Alors que la santé mentale a été décrétée Grande cause nationale en 2025, l’accès aux soins reste très dégradé en psychiatrie. De nombreux adolescents et jeunes adultes restent en grande souffrance depuis la pandémie de Covid-19. Face à la stigmatisation et aux retards dans l’accès aux soins, des associations de patients sont mobilisées pour leur venir en aide. Et formulent des propositions.
« Mon fils de 17 ans a failli finir en prison faute de soins psychiatriques. » Anne, 53 ans, mère de 3 enfants, a vécu de longues années d’errance diagnostique au côté de son fils. Fugues, accès de violence incontrôlables, déscolarisation… jusqu’à une fuite avec un camion de service alors qu’il était sapeur-pompier volontaire. Après cinq années très difficiles pour cette famille, un médecin décide enfin d’hospitaliser le jeune homme. Il ne pèse plus que 40 kg pour 1,78 m. Le diagnostic est posé : il souffre de schizophrénie. Alors âgé de 22 ans, il est hospitalisé six mois à temps plein à l’hôpital psychiatrique, en soins sans consentement, et reçoit un traitement antipsychotique. L’amélioration de son état est lente, mais certaine. « A la sortie, il n’avait plus d’hallucinations ni de crises, il récupérait lentement », témoigne cette mère qui a tenu le coup, notamment grâce au soutien de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). Depuis, des hauts et des bas se succèdent, mais la mère et son fils tiennent bon et vivent avec la maladie. Mais, à l’instar de ce qu’a traversé cette famille, combien de dégâts causés par ce parcours du combattant pour accéder à des soins ?
Des retards de prise en charge et de diagnostic
En moyenne, le retard de diagnostic est de trois ans pour la schizophrénie, jusqu’à dix ans pour les troubles bipolaires, selon l’Unafam. Un laps de temps sans soins qui est de mauvais pronostic pour les jeunes adultes souffrant de maladie psychique aiguë, au nombre desquelles la schizophrénie, la psychose, les troubles bipolaires et la dépression sévère – ces dernières se déclarant le plus souvent entre 15 et 20 ans. « Le pire, depuis le Covid, c’est pour les jeunes. Ils se sont retrouvés très isolés, sans relations sociales, et avec de grosses difficultés pour consulter », souligne Claude Finkelstein, présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie (FNAPSY). Les retards de diagnostic sont de plus en plus fréquents et longs. « Quand les adolescents déclarent les premiers symptômes d’une maladie psychique, il est très délicat pour l’entourage de faire la différence entre un malaise d’adolescent et une maladie. Le plus souvent, les jeunes entrent dans le système de soins par les urgences, à l’occasion d’une crise. On leur donne des médicaments sans bien leur expliquer le temps d’action, les effets, etc. C’est terrible car il est courant qu’après cette première expérience, ils rejettent d’emblée le système hospitalier », relate Claude Finkelstein.
Résultat, pour les familles concernées par la maladie psychique, c’est le début d’un éprouvant parcours semé d’embûches. « Quand elles ont réussi à passer outre la stigmatisation – ce qui constitue déjà une longue étape – et qu’elles font la démarche de chercher un professionnel, elles se retrouvent confrontées à la double barrière des délais et des coûts. A Paris, les psychiatres sont souvent en secteur 2 et la consultation peut atteindre 100€ », rapporte Jocelyne Viateau, coprésidente du comité scientifique de l’Unafam.
Un secteur sinistré
Le 11 décembre dernier, le rapport d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques a été examiné à l’Assemblée nationale. Ce document témoigne – un de plus – d’une dégradation très inquiétante de la santé mentale des Français et de l’accès aux soins psychiatriques. En 2023, 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique ont été comptabilisés, soit une hausse de 21% par rapport à 2019, avec un taux de recours particulièrement élevé pour les adolescents et jeunes adultes. Les femmes, dont les jeunes filles surtout, sont particulièrement concernées : les hospitalisations pour tentative de suicide et auto-agressions ont augmenté de 570 % depuis 2007, un chiffre hallucinant ! Les confinements successifs durant la pandémie de la Covid-19 ont laissé de nombreuses séquelles. Parallèlement, l’effondrement de la pédopsychiatrie est confirmé, avec un nombre de pédopsychiatres qui a chuté de 34 % entre 2010 et 2022. « La situation s’aggrave d’année en année », confirme Jocelyne Viateau, qui suit de près les questions d’accès aux soins. Il y a désormais des régions avec zéro pédopsychiatre et des centres médico-psychologiques sans psychiatre ! »
Des prises en charge inadaptées
Les hospitalisations de mineurs en unités de psychiatrie adulte ne sont plus exceptionnelles, dénonce le rapport d’information. Des hospitalisations dans des conditions qui risquent d’aggraver la santé mentale des jeunes patients, au lieu de l’améliorer. Pire, des jeunes dans des états de souffrance aiguë ne peuvent pas être hospitalisés, faute de place, et repartent à la maison. Cela a été le cas, en 2023, pour 123 enfants de moins de 15 ans, qui se sont présentés aux urgences du CHU de Nantes pour des idées suicidaires ou une tentative de suicide, et qui n’ont pas pu être pris en charge. En l’absence de places d’hospitalisation et de suivi possible en ville, les médecins généralistes se retrouvent très démunis face à ces adolescents et jeunes adultes en souffrance. Faute de mieux, ils prescrivent des médicaments. Selon les chiffres de l’Assurance maladie, la consommation de psychotropes a ainsi explosé en 2023 chez les 12-25 ans : + 60 % de jeunes sous antidépresseurs, + 38 % sous antipsychotiques et + 8 % sous anxiolytiques, par rapport à 2022. Et les projections démographiques ne laissent guère entrevoir de grandes améliorations dans les prochaines années. Les futurs médecins boudent la spécialité : 13 % des postes d’interne en psychiatrie sont restés vacants en 2024. Ils sont une majorité à estimer que la spécialité est trop difficile à exercer émotionnellement et qu’elle est moins prestigieuse que d’autres, selon une enquête menée pour le CNUP en 2023. En octobre 2024, une campagne ≠ChoisirPsychiatrie, initiée conjointement par le Collège national des universitaires de psychiatrie et deux associations d’étudiants, en médecine et en psychiatrie, a été lancée pour tenter de redonner de l’attractivité à cette spécialité déconsidérée.
