Semaines d’information sur la santé mentale | «Les déterminants de la santé mentale sont essentiellement sociaux et environnementaux»

Du 10 au 23 octobre se déroulent les Semaines d’information sur la santé mentale (SISM), adossées à la Journée mondiale de la santé mentale qui se tient chaque année le 10 octobre. L’occasion de sensibiliser le public à un sujet parfois encore difficile à aborder, voire appréhender. Des centaines de manifestations sont organisées sur tout le territoire, coordonnées par un collectif national qui regroupent 24 organismes impliqués dans le domaine de la santé mentale. Ce collectif est animé par Psycom, un organisme national d’information sur la santé mentale créé il y a trente ans avec pour objectif d’informer la population sur la santé mentale et placé sous la tutelle de PsyCom, un organisme national d’information sur la santé mentale et de lutter contre la stigmatisation. Entretien avec Aude Caria, sa directrice.     

Qu’appelle-t-on la santé mentale ?

Au sens de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS), la santé mentale est la recherche permanente de l’équilibre psychique entre toutes les dimensions de la vie.1 Elle ne se réduit pas à l’absence, de troubles psychiques. En clair, nous avons toutes et tous une santé mentale qui est aussi importante que notre santé physique. Et celle-ci évolue également tout au long de la vie. Souvent, quand nous parlons de santé mentale, nous pensons troubles psychiatriques. Or, cette confusion doit être corrigée. Dès lors que nous avons tous une santé mentale, à certains moments, pour des raisons d’hérédité ou d’événements de vie, ou à cause de l’environnement dans lequel on vit, etc., notre équilibre psychique peut être altéré, perturbé, au point d’entraîner un trouble pathologique, dont on peut se rétablir.

Comment expliquer que l’on parle si peu de la santé mentale ?   

La santé mentale reste un domaine encore très marqué par la stigmatisation et le tabou. Dans l’imaginaire collectif, la santé mentale renvoie à la folie, à la violence et à un ensemble de représentations sociales véhiculées durant des siècles, et qui continuent encore aujourd’hui à alimenter les peurs.

Même la vulnérabilité est mal tolérée dans nos sociétés axées sur la réussite…     

C’est oublier que la vulnérabilité, c’est justement ce qui nous rassemble. Nous sommes toutes et tous vulnérables, et nous l’avons bien compris avec la crise pandémique.

De fait, l’épidémie de Covid a généré une forte hausse des gestes suicidaires, des troubles anxieux ou de l’humeur, des états dépressifs, etc. Et selon les données de Santé publique France, les difficultés sont loin d’être derrière nous. Le Covid a-t-il été, là encore, un accélérateur ?     

Indiscutablement, cette crise a permis une prise de conscience collective de l’existence et de l’importance de la santé mentale. Tout le monde, quel que soit l’âge, enfants compris, a souffert de cette situation exceptionnelle, et personne ne peut dire qu’il en est sorti complètement indemne. C’est devenu un sujet de société, ce qui marque un tournant dans l’histoire de la santé mentale, par rapport notamment à la stigmatisation et au tabou. Donc, oui, le Covid a eu un effet accélérateur, mais il ne faut pas tout mettre sur le dos du virus. Les problèmes existent depuis longtemps. Et les crises sanitaires, écologiques, internationales, économiques s’enchaînent, sans nous laisser de répit.

Diriez-vous que la parole s’est soudainement libérée ?    

Je n’aime pas l’idée de la parole qui se libère, c’est plutôt l’écoute qui doit s’ouvrir, en raison du poids de la discrimination. Cette prise de conscience collective y contribue, mais elle s’accompagne dans le même temps d’une augmentation des besoins de soutien et de soins, dans un contexte de fortes tensions en ce qui concerne le système de santé, notamment à l’hôpital public, et en particulier en psychiatrie et pédopsychiatrie.

Dans ce cadre, où trouver le soutien nécessaire ?  

D’abord, les réponses sont graduées. Toutes les personnes qui se sentent en souffrance psychique ne doivent pas forcément consulter un psychiatre. La première étape, déjà, c’est de réussir à parler de son mal-être. Plus on en parle, moins on a peur et moins on a honte. Et arriver à en parler, cela vaut à la fois pour la personne directement concernée, mais aussi pour le proche ou l’aidant d’une personne en souffrance, quel que soit par ailleurs son état physique, à l’instar des patients chroniques : comment puis-je repérer les signes de mal-être, comment vais-je m’adresser à elle, etc. C’est là qu’interviennent les lignes d’écoute qui se sont énormément développées depuis deux ans. Sur le site de Psycom (rubrique S’orienter), il existe un annuaire de toutes les lignes d’écoute en service, régulièrement mis à jour.

