Le cancer du pancréas est l’un des cancers au pronostic le plus sombre actuellement. Et les causes de son incidence élevée en France ne sont pas toutes élucidées. Heureusement, de nouveaux traitements viennent redonner de l’espoir aux familles touchées.
« Le cancer du pancréas fait partie des cancers cachés. Les symptômes restent longtemps invisibles et malheureusement, il est souvent un peu tard lorsque le diagnostic est posé », relève Iris Pauporté, directrice de la recherche, de l’innovation et de l’information scientifique à la Ligue contre le cancer. Les patients et familles à qui l’on annonce ce diagnostic se retrouvent très démunies car le pronostic est d’emblée très mauvais. « Le taux de survie moyen à cinq ans est de seulement 11 %. Cela s’explique par des symptômes peu spécifiques difficiles à repérer (douleurs abdominales, etc.) et une évolution très rapide : plus de la moitié des patients ont des métastases dès le diagnostic », explique le Pr Michel Ducreux, chef du comité des cancers digestifs à l’Institut Gustave Roussy (IGR). Les traitements actuels varient selon le type de tumeurs (résécables, « borderline » et non-résécables) et combinent la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie.
Pour la prise en charge de ce cancer, les oncologues manquent de traitements puissants capables de réduire la tumeur localement avant la chirurgie et d’avoir un contrôle plus prolongé sur la progression de la maladie. A la différence du cancer du côlon, le cancer du pancréas n’a pas bénéficié, pour le moment, des avancées des thérapies ciblées et de l’immunothérapie. Mais la donne est en train de changer. Ces derniers mois, plusieurs annonces marquantes ont concerné des essais cliniques en cours aux résultats prometteurs.
Une thérapie ciblée active
Le premier et principal espoir réside en une thérapie ciblée au nom de code « RMC-6236 ». Cette molécule, administrée par voie orale, inhibe l’action délétère du gène KRAS, dont la mutation est le principal moteur de la croissance tumorale. « Jusqu’à présent, nous n’avions pas de thérapie ciblée capable d’agir spécifiquement sur cette mutation, qui est présente chez 90 % des patients ayant un cancer du pancréas. Ce médicament va certainement permettre des stabilisations de la maladie, mais la question centrale est : quelle va être la durée de la réponse à ce traitement ? », précise le Pr Ducreux. En octobre 2024, le laboratoire à l’initiative de cette thérapie a présenté les résultats d’un premier essai clinique incluant 76 patients : 27 % d’entre eux avaient répondu au traitement et six mois après, 97 % des patients étaient toujours en vie. Un autre essai clinique international de phase 3 est en cours pour évaluer l’intérêt de cette thérapie ciblée, qui inclue notamment quelques patients suivis à l’IGR. « En plus de l’efficacité de ce traitement sur l’extension tumorale, l’autre bonne nouvelle est qu’il n’a pas une toxicité considérable et n’entraîne pas d’effets indésirables trop sévères, selon les premiers résultats », ajoute le Pr Ducreux. Les conclusions de cet essai sont attendues pour fin 2026 et, dans le meilleur des cas, le traitement pourrait être mis à disposition fin 2027.
Un vaccin personnalisé et un test de dépistage
Second espoir : un vaccin personnalisé à base d’ARN messager. « Ce traitement s’adresse aux 20% de patients chez qui on peut envisager une intervention chirurgicale. Les patients sont opérés puis un prélèvement de leur tumeur est adressé au laboratoire américain qui fabrique ce vaccin et ils sont ensuite inclus dans un essai randomisé », expose le Pr Ducreux. De premiers résultats très encourageants ont été publiés dans la revue « Nature » en février 2025 : sur 16 patients atteints d’une tumeur du pancréas opérable, la moitié ont très bien répondu à ce vaccin personnalisé, avec une forte activation de leurs cellules immunitaires qui a persisté dans le temps. Trois ans plus tard, six de ces huit patients étaient toujours en rémission. « Le but de ce vaccin est éviter les récidives et donc de guérir plus de patient. Sa mise à disposition est encore lointaine, au mieux en 2029 », ajoute le Pr Ducreux.
Dernière avancée récente : un test sanguin de dépistage ou biopsie liquide, nommé « PAC-MANN-1 », qui mesure le taux de protéines sécrétée par les cellules tumorales pancréatiques et permettrait de repérer les personnes atteintes plus tôt, même en l’absence de signes cliniques. « On pourrait l’utiliser non pas en population générale mais auprès de populations qui ont un surrisque (risque familial, mutation, etc…), dans le cadre du programme Interception mené à l’IGR. Mais pour le moment, la limite de ce type de tests est qu’il n’est pas encore très performant pour détecter les petites tumeurs », décrypte le Pr Ducreux. En parallèle, d’autres chercheurs travaillent à la compréhension des facteurs de risque de ce cancer, dont l’incidence est particulièrement élevée en France.
