Les usagers toujours coupables ? Quand le gouvernement fait le pari de les stigmatiser dans sa lutte aux fraudes sociales

L’annonce fait la une de nombreux médias, le gouvernement annonçait cette semaine envisager la fusion de la carte Vitale et de la carte nationale d’identité dans un objectif de lutte contre la fraude sociale. Derrière les effets d’annonce, un constat : la lutte contre le non-recours aux prestations sociales notamment en santé ne fait pas partie des priorités.

Alors que l’été dernier le projet de loi de finance 2022 entérinait l’arrivée prochaine de la carte Vitale biométrique, les usagers sont de nouveaux la cible des mesures anti-fraudes. Bien que la mission de l’Inspection générale des affaires sociales et des finances (IGAS) semble avoir finalement enterré le projet biométrique face au cout estimé et aux conditions de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), les politiques ne désespèrent pas de faire de la carte Vitale leur nouvelle arme. France Assos Santé était par ailleurs auditionnée sur le sujet au début de l’année et avait exprimé à l’IGAS ses nombreux points de vigilance.

Cinq mois plus tard, nos inquiétudes sont toujours de mise. Les différents rapports récents notamment de la cour des comptes estiment que 80% de la fraude en santé émane des professionnels de santé eux-mêmes. Dès lors, si des progrès récents sont à noter concernant les dispositifs de fraude sur des montants importants commis par des centres de santé ou encore des pharmacies, les usagers de la santé concentrent de manière disproportionnée les attentions. En particulier leur carte Vitale !

Nous partageons en effet toujours notre constat que la carte Vitale est une cible erronée pour réduire les fraudes à l’Assurance maladie. L’essentiel des fraudes commises avec les cartes Vitales concernent le recours à des fausses ordonnances pour la revente au marché noir en utilisant les droits sociaux des fraudeurs eux-mêmes ou des attestations de droit frauduleuses, évitables avec le futur service « ordonnance numérique » de l’Assurance maladie. De même, le prêt ou la location de cartes Vitales comme évoqués par les politiques ne sont que des pratiques marginales. Cette potentielle évolution n’aurait finalement que très peu d’impact sur la réduction de la fraude chez les professionnels et encore moins sur les fausses déclarations ou piratages de RIB régulièrement mis en avant.

Concernant une fusion entre la carte Vitale et la carte nationale d’identité, nous constatons qu’une fois de plus les arguments avancés, pour « rénover » la carte Vitale, depuis plusieurs années par les politiques n’apportent pas de réponse concrète pour réduire la fraude.

Pire, les contraintes qu’un tel changement ferait peser sur les usagers, au quotidien, seront sans commune mesure avec l’infime proportion de fraude potentiellement évitée. Obstacles pour les aidants des patients, difficultés au renouvellement des documents d’identité, risque de renoncement aux soins pour les publics vulnérables, accès par les personnes avec une autre nationalité ou encore craintes sur l’accès aux données par les forces de l’ordre sont autant de points d’alerte que nous avons soulevés et continuerons de porter. « Cette fusion porte en son sein un risque pour nos libertés et la démocratie » précise Gérard Raymond, président de France Assos Santé.

L’emploi de plus en plus récurrent dans l’espace politique et médiatique d’une rhétorique de culpabilisation des usagers quant à leur accès et utilisation des droits et prestations sociales nous inquiète. En particulier quand le non-recours des usagers est un problème de santé-publique, avec à peine plus d’un usager sur deux éligibles à la Complémentaire Santé Solidaire (CSS) en bénéficie réellement, entrainant ruptures de parcours et cumul des vulnérabilités et précarités.

Ces annonces répétées entretiennent un climat de stigmatisation constant à l’égard des usagers, et alimentent un climat de violence médiatique qu’il faut faire cesser. Pour conserver la solidarité de notre système de santé et la confiance des citoyens dans le système public, il est urgent de ne plus voir les usagers comme une variable d’ajustement, sur laquelle faire peser la responsabilité et les contraintes disproportionnée d’une réponse aux fraudes avant tout professionnelles.

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