Cela peut-il suffire ?  

Il y a également des lieux d’entraide. Le problème, c’est que ces lieux-ressources sont peu connus, car l’information est mal diffusée. Mais c’est en train de changer. Outre les associations qui se partagent entre accueil et information, beaucoup de municipalités se sont emparé de la question de la santé mentale, sensibilisées par la crise sanitaire. On recense aujourd’hui environ 250 Conseils locaux de santé mentale (CLSM), qui réunissent élus, médecins, services psychiatriques, services sociaux, bailleurs, PMI, médiathèques, mutuelles de santé, associations, entreprises, etc., répartis sur tout un territoire et qui coordonnent ensemble des actions spécifiques en faveur de la santé mentale de la population.

C’est l’idée préconisée par l’OMS que la réponse au mal-être passe par la communauté…

En effet, la souffrance psychique ne dépend pas seulement de l’individu, mais de divers paramètres extérieurs : inégalités sociales, habitat, éducation, genre, etc. La Santé mentale doit être considérée comme un sujet de société. D’où l’importance des élus, car ce sont eux qui peuvent agir sur les déterminants sociaux de la santé. Nous avons formé des équipes municipales pour leur faire comprendre qu’un délégué au logement peut tout à fait être concerné par la santé mentale, et pas seulement par les troubles du voisinage, mais en permettant à chacun d’avoir un toit. Même chose pour l’élu à l’environnement, s’il choisit de mettre des jardins au pied des barres d’immeuble, il contribue à la santé mentale des habitants. Il ne faut pas oublier que les déterminants de la santé mentale sont essentiellement sociaux et environnementaux.

L’hôpital n’est qu’une infime partie de la solution… 

Oui, mais dans l’opinion publique, la réponse passe par la prise en charge médicale et les médicaments. Or chacun possède une partie de la solution. Il y a la question du repérage en tant que proche ou aidant, évoquée précédemment, mais les interactions existent à tous les niveaux. Par exemple en tant qu’en tant qu’employeur, on peut être vigilant à la santé mentale au travail : il ne suffit pas de mettre un baby-foot ou de proposer des cours de yoga à l’heure du déjeuner pour que les salariés se sentent mieux, si parallèlement on continue à pratiquer un management qui pousse au burn-out.

A-t-on toujours les outils pour faire face à un mal-être, notamment chez les enfants ?

Si l’on prend l’exemple des professeurs des écoles ou du collège, ils peuvent effectivement être démunis et arguer qu’ils ne sont pas « psy » ou que c’est l’affaire des parents. On revient toujours à cette peur qui fait obstacle. C’est confondre le soin et le prendre soin. Promouvoir la santé mentale est à la portée de tous. Construire un monde promoteur de santé implique toutes les dimensions de notre existence. Psycom propose, sur son site, un outil pédagogique pour parler de la santé mentale avec les enfants, Le Jardin du Dedans. Dans les interactions, ces derniers font tout de suite des liens avec des situations de mal-être, de violence ou de harcèlement. Et l’histoire qui est racontée permet également de poser des mots sur ces difficultés. Enfin, ces outils de médiation font passer le message qu’on peut faire des choses pour un copain, et vice versa, et qu’on peut en parler à des adultes.

Est-ce que cela peut suffire face à la succession de crises depuis deux ans ?

De fait, il y a des raisons objectives de ne pas être au meilleur de sa forme. Entre le Covid, toujours présent, la guerre en Ukraine, la menace nucléaire, l’inflation, l’écologie, et un été de tous les dangers, en réalité, l’urgence à agir qui s’est imposée avec la pandémie est bousculée par toutes ces sources d’inquiétude et cet environnement global peu propice à la sérénité. Il existe toutefois des façons de se protéger de ce climat anxiogène, pour éviter que cela ne génère dépression ou troubles anxieux.

Par exemple ?

Parmi les approches qui peuvent aider, il y a la relaxation, la cohérence cardiaque, la méditation et bien sûr l’activité physique, qui a fait ses preuves contre l’anxiété. Mais pour diminuer le sentiment d’impuissance, anxiogène en soi, rien de tel que de passer à l’action, en s’engageant par exemple dans une association de protection de l’environnement. Enfin, il faut rester vigilant au piège des fils d’information continu, et tenter de contrôler son temps d’écran.

