Santé mentale : les pros alertent sur la confusion des genres en librairie

Lithothérapie, accords toltèques et « fréquences vibratoires » : dans les rayons santé et bien-être, les ouvrages de développement personnel côtoient ceux de psychologie clinique. Un mélange des genres trompeur et parfois dangereux, dénoncent les professionnels de la santé mentale, qui interpellent les libraires pour protéger les lecteurs.

Rien de plus facile que d’aller mieux quand on se sent déprimé, harassé par les difficultés de la vie ou en total décalage avec son environnement. Il suffit d’ouvrir un des innombrables livres qui promettent de dévoiler la méthode miracle. Pour les trouver, jetez simplement un coup d’œil sur la liste des meilleures ventes ou sur les têtes de gondole de n’importe quelle librairie, ils y figurent généralement en bonne place. Ainsi, à l’heure où nous écrivons cet article, les best-sellers d’une des plus grandes enseignes françaises de la distribution de produits culturels, dans la catégorie Santé comptent Plus jamais seul, l’expérience, basé sur « le savoir ancestral de chamanes et de guérisseurs », Les quatre accords toltèques, qui assure que « le monde fascinant de la Connaissance véritable et incarnée est enfin à portée de chacun », ou Le pouvoir du moment présent, modestement présenté comme « un guide d’éveil spirituel, (…) l’un des livres les plus importants de notre époque ». Des centaines d’autres références proposent de transformer votre santé mentale grâce à la sorcellerie, au jeûne, à la lithothérapie ou à pléthore d’autres approches dont le seul point commun est de ne reposer sur aucune base scientifique. Et de n’offrir donc aucune garantie se sérieux. Corollaire de ce constat, les ouvrages de psychologie ou de psychiatrie rédigés par des professionnels de la santé mentale se retrouvent noyés dans un tsunami de manuels de développement personnel et de recettes ésotériques.

Des ouvrages culpabilisants

Ce mélange des genres délétère ne peut plus durer, estiment les acteurs de la santé mentale. Aussi, psychiatres, psychologues et vulgarisateurs en appellent à la responsabilité des libraires. Dans une lettre ouverte adressée au Syndicat de la Librairie Française, ils invitent les points de vente à « aider le lecteur à exercer son discernement » en mettant en valeur « la psychologie scientifique et la vulgarisation médicale rigoureuse ». Comme le souligne la tribune, ce mélange des genres, outre qu’il déprécie le travail des auteurs qui s’attachent à respecter le consensus scientifique, présente des risques. « Ces ouvrages présentant des méthodes miracles sont très trompeurs pour les usagers, souligne Gladys Mondière, présidente de la Fédération française des Psychologues et de Psychologie (FFPP). Ils basent souvent leur propos sur la responsabilité du lecteur : vous êtes responsable de ce qui vous arrive et vous allez vous en sortir seul. Mais ils ne prennent pas en considération les autres paramètres – sociaux, économiques, familiaux, etc. – pourtant essentiels pour comprendre une situation particulière. En présentant une technique a priori facile et efficace pour aller mieux, ces livres se révèlent culpabilisants : si le patient échoue dans sa quête de mieux-être, ce ne peut être que sa faute. »

Derrière les promesses, des dangers réels

Les promesses de vie meilleure portées par tant d’ouvrages sont d’autant plus problématiques qu’elles séduisent un public jeune. Une enquête IFOP d’avril 2025 note ainsi que les publications de la catégorie fourre-tout « développement personnel, psychologie » représentent plus de la moitié des lectures des 20-24 ans. « Une personne en souffrance, avec une maladie mentale latente, risque de ne pas être dépistée à temps si elle se contente de suivre les recommandations et de croire aux promesses de bonheur individualiste de ce genre de littérature, déplore Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (Fnapsy). C’est une perte de chance certaine : en tombant malade, elle sera hospitalisée en crise et entrera dans un parcours de soins psychiatriques qui lui fera perdre cinq à dix ans de sa vie. » Sans compter, en plus, « que ces livres exposent volontiers à des dérives sectaires », comme le rappelle le Dr Hugo Baup, psychiatre au centre hospitalier de Périgueux. Le dernier rapport de la Miviludes, en mai 2025, note ainsi que la santé reste le premier motif de signalement de dérives et souligne combien la frontière entre mouvances sectaires et certains courants de coaching ou de soins non conventionnels est poreuse. La lettre ouverte adressé aux libraires par les pros de la santé mentale est éloquente : « Des tables de librairie accessibles à tous sont, hélas, devenues un vecteur de diffusion pour des idéologies dangereuses : dérégulation émotionnelle prônée comme spiritualité, refus des traitements psychiatriques remplacés par des « fréquences vibratoires » ou de « naturopathie quantique », etc. ».

Un tri nécessaire

Reste que la réponse à apporter pour assainir la situation n’est pas univoque. Il n’est évidemment pas question d’interdire ou de censurer des livres, mais au moins d’aider les lecteurs à séparer le bon grain de l’ivraie. « Problème, comment fixe-t-on la limite, s’interroge le Pr Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie à l’hôpital Henri Mondor (Créteil). Expertiser chaque ouvrage ? C’est impossible. S’attacher à l’auteur ? S’il est scientifique, cela donne un premier gage de sérieux, mais risque de mettre de côté tous les vulgarisateurs qui font de bon travail. L’idéal serait une sorte de labellisation des ouvrages par une société savante. Il faudrait en outre que les éditeurs insistent sur les auteurs à mettre en avant. » Les signataires de la lettre ouverte aux libraires n’en demandent pas tant. « Un simple balisage – étiquettes, kakémono – coûte peu et peut s’adapter à toutes les surfaces. L’essentiel étant la séparation visuelle, pas l’agrandissement physique du rayon », écrivent-ils ainsi.

Une autre partie de la solution pourrait enfin venir des professionnels de la santé mentale eux-mêmes. « La vulgarisation en santé psy n’existe qu’à peine, regrette Claude Finkelstein. Pourtant les gens sont en recherche de sens et de valeurs. C’est d’ailleurs ce qui fait le succès des ouvrages de développement personnel : ils apportent des réponses qui donnent l’impression d’appartenir à un groupe. Nous devrions être capables de proposer des contenus ludiques, intéressants, qui apportent des réponses aux problèmes des lecteurs tout en donnant des informations exactes et validées. »

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