La piste des pesticides
La France fait partie des quatre pays les plus touchés au monde, avec 16 000 cas répertoriés en 2023. Depuis trois décennies, la hausse de l’incidence y est deux à trois fois plus rapide que dans les autres pays, une question sur laquelle se penche le Dr Mathias Brugel, oncologue digestif et épidémiologiste au Centre hospitalier de Bayonne, auteur de plusieurs études récentes sur le sujet. Certains facteurs de risque majeurs du cancer du pancréas sont identifiés depuis longtemps, notamment le tabagisme, le surpoids et l’obésité, l’alcool et le diabète. « Quand on s’intéresse à leur évolution dans le temps ou au sein d’autres populations, on constate que ces facteurs de risque ne permettent pas, à eux seuls, d’expliquer la hausse de l’incidence française. Il faut donc trouver de nouvelles pistes d’explication », estime le Dr Brugel, qui mène des recherches sur le rôle des pesticides. En mars 2024, l’étude écologique spatio-temporelle Eco-PESTIPAC, dont il est l’auteur principal, montrait une association entre un risque légèrement accru de cancer du pancréas et la quantité cumulée de pesticides, dont trois substances en particulier : le soufre en pulvérisation, le mancozèbe et le glyphosate. Les zones de forte incidence sont le bassin parisien, le centre de la France et la côte méditerranéenne, des localisations interrogeant l’impact des cultures viticoles sur la santé de leurs riverains. En août 2024, l’étude PESTIPAC montrait une corrélation entre risque de cancer du pancréas et concentration de pesticides dans la graisse abdominale. « Dans cette étude cas-témoins, nous retrouvons des pesticides en quantité plus importante chez les patients atteints d’un cancer du pancréas. Nous nous sommes concentrés sur un sous-type de pesticides organochlorés (trans-nonachlor, etc.) interdits dans les années 1990 mais que l’on retrouve quand même trois décennies plus tard. Deux hypothèses : soit les personnes ont encore des traces de leur exposition de l’époque, soit notre environnement est encore contaminé et ces personnes ont été recontaminées par l’air, l’eau, les aliments », souligne le chercheur.
Si le lien établi est faible, il ne demande qu’à être approfondi. « Nos données ne sont pas assez robustes aujourd’hui pour affirmer que les pesticides causent le cancer du pancréas. Mais nous espérons que ce sera le point de départ pour de nouvelles études car il faut creuser ce lien », souligne le Dr Brugel. Les pesticides sont en effet connus pour favoriser l’oncogenèse et leur utilisation est massive en France. En 2021, une expertise collective de l’Inserm confirmait ainsi un lien fort entre l’exposition professionnelle aux pesticides et des pathologies comme le cancer de la prostate et les lymphomes non hodgkiniens. En plus des pesticides, les PFAS et les microplastiques sont deux autres pistes à explorer.
Où trouver de l’aide et du soutien ?
En attendant de pouvoir bénéficier des nouveaux traitements en développement, les personnes touchées peuvent trouver de nombreuses informations et de l’aide auprès de la Ligue contre le cancer. « Il ne faut pas hésiter à téléphoner à nos permanences pour des conseils personnalisés. La Ligue propose de l’aide psychologique, sociale et financière aux familles qui sont en difficulté. Par ailleurs, nous proposons aussi des soins de support aux personnes touchées (activité physique adaptée, suivi nutritionnel, etc.). Et, selon le lieu de résidence et de prise en charge du patient, nous pouvons aussi l’aider à demander un deuxième avis dans un centre de référence pour, peut-être, avoir la chance d’être inclus dans un essai clinique et bénéficier d’un traitement innovant », souligne Iris Pauporté. En effet, sur le terrain, les inégalités sont toujours bien réelles concernant la prise en charge de ce cancer parmi les plus graves. « Nous avons d’un côté des personnes très informées et orientées d’emblée vers des centres de cancérologie extrêmement spécialisés, avec des chances maximales pour leur prise en charge et de l’autre, des personnes plus éloignées géographiquement des centres de référence, ce qui peut ralentir leur suivi et avoir un impact défavorable sur leur survie », pointe la directrice de la recherche à la Ligue contre le cancer. Des inégalités que vise à réduire le plan cancer 2021-2030, qui consacre une partie de ses moyens à la lutte contre les cancers de mauvais pronostic.
Laisser un commentaire public