La psychoéducation, un soutien décisif pour les aidants

Un nouveau centre de formation à la psychoéducation vient d’ouvrir à Paris. Objectif : former les soignants à l’accompagnement des aidants dans leurs établissements. Basée sur le partage d’informations et d’expériences sur la maladie psychique, la psychoéducation permet de diminuer la culpabilité et le fardeau pour les proches des personnes concernées.  

« Mon fils a été suivi à l’hôpital Sainte-Anne (Paris) et on lui a posé un diagnostic de schizophrénie à l’âge de 18 ans. Cela a été très difficile pour moi, j’avais peur de cette maladie et je n’arrivais pas à accepter ce diagnostic. Je n’arrêtais pas de lui demander de sortir de son lit et je lui reprochais sa paresse. Au lieu de l’aider, je renforçais son angoisse », raconte Bénédicte Chenu, qui a aujourd’hui 62 ans et son fils 32. « Le psychiatre m’a tout de suite proposé de suivre un programme de psychoéducation. Cela a été très bénéfique pour moi. Quand j’ai compris la maladie, j’ai réussi à mieux communiquer avec lui, cela a fait baisser le niveau de stress pour tout le monde. Cela m’a aidée à avoir plus d’empathie. J’ai appris à me focaliser sur les petits progrès de tous les jours », ajoute-t-elle. Forte de cette expérience, Bénédicte a voulu aider d’autres familles traversant les mêmes difficultés. Elle est ainsi devenue pair-aidante famille et fait aujourd’hui partie de l’équipe de formation en place dans le tout-nouveau centre de formation à la psychoéducation qui a ouvert ses portes à Paris, en mai dernier.

Une forte demande des professionnels de la santé mentale

Porté par le Groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris psychiatrie & neurosciences, ce centre de formation s’est installé dans les locaux du pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie Paris 15, avec le soutien de l’ARS-Ile-de-France et de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). Objectif : former 500 professionnels de santé par an à la psychoéducation des aidants, afin qu’ils puissent eux-mêmes proposer ensuite des ateliers dans les établissements où ils travaillent. « Nous sommes cinq formateurs au sein de ce centre régional : une psychologue, une psychiatre, un infirmier, un pair-aidant et une pair-aidante familiale », indique le Dr Amélie Boële, qui est justement la psychiatre de l’équipe, et par ailleurs praticien hospitalier à l’Hôpital Sainte-Anne-GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences. Depuis l’ouverture, la demande est forte. « Notre planning de formation est presque rempli pour 2025, sauf sur les sessions de fin d’année », précise la psychiatre. Qui vient se former ? Tous types de professionnels travaillant dans les établissements publics ayant une activité de psychiatrie (et quelques cliniques privées) : psychologues, psychiatres, infirmiers psychiatriques, cadres de santé, ergothérapeutes, etc., ainsi que les bénévoles de l’Unafam, qui interviennent lors de ces ateliers de psychoéducation. En effet, la formation déclinée, qui s’appelle BREF, a été conçue initialement par le CLAP (Centre lyonnais des aidants en psychiatrie) de Lyon, puis co-construite avec l’Unafam. Comme son nom l’indique, elle est facilement accessible car ne dure qu’une seule journée. « Les formations ont lieu au GHU, mais nous nous déplaçons aussi en Ile-de-France dans les établissements plus éloignés, pour l’assurer », précise le Dr Boële. Et quelles sont les attentes des professionnels qui s’inscrivent ? « Ils viennent à plusieurs pour développer le programme dans leur établissement et pouvoir le proposer aux proches concernés. Ils ont compris que la psychoéducation avait un impact très positif sur la santé mentale des aidants et aussi, par ricochet, sur celle de la personne qui souffre de maladie psychique », souligne Cécile Bellot, psychologue spécialisée en TCC, elle aussi rattachée au Centre régional BREF parisien. « Nous leur délivrons des informations sur la psychoéducation des aidants et ses bénéfices et nous organisons des jeux de rôle, en mettant une personne à la place de la famille et une autre à la place du professionnel », détaille la psychologue.

