Dans l’ombre de la pandémie, les personnes atteintes d’un handicap, d’une maladie chronique ou d’un cancer ont payé un lourd tribut, trop souvent passé sous silence. Soins ou opérations reportées, isolement social, etc., les causes sont multiples. Cinq ans après, plusieurs études permettent d’évaluer ces dégâts collatéraux.
En juillet dernier, des chercheurs de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) publiaient une étude évaluant l’impact de la pandémie pour les personnes souffrant de sclérose en plaque, de lésions médullaires ou de troubles psychiques sévères. Leurs conclusions sont claires : pendant et après la pandémie, la surmortalité a davantage augmenté pour les personnes concernées par ces trois pathologies que pour la population générale. Certes, la première explication tient au virus de la Covid-19 lui-même : la maladie infectieuse est plus à risque de complications et de mortalité chez les personnes déjà atteintes de certains handicaps et/ou pathologies chroniques. Mais l’étude montre aussi que la crise sanitaire a beaucoup perturbé leur suivi médical et entraîné une dégradation de leur état de santé, avec de graves conséquences : une hausse de mortalité significative en 2022, qui dépasse les projections de décès.
Un lourd impact pour les personnes souffrant de sclérose en plaque
« Les personnes atteintes de SEP ont besoin de séances de kinésithérapie régulières. Or, pendant la pandémie, ces séances ont été supprimées, tant à domicile qu’en cabinet. Certaines personnes ont essayé de continuer seules à la maison, mais ce n’était pas évident. Cela a malheureusement entraîné une aggravation de leurs difficultés à marcher et de leurs douleurs », témoigne Karine Pouchain-Grépinet, conseillère nationale santé et médico-social à APF France Handicap, association dont 20 à 30% des adhérents sont touchés par cette maladie. « Au cours de cette période, l’état de santé des personnes souffrant de paralysie cérébrale s’est aussi dégradé, avec une augmentation de la spasticité (raideurs musculaires involontaires, ndlr) », ajoute-t-elle. Entre les remontées du terrain et la gestion de ses 450 établissements sociaux et médico-sociaux, APF France Handicap était en première ligne pour la gestion de crise Covid, « avec malheureusement des consignes étatiques pas toujours adaptées au suivi des personnes, nous le savons aujourd’hui avec le recul ».
67% des malades chroniques ont dû renoncer à des soins nécessaires
Au-delà des personnes atteintes de handicap, les personnes atteintes d’une maladie chronique n’ont pas été épargnées. En novembre 2022 déjà, l’Observatoire régional de la santé d’Ile-de-France publiait une étude mettant en évidence une hausse de la mortalité chez les franciliens atteints de maladies chroniques. Là encore, les causes pointées sont multifactorielles : peur de se rendre à l’hôpital et baisse du recours aux urgences de 50%, rendez-vous médicaux et hospitalisations reportées, diminution de l’activité physique, impact délétère des confinements sur la santé mentale. Chiffre marquant : 67% des malades chroniques déclaraient dans cette enquête ne pas avoir pu réaliser au moins l’un des soins nécessaires à leur suivi médical. Bilan, une hausse de la mortalité est aussi observée chez ces patients, surtout ceux atteints de maladies cardiovasculaires, de cancer du poumon et de démence. Autre conséquence, plus documentée, celle-ci : le Covid-long est devenu une maladie chronique pour 4% de population, selon Santé publique France.
Le retard est-il rattrapé aujourd’hui ?
« Pour les soins, oui, mais la crise Covid a amplifié la difficulté à trouver des professionnels de santé. Actuellement, 50% des personnes en situation de handicap reportent des soins pour cette raison et 54% d’entre elles sont en mauvaise santé. Par ailleurs, il y a sûrement eu des retards de dépistage, notamment des troubles autistiques chez l’enfant, en raison de la pandémie. Mais cela n’a pas encore été quantifié par des études », indique Karine Pouchain-Grépinet. En tirant des leçons de ces expériences, quelles seraient les priorités face à une éventuelle prochaine pandémie ? « Nous serions plus réactifs sur le matériel et les gestes barrières. Nous avions conçu à l’époque un masque inclusif transparent afin de pouvoir lire sur les lèvres et il pourrait être à nouveau disponible rapidement. D’autre part, nous veillerions à un meilleur respect des visites en établissements médico-sociaux pour préserver la santé mentale des résidents », anticipe la conseillère nationale santé et médico-social à APF France Handicap.
Et pour les personnes atteintes de cancer ?
3 questions au Dr Emmanuel Ricard, porte-parole et délégué au service de prévention et promotion du dépistage à la Ligue contre le cancer.
Cinq ans après, quel est l’impact de la pandémie pour les personnes atteintes d’un cancer ?
E. Ricard – Une surmortalité est à noter. Le fait d’avoir un cancer a été identifié comme un facteur de risque d’avoir un Covid plus grave avec plus de passages en réanimation, mais cette surmortalité n’a pas encore été quantifiée par des études. Les autres facteurs de risque identifiés sont le fait de suivre un traitement par chimiothérapie, radiothérapie ou immunothérapie, en raison de la baisse des défenses immunitaires associée. Par ailleurs, les malades ont subi des retards dans les interventions chirurgicales, avec un phénomène de rattrapage qui a pris du temps.
Le retard dans les dépistages est-il résorbé ?
E. Ricard – Non, pas entièrement. Globalement, si l’on considère les trois dépistages organisés (cancer colorectal, du sein et de l’utérus), on observe clairement une perte de vitesse depuis le Covid, avec une diminution des prises de rendez-vous. Dans le cancer colorectal notamment, on constate toujours aujourd’hui un délai d’attente augmenté pour accéder à une coloscopie. En février, une étude parue dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (BEH) montre que dans les trois cas, la participation a diminué. Pour le dépistage du cancer du sein, la perte de confiance est malheureusement alimentée par un petit nombre de personnes qui polémiquent et font croire que ce dépistage ne sert à rien…ce qui complètement faux !
Quelles actions envisage la Ligue pour remobiliser les Français ?
E. Ricard – Il faut des actions locales fortes, c’est pourquoi nous avons développé « Ma ville se Ligue » avec des actions « d’aller vers » afin de recruter davantage localement. Par ailleurs, nous pensons que la France devrait s’inspirer du modèle Finlandais, qui consiste à envoyer un courrier de dépistage avec une date de rendez-vous. Pour le cancer colorectal, nous avons essayé d’augmenter l’accès, avec la nouvelle possibilité de commander ses tests sur Internet et pour le cancer du col de l’utérus, nous voulons communiquer davantage sur le fait que les sages-femmes peuvent faire les frottis de dépistage.
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