Malgré une interdiction stricte, acheter de l’alcool reste un jeu d’enfant pour les mineurs. Le dernier rapport d’Addictions France dresse un constat alarmant : contrôles rares, sanctions faibles, bref, la loi est largement bafouée.
S’il faut théoriquement avoir fêté son 18e anniversaire pour avoir le droit d’acheter de l’alcool en France, en pratique, la principale difficulté pour un mineur qui souhaite acquérir une bouteille consiste simplement à trouver un magasin ouvert. Malgré une réglementation stricte et des années de campagne de prévention, l’alcool reste en effet largement accessible aux mineurs. C’est le constat sans appel du rapport L’alcool en accès libre pour les ados, présenté ce 3 juillet par Addictions France. L’association y dresse un état des lieux inquiétant, pointe les obstacles majeurs à l’application de la loi et avance des mesures concrètes pour assainir la situation. Un défi aussi vertigineux qu’essentiel tant les conduites addictives chez les plus jeunes pavent la voix à de nombreuses difficultés.
Des ventes aux mineurs quasi généralisées
Le document s’appuie sur deux séries d’achats tests réalisés dans les métropoles de Nantes, Angers et Rennes. La première, menée en 2023 auprès des débits de boissons à consommer sur place (cafés, bars, restauration rapide), montre que 97 % d’entre eux vendent de l’alcool aux mineurs. La seconde, réalisé en 2025 dans des magasins (supermarchés, épiceries…), « fait écho à l’étude pilote que nous avions lancée en 2021 auprès de 384 enseignes de la grande distribution, indique Franck Lecas, responsable du pôle Projets politiques publiques d’Addictions France. A l’époque, 93 % des établissements avaient accepté de vendre de l’alcool à des mineurs. » Les résultats des observations menées depuis ne sont guère plus reluisants. Ils montrent ainsi que 86 % des 90 débits de boissons testés prêtaient toujours aussi peu d’intérêt à l’âge de leurs consommateurs. Pire, parmi les établissements déjà poursuivis pour avoir servi de l’alcool à des mineurs et retestés par la suite, 75 % ont réitéré la vente. Franck Lecas relève toutefois un élément prometteur : « Entre 2021 et 2025, même si les taux restent très élevés, nous sommes parvenus à les faire régresser de 7 points, et un peu plus pour ceux qui avaient été précédemment contrôlés et poursuivis. Cela montre que nos actions, la mobilisation des pouvoirs publics et les poursuites judiciaires que nous avons entreprises ont permis d’infléchir légèrement la tendance. A contrario, les 97 % de ventes observées dans les bars soulignent que la loi n’est pas respectée si l’on de fait rien ».
Peu de contrôles et de sanctions
Alcool vendu aux mineurs, carte d’identité pas réclamée pour vérifier leur âge, signalétique rarement respectée : plusieurs éléments permettent de comprendre la persistance d’une telle permissivité. Au premier rang, une absence criante de contrôle des points de vente. Comme le souligne le rapport d’Addictions France, seules 70 infractions sont relevées chaque année par les forces de l’ordre, le plus souvent par hasard, à l‘occasion de la commission d’autres délits. « A cela s’ajoute une sanction maximale de 7 500 € qui reste très peu dissuasive », complète Franck Lecas. Et lorsqu’une action judiciaire est lancée, les délais de traitement sont interminables. Illustration avec les 37 ventes d’alcool relevées par l’association entre avril 2023 et mai 2024, procès-verbaux de commissaires de justice à l’appui, pour lesquelles elle a entamé des procédures : « A ce jour, aucun des faits soumis à la justice, quelle que soit la procédure suivie, n’a encore donné lieu à une décision judiciaire ou à une sanction », révèle le rapport. Entre les sanctions légères et rares, et l’absence de réponse pénale rapide, « tout concourt à conférer un sentiment d’impunité aux gérants des lieux de vente », déplore Franck Lecas.
Multiplier les achats tests
Loin d’être fataliste, le rapport d’Addictions France propose plusieurs pistes pour remettre de l’ordre dans ce Far West. A commencer par une systématisation des opérations de contrôles, sur le modèle des achats tests pratiqués en Suisse. L’association suggère de reconnaître ces derniers comme des outils de prévention et de les mener en collaboration entre les associations, les préfectures et les forces de l’ordre. « Plus ces opérations seront fréquentes, plus le doute s’installera chez les commerçants quand il se trouvera face à un jeune consommateur : et si c’était un jeune testeur ? », note Franck Lecas. En parallèle, Addictions France estime indispensable de repenser le régime des sanctions. D’abord en basant les amendes sur le chiffre d’affaires de l’établissement condamné, ce qui serait bien plus dissuasif que les 7 500 € qu’ils encourent aujourd’hui. Ensuite, en recourant largement aux sanctions administratives à travers lesquelles les préfets peuvent prononcer des avertissements et des fermetures d’établissements.
Un protocole pour des contrôles plus réguliers ?
C’est un pas en avant que salue Addictions France : en décembre 2024, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mileca), le ministère de l’Intérieur, la Préfecture de police de Paris et les directions générales de la Gendarmerie nationale ont signé un protocole visant à renforcer la coordination entre les services en charge des contrôles. Le but : assurer application plus stricte une interdiction de la vente d’alcool aux mineurs. Au programme, davantage d’opérations de contrôle, régulières et ciblées, accompagnées de mesures administratives ou judiciaires. De quoi améliorer pour de bon la situation ? Rien n’est moins sûr car, comme le souligne Addictions France, le succès d’une telle initiative reste dépendant de nombreux paramètres, dont les ressources qui seront affectées au dispositif et l’implication des autorités locales.
« L’enquête Escapad de 2022 nous a appris que même si la baisse des consommations d’alcool chez les jeunes est avérée, celles-ci restent néanmoins élevées : 7,2 % des jeunes de 17 ans consomment de l’alcool au moins dix fois par mois et un tiers d’entre eux boivent au moins dix verres à chaque fois. Par ailleurs, 81% des jeunes de 17 ans déclarent avoir déjà bu de l’alcool, en faisant le produit psychoactif le plus couramment consommé à l’adolescence !
Ces chiffres montrent que l’alcool est accessible chez les jeunes, à la fois financièrement, ce qui interroge par exemple les offres promotionnelles sur l’alcool qui permettent d’acheter de grandes quantités d’alcool à des prix très abordables, l’alcool revenant parfois moins cher que l’eau minérale au litre !, mais aussi physiquement comme en atteste le rapport d’Addictions France.
Pour France Assos Santé, il est urgent de donner à la loi les moyens de s’appliquer ! Outre le fait que la consommation d’alcool soit reliée à plus de 200 maladies, avec des risques pour la santé dès le premier verre, le binge drinking expose les jeunes à des dangers spécifiques accrus : coma éthylique, altération des facultés cognitives, prises de risques multiples (altercations, conduite en état d’ivresse, etc.), notamment dans le champ de la sexualité (rapports non protégés, relations non consenties), troubles du comportement (violence, impulsivité), dégradation du bien-être général (troubles de la concentration, de la mémoire, du sommeil, fatigue, difficultés financières…)… À long terme, le binge drinking accroît le risque de développer une dépendance.
France Assos Santé rejoint Addictions France dans ses préconisations et continuera ses actions pour informer sur les risques pour la santé et dénormaliser la consommation d’alcool.
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