à-vis des proches, parents, fratries…
M – Outre la réorganisation des soins, qui passe notamment par un accès plus rapide à une première consultation spécialisée, il faut aussi accompagner les parents, pour lesquels la découverte d’une maladie psychiatrique chez leur enfant ou adolescent, constitue un séisme et, double peine, un vrai parcours du combattant (errance médicale, reconnaissance du handicap, etc.). La psychoéducation est là pour prendre en compte cette douleur, voire ce traumatisme, et dire aux familles qu’elles ne sont pas seules. Apprendre à comprendre la maladie, c’est une chose, mais savoir quels comportements adopter et faire confiance, et pouvoir dialoguer avec les soignants est tout aussi important. La psychoéducation sert à reconnaître la place de chacun. C’est pour cela que l’Unafam a porté en association avec le Centre lyonnais pour les aidants /familles en psychiatrie (CLAP) du Vinatier, le programme de psychoéducation BREF.
A ce sujet, l’Unafam souhaite la reconnaissance et professionnalisation de la pair-aidance, ainsi que son intégration dans les équipes de soins…
M – Les études montrent qu’une personnes malade, en particulier si elle est jeune, se confiera plus volontiers à un « alter égo », qui lui ressemble, est passé par là et s’en est sorti. L’échange s’installe plus naturellement, sans les réserves d’une relation « sachant/patient ». Et d’ailleurs, bien souvent, les professionnels de santé sont amenés à changer leur vision, face à un pair-aidant qui est capable de leur dire que telle attitude génère tel ressenti chez le patient, etc. Tout le monde a à y gagner. Enfin, l’ambition du rétablissement ne vise pas l’intégration sociale dans la normalité la plus absolue. La volonté de la personne malade doit être respectée, quels que soient ses choix.
« Respecter les droits », c’est précisément l’objet du 3e et dernier axe de vos propositions pour une refondation de la psychiatrie. Aujourd’hui encore, des progrès restent à faire, en matière de respect de la dignité des personnes ?
M – On voit encore en 2025 des personnes qui, arrivant pour une hospitalisation complète, se retrouvent en pyjama, sans portable, qu’on lui a retiré, sans accès à la famille ! Et je ne parle même pas de la contention. L’Unafam a publié en juin dernier un Manifeste pour l’abolition de la contention en psychiatrie, comme l’ont fait certains pays, à l’instar de l’Italie, le Danemark, le Royaume-Uni, etc. Problème de formation ou d’éthique, toujours est-il qu’il est possible de proposer des alternatives, comme des salons d’apaisement pour les patients agités ou les plans de prévention partagés (directives anticipées en psychiatrie).
En résumé, il faut en finir avec cette pratique de l’enfermement…
M – Elle est traumatisante pour les patients, évidemment, mais également pour les soignants. Si on développe une nouvelle appréhension de la psychiatrie, on réussira à faire de ce secteur une discipline de pointe, d’autant que, dans le même temps, a émergé la psychiatrie personnalisée de précision, qui fait appel à l’IRM, la génétique, etc., pour le diagnostic et le ciblage des traitements.
Pensez-vous que cela puisse aussi contribuer à rendre la filière « psy » plus attractive ?
M – Certainement. On est vraiment dans une dynamique nouvelle, avec des publications quasiment chaque semaine sur les molécules, les neurotransmetteurs ou encore sur l’impact des traumas sur la vulnérabilité génétique. J’ai l’impression que nous sommes à un moment où tout se met en place pour qu’il y ait des avancées majeures et des ouvertures, comme on l’a vu avec le sida ou le cancer.
Dans cet alignement des planètes, croyez-vous en l’avènement d’un plan pour la psychiatrie à l’orée de 2026 ?
M – Nous aurions besoin d’une mise à plat. Au cours des dernières années, des financements ont été attribués, commençons donc, déjà, par évaluer ce qui existe sur le terrain – en termes de pratiques mises en place, de respect des cahiers des charges, d’efficience, de résultats, etc. Les pays nordiques, le Canada le font quasi en routine. Il n’est pas question de sanctionner, mais de comprendre pourquoi telle ou telle initiative ne marche pas, et de se réorienter. Sans évaluation, il est difficile d’analyser finement les besoins, en respectant les problématiques territoriales.
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