Cette année, les Semaines d’information sur la santé mentale parleront de l’environnement. Une étude publiée en 2021 révélait que 75 % des jeunes des pays du sud et du nord jugeaient leur futur inquiétant2. L’écoanxiété, une thématique on ne peut plus d’actualité…

L’écoanxiété est une des nouvelles manifestations du trouble anxieux, liée à la crise écologique. Mais le concept d’écoanxiété me dérange un peu, car c’est encore une façon de sur-responsabiliser l’individu : le monde va mal et en plus je suis écoanxieux et je dois faire quelque chose pour aller mieux ! C’est nier le fait qu’on vit dans un environnement, avec des systèmes d’oppression et des rapports de domination et que les responsabilités ne sont pas seulement individuelles. Ce n’est pas tant le monde qui me rend écoanxieux que l’absence de réaction des décideurs. Les gestes du quotidien sont bien sûr importants pour nous aider à ne pas rester complètement impuissants, mais pas pour résoudre la crise écologique au niveau planétaire, si rien ne se passe au plus haut niveau des Etats.

1 : Selon l’OMS, la santé mentale est un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ».
2 : Etude réalisée en 2021 par l’Institut Kantar et conduite par des chercheurs d’universités britanniques, américaines et finlandaises auprès de 10 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans, dans dix pays du nord et du sud. Elle a été publiée dans la revue scientifique The Lancet Planetary Health.

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Dans le cadre des SISS, nos délégations et associations en région se mobilisent. Exemple avec 5 d’entre elles : En Occitanie, une campagne d’affichage, en Guyane, des rencontres et débats, en Normandie, une association partenaire ouvre les portes de son Jardin extraordinaire pour une journée festive, d’échange et de gym douce, en PACA, c’est l’édition du mémento des Représentants des usagers autour du thème « La santé mentale, c’est toute la vie », à l’adresse de tous, et des professionnels de santé et en Nouvelle-Aquitaine avec des événements d’associations partenaires autour de deux thématiques : « L’accès et maintien dans le logement » et « Pour ma santé mentale, agissons sur l’environnement ».

Qu’en est-il du dispositif « MonPsy » ?  

Depuis le 5 avril dernier, le dispositif « MonPsy » permet à toute personne à partir de 3 ans, et sur adressage d’un médecin, de bénéficier de huit séances par an avec un psychologue, prises en charge par l’Assurance maladie. Lancé par le ministère de la Santé, ce dispositif vise à répondre au mal-être né de la pandémie et de ses confinements successifs. « Six mois après, le dispositif est toujours en phase de déploiement, déclare Benoît Schneider, président honoraire de la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie (FFPP). Le nombre de psychologues conventionnés approchera très prochainement les 2 100, ce qui représente un peu plus de 15 % du potentiel de psychologues libéraux concernés par cette approche. » Selon les premières estimations, les psychologues conventionnés ont déjà eu au moins un patient, depuis qu’ils se sont déclarés. Certes, des obstacles demeurent, tels que l’adressage obligatoire, le tarif des séances (40 euros) ou encore le nombre annuel limité de séances. Des obstacles qu’il convient de dépasser, car, poursuit Benoît Schneider, « huit séances peuvent permettre de répondre à une difficulté transitoire, en particulier pour les usagers qui ne peuvent pas avoir accès à ces soins autrement. » Et, fait inédit, le remboursement de ces séances est garanti, qu’elles se fassent en présentiel ou en visio – à l’exception de la première qui doit obligatoirement se tenir en présentiel.

Même côté professionnels, « MonPsy » semble également combler une attente. « Les médecins généralistes sont parfois démunis face à des situations difficiles, en termes de prise en charge. Or, ce dispositif facilite la mise en place de relais, ce qui amènera sans doute d’autres psychologues à emboîter le pas aux plus de 2 000 qui y ont déjà adhéré. » C’est d’ailleurs une première : jamais auparavant, la profession n’était rentrée, de manière aussi étendue, dans un processus de prise en charge par l’Assurance maladie. « C’est un changement de paradigme », admet le président honoraire de la FFPP. Ce changement a été amorcé par un ensemble d’expérimentations, tel que le dispositif d’accompagnement Santé Psy Etudiants, mis en place en mai 2021 par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce dernier qui devait initialement durer une année, a été maintenu pour la rentrée 2022, ce qui laisse penser qu’il pourrait se pérenniser. « La FFPP avait apporté son soutien à ce dispositif, dans un contexte de contribution à l’effort collectif en matière de prise en charge des nombreuses situations de souffrance psychologique et psychiatrique », rappelle Benoît Schneider.  

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