Repenser la santé mentale de manière globale
« Il est urgent et primordial de prendre en charge de manière plus globale la santé des personnes souffrant de troubles psychiques, affirme le Dr Nabil Hallouche, président de l’Association nationale pour la promotion des soins somatiques en santé mentale (ANP3SM). Les personnes atteintes d’une pathologie psychiatrique (psychose, troubles bipolaires, etc.) souffrent en parallèle de très nombreuses comorbidités, notamment des pathologies cardiovasculaires et des troubles métaboliques, qui dégradent leur qualité de vie. Les conséquences sont effrayantes : ces personnes ont une espérance de vie réduite par rapport à la population générale. Et ce n’est pas en raison de suicides ou d’accidents, comme on pourrait l’imaginer, mais de leurs pathologies somatiques associées. » Là encore, les retards de prise en charge sont fréquents et pour les patients et leurs familles, c’est la double peine. Les proches et aidants sont totalement démunis. Ils assistent, impuissants, à la prise de poids de leur proche – souvent provoquée par les traitements – et l’aggravation d’un diabète ou d’une hypertension. « Actuellement, la prise en charge médicale est nettement insuffisante pour ces patients. Il faut repenser l’organisation du suivi à partir des hôpitaux pour mieux structurer la prise en charge avec les médecins de liaison, les infirmiers en pratique avancée, les pairs aidants, etc. », suggère le Dr Hallouche.
Quelles attentes pour 2025, année de la santé mentale ?
La santé mentale a été décrétée Grande cause nationale 2025. Les priorités fixées par le gouvernement sont les suivantes : la déstigmatisation, le développement de la prévention et du repérage précoce, l’amélioration de l’accès aux soins et l’accompagnement des personnes concernées dans toutes les dimensions de leur vie quotidienne. Les associations de patients mobilisées depuis des années, notamment l’UNAFAM et FNAPY, formulent les attentes suivantes :
- Déstigmatiser les troubles psychiques. « Personne ne veut avoir une maladie psychique, personne ne veut la voir en face, ni en parler. Tout le monde préfère penser que cela va s’arranger et préfère consulter son médecin généraliste, qui va faire de son mieux, mais qui a lui-même un accès difficile à la psychiatrie », souligne Jocelyne Viateau, de l’Unafam, qui compte sur la médiatisation en 2025 pour expliquer la santé mentale et déstigmatiser les troubles psychiques.
- Sensibiliser et aider les jeunes. Voici un nouvel outil à diffuser auprès du plus grand nombre ! Lancée en mai 2024 par l’Inserm, l’étude MENTALO vise à mieux connaître les évolutions de la santé mentale des jeunes, afin de comprendre et prévenir la dégradation pointée par plusieurs études depuis l’épidémie de la Covid-19. Pour participer à cette étude, c’est ici.
- Développer la médecine collaborative. Sur le modèle de l’initiative SESAME (soins d’équipe en santé mentale) en Ile-de-France, l’Unafam appelle à une généralisation de ces équipes de soins qui soutiennent les médecins généralistes en les entourant de personnels spécialisés (IDE, ou infirmier en soins généraux, psychiatre référent, psychologue). Un modèle qui a fait ses preuves : meilleure observance des traitements, rémission plus rapide et durable pour les patients et gain économique (hospitalisations évitées, arrêts de travail moins longs…).
- Accélérer le rétablissement. « Les lits sont occupés trop longtemps en psychiatrie. Il faut développer la réhabilitation psychosociale pour que les personnes puissent sortir de l’hôpital et reprendre le cours d’une vie normale », souligne Jocelyne Viateau. Le rétablissement correspond à un cheminement de la personne, dans la durée, pour reprendre le contrôle de sa vie et trouver sa place dans la société.
Que faire en cas de crise de l’un de vos proches ?
Dans ce contexte de grandes difficultés d’accès aux soins, que faire si l’un de vos proches se retrouve en proie à un crise d’angoisse, un délire, des hallucinations, voire une tentative de suicide ?
L’Unafam indique quelques réflexes à avoir :
- s’efforcer de rester calme ;
- se rappeler qu’on ne peut pas raisonner une personne en situation de crise ;
- abaisser le niveau sonore dans la pièce et demander au maximum de personnes de la quitter ;
- écouter sans jugement et témoigner de l’empathie ;
- essayer d’amener la personne vers des soins ;
Quelques numéros de téléphone d’urgence :
- Ecoute-famille Unafam : 01 42 63 03 03
- Suicide-Ecoute : 01 45 39 40 00
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