Comment éviter les charlatans en santé ?

Le secteur de la santé est concerné de très près par les dérives de pseudo-thérapeutes, selon le dernier rapport de la Miviludes. Prétendant guérir plus efficacement que les médecins diplômés alors qu’ils n’ont pas de formation reconnue, ils tissent leur toile notamment autour des personnes souffrant de cancer et de troubles psychiques. Décryptage de ces mouvances, de leurs techniques de manipulation et conseils pour ne pas tomber dans leur piège.

« Sous emprise de naturopathes, mon amie a stoppé ses chimiothérapies et est morte de son cancer du sein en dix-huit mois, raconte Sylvie, 63 ans. Son cancer avait été dépisté tardivement, avec d’emblée de nombreuses métastases. Lorsque son oncologue l’a informée d’une chimiothérapie par voie veineuse, elle a été prise d’une énorme frayeur. Depuis longtemps, mon amie était très axée sur le bio et ouverte aux médecines alternatives. Sur un coup de tête, elle est partie faire un stage de jeûne avec des naturopathes locaux. De retour, elle ne mangeait plus que des fruits et légumes en jus et ne voulait plus prendre de douches. Petit à petit, j’ai découvert qu’elle faisait des téléconsultations avec Irène Grosjean (une figure importante de la naturopathie, ndlr) et qu’elle avait stoppé ses consultations d’oncologie. Sa fin de vie a été atroce et je n’ai rien pu faire. ». Un an après, Sylvie a envoyé son témoignage à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) et a déposé plainte.

Dans son dernier rapport d’activité 2022-2024, publié en mars 2025, la Miviludes indique que le nombre de signalements (4 570 en 2024) poursuit sa hausse légère mais constante, année après année. Le domaine de la santé et du bien-être est le premier concerné par les signalements, avant même le domaine des cultes et spiritualités ! Et au sein du vaste champ de la santé, quatre contextes de soins cumulent une majorité des dérives constatées : les traitements alternatifs du cancer (plus de la moitié des signalements), les stages de jeûne encadrés par des naturopathes, les problèmes de santé mentale et les maladies chroniques.

Comment expliquer l’ampleur du phénomène ?

« L’ampleur nouvelle de la croyance en ces méthodes résulte de plusieurs phénomène qui se sont cumulés : le développement du numérique et de la désinformation médicale, les confinements successifs et les critiques à l’égard des politique de vaccination et du milieu médical et, encore plus généralement, des demandes de soins non satisfaites, la recherche de lien et d’empathie que le monde médical n’offre pas toujours et enfin la recherche de nouveaux remèdes apparemment plus doux », souligne la Miviludes dans son rapport. Dans le cancer, la grande vulnérabilité est la porte d’entrée, notamment au moment de l’annonce ou en cas de rechute. « Les personnes touchées par le cancer sont légitimement angoissées et ont envie de trouver des solutions de bien-être. Le côté technique est très présent en oncologie et les malades cherchent un rapport plus humain. Certains ont eu des relations décevantes aux soignants, je me souviens par exemple d’une patiente à qui l’on a annoncé son cancer sur un répondeur », témoigne Aliya Javer, responsable de projets « Soins de support » à la Ligue contre le cancer. Les soins de support visent à diminuer la douleur et préserver la qualité de vie au cours du traitement d’un cancer. Le problème est que de nombreuses pseudo-thérapies sans aucun fondement scientifique prétendent en être. Lithothérapie (thérapie par les pierres), compléments alimentaires soi-disant anticancer, jeûne (qui n’a aucune vertu anticancer démontrée !), reiki, magnétisme, naturopathie et crudivorisme… les dérives sont nombreuses.

Pour mieux sécuriser les soins de support, la Ligue contre le cancer, la Miviludes et le ministère de l’Intérieur viennent d’ailleurs de renouveler leur partenariat. Pour être sûr de se tourner vers l’un des 9 soins de support validés, il est conseillé de vérifier la liste officielle (Institut national du cancer). Dans le champ de la santé mentale aussi, la vulnérabilité est forte, entre le motif de consultation lui-même (dépression, maladie psychique…), la difficulté à savoir qui consulter et ensuite à décrocher un rendez-vous. Le bouche-à-oreille fréquent n’arrange rien. « « Tu n’aurais pas un psy ? » est une question souvent posée à son entourage. Mais ce n’est pas un gage de sérieux. Mieux vaut passer par son médecin traitant, l’Unafam ou un annuaire, comme celui de l’AFTCC », conseille Emmanuelle Rémond, la présidente de l’Unafam.