Les spécificités de BREF

Il existe de nombreux programmes de psychoéducation (ProFamille, Léo, etc.). Certains sont destinés directement aux personnes touchées par la maladie, d’autres sont tournés vers la famille et les proches des malades. La spécificité de BREF est « de créer un cocon, en ne recevant qu’une seule famille à la fois lors des ateliers de psychoéducation », souligne Bénédicte Chenu, qui a, de son côté, suivi des ateliers réunissant plusieurs familles. « Or, parler librement de sujets aussi intimes et sensibles en présence d’autres familles inconnues, ce n’est pas toujours facile… », se souvient-elle. L’espace créé par ces ateliers BREF permet de tout dire, poser toutes ses questions, pleurer… et repartir ensuite d’un meilleur pied. Le programme comprend deux séances d’une heure chacune animées par des soignants et une troisième séance coanimée avec un bénévole aidant familial. Une seule famille est reçue en l’absence de son proche concerné. Il est accessible à tous les aidants et peut facilement être mis en œuvre par les établissements de santé, après formation des équipes sur une seule journée. « La force de ce programme est que tout le travail est centré sur la famille dans son fonctionnement et son historique particulier. On ne présente pas toutes les généralités sur la maladie et sa prise en charge à toutes les familles ; on les oriente vers ce qui est le plus adaptée pour elles à l’instant T », développe Christian Rossignol, délégué régional de l’Unafam Ile-de-France. Autre spécificité : BREF accorde de l’importance au suivi dans le temps. « Lors du troisième temps d’échange avec un bénévole de l’Unafam, nous proposons un prolongement à travers des groupes de parole et d’autres ressources. L’idée est que les familles puissent continuer à s’informer et à rencontrer d’autres familles si elles le souhaitent », poursuit le délégué régional. La mutualisation des informations et expériences aide à trouver des ressources pour faire face aux problèmes d’accueil dans les établissements de santé et aux délais de prise en charge, dans le contexte actuel de difficultés d’accès aux soins. En effet, la principale difficulté au moment du diagnostic de maladie psychique, c’est la crainte d’en parler à son entourage, la solitude et la stigmatisation. Même si tout n’est pas résolu en trois séances d’une heure, il est possible d’approfondir ensuite, avec le soutien des bénévoles de l’Unafam.

Les bénéfices pour les aidants

« Les études évaluant les programmes de psychoéducation montrent très clairement un double bénéfice pour les personnes touchées par la maladie psychique et pour les aidants. Du côté des aidants, l’évaluation du programme montre une réduction du fardeau, des symptômes dépressifs et de la culpabilité après le troisième rendez-vous BREF et à trois mois », rapporte le Dr Boële. Des bénéfices remarquables, sachant que les aidants en psychiatrie sont trois à cinq fois plus frappés par la dépression que la population générale, selon une étude menée par le CLAP et de l’Unafam. « On se rend compte au fur et à mesure que la santé psychique et physique des aidants ayant un proche touché par une maladie psychique est très impactée, plus encore que lorsque ce proche souffre de maladie physique, renchérit le Dr Boële. Chez les personnes souffrant de schizophrénie, la psychoéducation est l’intervention la plus efficace après le traitement médicamenteux, avec notamment une réduction du nombre de rechute et une amélioration de l’observance des traitements. » Une méta-analyse parue en mars 2022 dans « Lancet Psychiatry », passant en revue les effets de 11 programmes de psychoéducation délivrés auprès de 10 000 participants, aboutit à des conclusions sans équivoque : tous les programmes diminuent le taux de rechute (sauf ceux prévoyant moins de deux séances) avec plus d’efficacité que le seul traitement médicamenteux. « Lorsque le contexte est aux restrictions budgétaires, la psychoéducation familiale devrait être développée, même seule », concluent les auteurs de cette étude.

Un programme en plein déploiement

« A ce jour, 180 centres hospitaliers proposent le programme BREF et 7 000 personnes (soignants et bénévoles de l’Unafam) ont été formées », indique Sophie Dacbert, directrice Formation à l’Unafam. Ce nombre devrait augmenter rapidement dans les années à venir car le programme a été salué par le ministère de la Santé au titre des actions particulièrement innovantes en psychiatrie et reconnu comme « pépite » pouvant faire l’objet d’un financement pérenne des ARS. Six agences régionales de santé ont ainsi choisi, en 2024, de déployer le programme sur leur territoire : Auvergne-Rhône-Alpes (ARA), Ile-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Normandie, PACA et Centre-Val-de-Loire. « La structuration est en cours cette année, avec la constitution des binômes de coordination (centre formateur régional et délégation régionale Unafam), dont le rôle est d’animer la stratégie régionale de déploiement, de former et accompagner les équipes à BREF et de s’assurer de l’homogénéité des pratiques », complète Sophie Dacbert. Les deux centres formateurs aujourd’hui opérationnels sont en région ARA et Ile-de-France. Le déploiement se prépare pour 2026 en Nouvelle-Aquitaine, Hauts-de-France, Occitanie, puis Bretagne et Pays-de-la-Loire. Pour accélérer le déploiement, il faut convaincre les soignants et notamment les chefs de pôle de psychiatrie, car la mise en place de BREF nécessite de légères réorganisations et notamment de dégager du temps aux soignants qui encadrent les ateliers. « Actuellement, seules 5 % des familles bénéficient d’un programme de psychoéducation, c’est très nettement insuffisant et même scandaleux quand on en connaît les bénéfices ! Il faut très vite élargir l’accès », estime Bénédicte Chenu.

Pour bénéficier du programme BREF près de chez soi, il suffit de télécharger l’appli eBREF !

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