Visiter un proche dans un établissement de soins en période d’épidémie : droits, leçons et pistes pour l’avenir

Pour faire face à la crise sanitaire provoquée par la Covid-19, des mesures ont été prises « dans l’intérêt de la santé publique », selon la formule consacrée. Pour empêcher la propagation du virus, l’accès à certains lieux a été restreint, voire ajourné. Parmi ceux-ci, les structures de soins, tels les hôpitaux, Ehpad et USLD. Familles, aidants, patients, résidents : tous ont pâti, et pâtissent encore, de ces limitations, vécues comme une entrave aux libertés, et responsables au final de beaucoup de détresse. Où s’arrêtent les bénéfices de la protection sanitaire ? Quelles leçons tirer de ces derniers mois ? La Conférence nationale des espaces de réflexion éthique régionaux (CNERER) s’est emparée de ces questions, dans un dossier qui égrène un certain nombre de repères et de solutions, en vue d’une équitable prise en compte des intérêts de tous les acteurs, tant au niveau collectif qu’individuel.

Le risque de contamination : imposer une limite dans le temps

Souvenons-nous : en mars 2020, quand débute l’épidémie de la Covid-19, la priorité consiste à freiner la diffusion du virus, dont on sait encore bien peu de choses. Le confinement pour tout le monde est décrété, sauf dérogations. Evidemment, cette décision inédite concerne aussi les hôpitaux, les établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les unités de soins longue durée (USLD).

L’intention est légitime : il s’agit de protéger les patients et les résidents, une population par définition plus vulnérable. La vie communautaire facilitant de surcroît la circulation virale. Interdire les visites participe du respect des principes de solidarité et de responsabilité. Il est en effet impératif à ce moment-là de faire en sorte de garantir la continuité des soins, alors que les services hospitaliers sont sous tension, et de préserver la santé des personnels soignants. Rappelons, enfin, que le matériel de protection disponible (masques, gel hydroalcoolique, surblouse) est alors très largement insuffisant.

Problème : si le risque de contamination a plutôt été maîtrisé, la rupture du lien social entre patients et résidents, d’un côté, et proches, de l’autre, s’est souvent traduit par de l’anxiété, de la détresse et même une dégradation de l’état général de certaines personnes.

Aujourd’hui, la protection des soignants, des patients ou résidents, et des proches reste bien sûr essentielle. Pour autant, tout concourt à assouplir, voire lever les limitations de visite. De nombreuses structures de soins se sont adaptées, en créant des secteurs différenciés, qui séparent les personnes atteintes de la Covid-19 des autres patients ou résidents, les gestes barrières sont acquis et les équipements de protection largement diffusés.

Rien ne s’oppose, par ailleurs, à la mise en place, dans ces lieux, d’une politique de dépistage rapide, avec mise à disposition de tests antigéniques, pour limiter le risque de contagiosité entre les patients ou résidents, les professionnels de santé et les visiteurs. Les autorités de santé encouragent le déploiement de pareilles mesures, permettant de limiter le risque de transmission du virus tout en respectant les rencontres entre personnes.

Enfin, la vaccination doit être promue et favorisée dans toutes ces structures : elle, seule, permettra à terme de minimiser ce risque. C’est d’ailleurs déjà en partie le cas dans les Ehpad et les USLD, où une large majorité des résidents est désormais vaccinée – à défaut de tous les personnels soignants. Le 13 mars dernier, un nouveau protocole de recommandations sanitaires concernant les visites en Ehpad et dans les USLD est d’ailleurs entré en vigueur, « en vue d’un retour progressif à la normale », selon les termes du ministère des Solidarités et de la Santé1. Les sorties dans la famille sont désormais possibles, par exemple, en fonction de la situation sanitaire locale. « Les résidents des établissements pour personnes âgées doivent bénéficier, comme le reste de la population générale, de la possibilité de voir leurs proches », précise cette actualisation post-vaccinale des mesures de protection.

Bref, dans tous les lieux de soins, il faut désormais organiser les visites et non plus les interdire.

Le maintien du lien social : par tous les moyens

Outre leur faisabilité, les visites extérieures s’inscrivent dans le droit accordé aux individus à une vie familiale, amicale et affective et au lien social. Il figure noir sur blanc dans la Charte de la personne hospitalisée (avril 2006). Ces échanges avec l’entourage sont d’autant plus justifiés qu’ils participent à l’équilibre tant psychique que somatique de la personne hospitalisée ou du résident, mais également à la prévention de la souffrance des familles, et même du personnel soignant. Les témoignages post-confinement ont été, à cet égard, éclairants sur le niveau d’anxiété des populations vulnérables, leur apathie, et même, dans certains cas, leur régression. « Les proches sont ainsi acteurs de la prise en charge », rappelle la CNERER dans son rapport.