Comment ils brouillent les pistes 

S’il est de plus en plus difficile de repérer les pseudo-thérapeutes, c’est aussi qu’ils entretiennent le flou par différentes méthodes. Dans le domaine de la santé mentale, le suffixe « psy » est utilisé à tort et à travers, estime la présidente de l’Unafam : « Psy tout court, ce n’est pas suffisant ! Il faut savoir quels formation et diplôme il y a derrière. Un psychopraticien n’est ni un psychologue ni un psychiatre, alors que c’est le cas des psychothérapeutes qui doivent posséder l’un ou l’autre de ces titres pour se former à telle ou telle type de psychothérapie. Il y a un manque de connaissances dans la population et les coach, gestalt thérapeutes, ou psychopraticiens abusent de ce flou ». Pour savoir qui fait quoi, il est utile de s’informer sur le site de l’association pour mieux connaître l’organisation de la psychiatrie.

Le titre de « psychopraticien » a été créé pour englober des personnes aux activités non réglementées qui ne peuvent plus se dire « psychothérapeute » (un titre gage de sérieux, lui) depuis un décret de 2010. Les psychothérapeutes sont soit médecin soit psychologue de formation et ont suivi une formation de 400 heures d’enseignement théorique minimum et un stage pratique de cinq mois.
Autre stratégie : les pseudo-thérapeutes utilisent des plaques professionnelles identiques à celles des « vrais » professionnels et « s’installent dans les salles vacantes de maisons médicales situées dans des zones rurales où les véritables soignants sont en nombre insuffisant, créant une confusion dans l’esprit des patients », met en garde le rapport de la Miviludes. Mais comment se fait-il que les agences régionales de santé (ARS) et les conseils départementaux de l’Ordre des médecins (CDOM) ferment les yeux ? « Au niveau des textes de loi, ce n’est pas autorisé : les salles d’attente et numéros de téléphone devraient être séparés, mais ce n’est pas contrôlé. De plus, les médecins installés qui laissent faire leur prêtent une caution qui n’a pas lieu d’être. C’est problématique sur le plan déontologique. Les ARS et les CDOM sont censés surveiller cela, mais dans les faits, tant qu’il n’y a pas de plaintes, il n’y a pas de contrôle », répond le Dr Pierre de Brémond d’Ars, président de l’association No Fake Med, qui répertorie et informe sur les pseudo-thérapies qui n’ont pas de bases solides ni de preuves d’efficacité.

Jusque dans les établissements de santé

Et quand bien même ils sont chassés d’un lieu, ils se replient toujours ailleurs. Des mouvances caméléon, sur le web aussi. Après leur bannissement officiel de Doctolib en octobre 2023, certains naturopathes sont restés actifs les mois suivants sur ce site, en se présentant comme « diététicien » ou « ostéopathe » avant de préciser en petits caractères qu’ils pratiquaient aussi la naturopathie ! Maintenant que le « ménage » semble terminé, on les retrouve sur d’autres annuaires en ligne : Médoucine, Resalib, Crenolibre ou encore Therapeutes, où l’on découvre par exemple sur une vidéo intitulée « Comment trouver un bon Chamane ? ».  Autant de sites pointés du doigt par l’association No Fake Med. Vigilance sur Internet, donc !

Autre exemple de ce flou permanent : les thérapies non éprouvées proposées au sein même de l’enceinte hospitalière. « Quand vous êtes hospitalisé, si on vous propose une séance de bol tibétain ou de Reiki, en tant qu’usager du système de santé, vous êtes à des années-lumière d’imaginer qu’il y a un risque », illustre Samir Khalfaoui, conseiller santé à la Miviludes. C’est pourtant une réalité : à la faveur de certains chefs de service, certaines de ces thérapies ont un pied à l’hôpital. Certes, l’hypnose ou l’acupuncture sont elles aussi entrées à l’hôpital à la fin des années 1970, mais la grosse différence est qu’elles ont fait la preuve de leur efficacité dans un certain nombre d’indications reconnues par la Haute Autorité de santé (HAS) et le ministère de la Santé. Résultat, la Miviludes doit aussi sensibiliser les personnels hospitaliers. « Les professionnels de santé n’en sont pas conscients mais ils sont eux-mêmes, parfois, la cible de pseudo-thérapeutes en gestion du stress qui leur proposent des stages dans l’enceinte hospitalière », précise Samir Khalfaoui.

