Malgré une baisse notable de la consommation de tabac, d’alcool et de cannabis, enrayer les conduites addictives chez les plus jeunes reste un enjeu majeur. Quelles réponses apporter pour les accompagner au mieux ?
Tout va mieux. C’est en tout cas ce que l’on pourrait penser en observant l’évolution des niveaux de consommation de tabac, alcool et cannabis chez les jeunes au cours de la dernière décennie. Comme le souligne l’enquête EnCLASS, publiée en 2022, les courbes dans ces trois groupes de produits montrent un infléchissement continu des usages depuis 2010. En classe de 3e, les jeunes sont ainsi 64,1 % à avoir déjà expérimenté l’alcool, contre 83,2 % dix ans auparavant. Même tendance pour l’alcool (29,1 % vs 51,8 %) et le cannabis (9,1 % vs 23,9 %).
Nouvelles tendances
Peut-on dès lors en conclure que les problèmes liés aux conduites addictives chez les adolescents et les jeunes adultes sont en train de s’éteindre petit à petit ? Ce serait aller un peu vite en besogne et passer à côté d’autres enjeux. Illustration avec l’alcool : « On peut certes se satisfaire de la chute de la prévalence des consommations, mais elles restent tout de même élevées », note Laurent Muraro, coordinateur général de la Fédération Entraid’Addict. L’enquête Escapad de 2022 le confirme, en soulignant que 7,2 % des jeunes de 17 ans consomment de l’alcool au moins dix fois par mois et qu’un un tiers d’entre eux boivent au moins dix verres à chaque fois. Le rapport que l’Inserm a consacré en 2021 à la réduction des dommages liés à la consommation d’alcool rappelle, qu’à cet âge, « entre 40 et 50 % déclarent avoir eu au moins une alcoolisation ponctuelle importante (API). » Ce n’est pas uniquement la fréquence des API qui doit être prise en compte, mais aussi l’intensité de ces alcoolisations importantes, reprend Laurent Muraro. « Les études le montrent clairement : plus la fréquence est élevée, plus l’alcoolisation est massive. » Autre raison de ne pas se contenter de courbes à l’allure décroissante : elles ne reflètent pas tous les comportements qui risquent de conduire à l’addiction. « Certes, les produits classiques ont moins la cote, observe le Pr Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et addictologie de l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif). Mais, en parallèle, d’autres tendances se développent : neurostimulants de synthèse, cocaïne, protoxyde d’azote, vapotage, etc. »
L’influence des écrans
Une liste à laquelle il faut ajouter la consommation d’écrans. L’étude publiée en 2024 par l’association e-Enfance dresse à ce sujet un constat éloquent. Alors que 27 % des élèves de primaire fréquentaient les réseaux sociaux en 2021, ils étaient 67 % inscrits sur ces plateformes trois ans plus tard. Et 28 % des lycéens ne tiendraient pas plus d’une heure sans leur smartphone. Problème, « cette connexion permanente au monde offre la richesse de nombreux possibles mais ne s’arrête jamais, remarque Véronique Garguil, psychologue à la consultation jeunes consommateurs CAAN’abus du Pôle inter-établissement d’addictologie au CHU de Bordeaux et secrétaire nationale de la Fédération Addiction. C’est à chacun de trouver ses propres limites à un âge où elles sont questionnées. Accessibilité et permanence n’habituent pas à supporter le doute, à différer, à imaginer des solutions alternatives, à faire des choix. » Cette exposition pave aussi la voie à d’autres sollicitations en exposant les jeunes internautes à des contenus valorisant les produits, en particulier l’alcool. Entre 2021 et 2024, ce sont ainsi 11 300 messages de ce genre qui ont été recensés par Addictions France, impliquant 483 influenceurs et 802 marques d’alcool. Dans son rapport « les réseaux sociaux, un nouveau far west », l’association constate que 79 % des 15-21 ans voient ce type de contenus toutes les semaines, ce qui provoque une envie de consommer chez un quart d’entre eux.
Or, la rencontre entre l’alcool – ou toute autre substance psychoactive – et le cerveau encore immature des adolescents est particulièrement délétère. « C’est tout le système de récompense qui va s’en trouver bouleversé, décrit Laurent Muraro. In fine, les consommateurs seront plus sensibles aux substances qu’aux autres sources de plaisir. Et plus ces pratiques addictives s’installent tôt, plus le risque de devenir dépendant une fois adulte augmente. » S’adonner au binge drinking entre 19 et 25 ans, par exemple, multiplie par trois la probabilité de devenir alcoolodépendant. Quant aux risques à court terme, ils sont également bien identifiés : violence subie ou exercée, accidents, déscolarisation, délinquance, conflits parentaux, etc.
Donner du sens
Face aux conduites addictives, quelle qu’en soit la nature, pas question de rester les bras croisés et de se contenter d’un discours prohibitif ou moralisateur. « Le rôle des adultes, parents, proches, éducateurs, enseignants, etc., est d’interdire tout en donnant du sens et en restant dans l’accompagnement, indique Laurent Muraro. Il est important de poser des limites car les jeunes n’ont pas la capacité cérébrale de se poser eux-mêmes leurs propres limites. » Rappeler l’interdiction et lui donner du sens en soulignant les risques, tout en conservant un climat de bienveillance : c’est l’attitude adoptée par les spécialistes de l’addiction pour obtenir la coopération des jeunes consommateurs. Les pratiques motivationnelles sur lesquelles ils s’appuient proscrivent tout jugement et respectent leurs expériences pour les conduire à porter un regard sur leur comportement, sans forcément chercher à le modifier immédiatement.