Pour pallier l’absence de visite, certains Ehpad ou services hospitaliers ont bien mis en place des alternatives numériques. Mais outre que ces outils ne sont pas forcément familiers au plus grand nombre, ils ne sont pas davantage adaptés à toutes les situations. Comment, par exemple, gérer l’accompagnement de fin de vie ? Avec un an de recul, on sait combien cette question a été particulièrement douloureuse.

La crise sanitaire a révélé une totale carence en la matière qu’il convient dorénavant de combler au plus vite, en dotant ces structures de moyens de communication adaptés au grand âge et à toutes les situations de maladie.

Si l’une des alternatives à la limitation des visites peut consister à préserver les activités collectives et les interventions extérieures (bénévoles, associations de patients, etc.), cette solution n’est pas satisfaisante sur le long terme. C’est pourquoi les visites des proches doivent être programmées dès que possible, et encadrées évidemment pour limiter le risque de contamination. Mais éducation de l’entourage ne doit pas dire contrôle des échanges. Et ceux-ci doivent être pensés en fonction des situations médicales. Exemple, le port du masque transparent, dit « inclusif », peut être souhaitable face à des personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer ou qui présentent d’importantes déficiences auditives, leur laissant ainsi la possibilité de lire sur les lèvres de leur parent.

Le maintien de la relation prend évidemment tout son sens dans les situations de fin de vie et de décès. Il faut favoriser la présence des proches et assouplir au maximum les règles de restriction des visites dès que le décès est pressenti. L’interdiction d’avoir un dernier échange est vécu comme une violence faite aux mourants et aux proches, entraînant chez ces derniers traumatismes et deuils impossibles.

Enfin, dans les Ehpad et les USLD, l’architecture des locaux devrait être opportunément repensée et organisée pour permettre l’accueil des visiteurs dans de bonnes conditions, en cas de permanence ou de résurgence de la crise du Covid.

La prise de décision : s’appuyer sur une réflexion collégiale

En Ehpad, des mesures de limitation des visites ont parfois été appliquées de manière disproportionnée, et mises en place de façon autoritaire par la direction. Dans le secteur hospitalier, les pratiques ont été très variables, tant sur les critères retenus pour les décider que sur les prises de décision. Conflits, dépôts de plainte même : l’encadrement de la limitation des visites a souvent été dénoncé.

Quelle que soit la situation, une chose est sûre : l’acceptation de la réglementation des visites ne peut passer que par une communication complète et transparente et une concertation avec les patients, résidentes et proches. « La collégialité est un principe éthique important, base d’une démocratie sanitaire active », soulignent les auteurs du dossier. Elle se conçoit, en deux temps : d’abord, informer les patients et leurs proches sur les critères qui ont abouti à la restriction des visites, puis les intégrer aux décisions d’organisation des visites – il en va de même pour leur assouplissement : la concertation entre toutes les parties prenantes est systématiquement à promouvoir.

Dans les Ehpad et les USLD, le conseil de la vie sociale, une instance créée par la loi du 2 janvier 2002, et composée des représentants des résidents, des familles et du personnel de l’établissement, devrait toujours être sollicité. Son rôle est précisément de favoriser l’expression et la participation des différents acteurs à la vie de la structure. En tout cas, sur le papier, car en réalité, il n’est pas toujours très actif, ni très dynamique. La crise pourrait être l’occasion de le relancer.

À l’hôpital, et à risques équivalents, le droit de visite peut varier d’un établissement à un autre, d’un service à un autre. Conclusion : la décision devrait, là encore, intégrer les instances hospitalières et les représentants des usagers.

Enfin, les espaces éthiques régionaux et les cellules éthiques des établissements de soins peuvent être sollicités pour aider à la prise de décisions collégiales concernant les résidents ou les patients. En cas de tensions entre les différents participants, ces comités peuvent être un recours pour apaiser les litiges.

 

1 Allègement post vaccinal des mesures de gestion dans les EHPAD et les USLD

En savoir plus

Droits de visite dans les lieux de soins en période de crise Covid (Hôpitaux, Ehpad, USLD), Dossier Repères éthiques Covid-19, 22 mars 2021 : www.espace-ethique-normandie.fr/10143/

1 commentaires

  • VIGNAULT dit :

    Le confinement a eu un effet positif sur certaines pathologies notamment neurodégénératives et psychiatriques en protégeant nos résidents Inversement, les états borderline ont souvent décompensé sur un mode anxio-dépressif plus difficile à gérer Les familles ont beaucoup de mal à entendre que leur visites même en temps de crise n’apportent pas systématiquement du bon et du bien à leurs proches .

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