Comment les repérer malgré tout ?

Malheureusement, il est inenvisageable de publier une liste de ces pseudo-thérapies car elles changeraient aussitôt leurs intitulés, sites internet, etc. « Dans le dernier rapport, nous mettons en garde sur la médecine nouvelle germanique du Dr Hamer, qui tente d’attirer les malades du cancer. Mais il faut savoir que les thérapeutes qui s’en inspirent ont tendance à changer d’appellation pour échapper aux radars, en utilisant des intitulés comme « mémoire cellulaire » ou « biologie totale », met en garde Samir Khalfaoui. En revanche, il est possible de repérer quelques-unes de leurs techniques communes. Voici la liste des comportements/situations à risque dressés par la Miviludes et l’association No Fake Med et qui devraient vous mettre en alerte :

  • si un non-professionnel de santé commence à essayer de vous expliquer les origines de votre maladie (cancer notamment) ;
  • s’il estime être le seul à avoir la solution concernant votre santé, dit avoir une solution « miracle », et vous propose un « reset » de votre passé ;
  • si dans le discours reviennent des termes comme « magnétique », « quantique », « vibratoire », « reconnexion », « énergétique », « décodage », « mémoire cellulaire » ;
  • s’il vous conseille d’arrêter votre traitement médicamenteux sans en parler à votre médecin et/ou de changer radicalement votre alimentation et vos habitudes d’hygiène de vie ;
  • si des gestes portent atteinte à votre intimité (palpations des seins, pénétrations avec le doigt, etc.) ;
  • si on vous propose une première séance gratuite, puis que les tarifs augmentent sans cesse parce qu’on vous demande de payer des stages, des DVD ou des compléments alimentaires.

Même si la personne se présente comme « thérapeute », « praticien » ou « docteur », sachez que cela ne fait pas l’objet d’une définition juridiquement protégée et que ces titres peuvent être utilisés librement.

Enfin, pour ce qui est d’identifier qu’un proche est sous emprise, le conseiller santé à la Miviludes rapporte que « la majorité des signalements porte sur des changements de comportement du conjoint ou d’un membre de la famille : isolement et refus de voir son entourage habituel, changement radical de régime alimentaire et de discours, perte de poids brutale, etc. ». Quant à savoir comment l’aider ? « Nous recommandons de maintenir à tout prix le dialogue avec la personne. Dans tous les cas, il vaut mieux discuter et se dire que plaie d’argent n’est pas mortelle alors qu’abandonner tous ses traitements conventionnels dans le cas d’un cancer peut l’être ! La prévention est la meilleure arme et elle consiste à ne pas laisser s’installer ces pratiques », rappelle le Dr de Brémond d’Ars de l’association No Fake Med.

Comment réagir ?

En cas de doutes sur les pratiques d’un « thérapeute », il est conseillé :

  • d’en parler autour de soi et notamment à d’autres professionnels de santé ;
  • de se renseigner sur la formation du praticien et ses diplômes ;
  • de contacter la Miviludes pour un signalement ;
  • de contacter le conseil de l’Ordre concerné (par exemple des médecins) pour dénoncer les faits ;
  • si des infractions semblent avoir été commises, vous pouvez aussi porter plainte dans un commissariat de police, ou au sein d’une brigade de gendarmerie ou auprès du procureur de la République.

Pour en savoir plus :

Des associations de lutte contre les dérives sectaires comme l’UNADFI peuvent vous aider dans vos démarches.

A noter qu’une pétition en ligne a été lancée par la Fédération française des psychologues et de psychologie, en mai dernier, pour appeler les libraires à participer à la grande cause nationale « Santé mentale », en prenant garde à la place accordée à des ouvrages qui relèvent davantage de la croyance ou de la démarche spirituelle. « C’est toute l’image de la santé mentale qui se brouille, glissant vers un concept flou et sans limite de « bien-être », écrivent les auteurs   de cette lettre ouverte au Syndicat de la librairie française : https://www.change.org/p/comment-les-libraires-peuvent-participer-%C3%A0-la-grande-cause-nationale-sant%C3%A9-mentale

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