« L’enjeu est de ne pas les heurter, insiste le Pr Benyamina, mais de gagner leur confiance sans les séduire. » Ce devrait être aussi le positionnement des parents face à un enfant aux conduites problématiques. « L’écoute et la disponibilité sont cruciales, rappelle Véronique Garguil. Il est inutile de réprimer dès qu’il y a une rencontre avec une substance. Mieux vaut essayer de comprendre et, de la part des adultes, de se rendre disponibles, d’accuser réception de ce comportement sans être accusateur : il y a toujours une fonction derrière un usage. La meilleure question à se poser alors est simple : que faire pour accompagner au mieux ? »
De multiples ressources
Pour ouvrir le dialogue, l’association Entraid’Addict parcourt les établissements scolaires et y diffuse un film documentaire intitulé Nouveau Souffle, qui retrace l’itinéraire de Mathieu Thullier. L’histoire de cet étudiant parvenu à surmonter ses dépendances à l’alcool et au tabac en se fixant comme objectif de boucler un Ironman sert ensuite de base de discussion. « Les élèves s’identifient facilement et participent volontiers au débat, décrit Laurent Muraro. En plus de débanaliser l’usage, le but est d’amener une réflexion. La prochaine fois qu’on leur proposera de consommer, ce ne sera pas un oui automatique. » Quand la situation a déjà dérapé, plusieurs ressources permettent de trouver de l’aide. A commencer par les consultations jeunes consommateurs, gratuites et confidentielles, présentes dans tous les départements.
Elles accueillent les jeunes et leur famille pour évaluer la situation, la comprendre et proposer un accompagnement, quelle que soit la nature de l’addiction. Elles sont souvent rattachées à un Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), un type de structure qui se concentre sur les addictions aux substances psychoactives et offre des suivis médicaux psychosociaux. Le médecin généraliste est également un interlocuteur à considérer. « Ils connaissent le réseau des prises en charge possibles sur leur territoire et peuvent eux-mêmes assurer certains suivis et orienter vers un service d’addictologie », note Véronique Garguil. Enfin, les Maisons des adolescents, les Points d’accueil et d’écoute jeune ainsi que les services d’écoute et d’urgence téléphonique (lire ci-dessous) offrent d’autres ressources vers lesquelles se tourner. Il n’est jamais trop tôt pour cela : « Dès qu’un jeune ou sa famille se pose des questions sur sa consommation ou son comportement, souhaite avoir des repères ou faire le point, il ne doit pas rester seul au risque de s’enfermer dans un fonctionnement qui met les substances ou les comportements au centre de la préoccupation. Alors que c’est le jeune dans sa globalité qui doit rester la seule préoccupation », conclut Véronique Garguil.
Une campagne de prévention contre-productive
« Chaque jour, des personnes paient le prix de la drogue que vous achetez ». C’est le message martelé par la dernière campagne de prévention, lancée en février 2025 et pensée par le ministère de l’Intérieur. Bruno Retailleau, le locataire de la place Beauvau l’assume et le revendique : le but est de responsabiliser les consommateurs de stupéfiants en les culpabilisant. Une méthode qui suscite incompréhension et grincements de dents du côté des acteurs engagés au quotidien aux côtés des personnes souffrant d’addictions. « Pour les jeunes, ce type de campagne engendre au mieux du désintérêt, au pire de la défiance, surtout si elle vient d’un ministre qui, à leurs yeux, limite déjà leurs libertés, regrette le Pr Benyamina. Une bonne campagne doit parler des risques, décrire les produits, mais surtout rester équilibrée et être élaborée avec le ministère en charge de la santé des jeunes. » Ce qui n’a pas été fait en l’espèce.
Politiques de lutte contre l’addiction : le sévère rapport de la Cour des comptes
Dans son rapport annuel 2025, la Cour des comptes consacre un chapitre à la prise en charge des addictions des jeunes aux drogues illicites et à l’alcool. La juridiction indépendante n’est pas tendre avec les pouvoirs publics auxquels elle reproche « la faiblesse des politiques de prévention et de soin ». Dans le détail, la Cour déplore un manque d’ambition et de coordination des campagnes de prévention, avec des financements dispersés et une absence d’objectif national chiffré pour la réduction de la consommation. Elle regrette également que « le dispositif hospitalier [soit] faiblement dimensionné et trop généraliste », avec peu d’établissements disposant de services spécifiquement consacrés aux jeunes. Quant au secteur médico-social, il y est décrit comme « fragile et cloisonné », ce qui conduit trop peu de jeunes consommateurs à fréquenter les structures d’accompagnement. « En 2019, souligne la Cour des comptes, les moins de 25 ans représentaient seulement 5,8 % des personnes prises en charge par les centres de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Ces structures devraient davantage jouer leur rôle de prévention et d’orientation. Il revient aux agences régionales de santé de les soutenir, quand c’est nécessaire pour leur permettre d’exercer pleinement leurs fonctions. »
Les numéros d’écoute et d’urgence
- Drogue Info service : 0 800 23 13 13
- Alcool Info service : 0 980 980 930
- Joueurs info service : 09 74 75 13 13
- Tabac info service : 3989
- Ecoute cannabis : 0 980 980 940
- Fil santé jeunes : 0 800 235 236
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