« L’Institut des Maltraitances ambitionne de coordonner des solutions concrètes pour lutter contre les maltraitances envers les adultes vulnérables »

La ligne nationale d’écoute téléphonique 3977, numéro dédié à lutter contre les maltraitances envers les personnes vulnérables, lance l’Institut des Maltraitances. Le lancement de cet organisme, une initiative unique en Europe, est l’aboutissement de 30 ans d’engagement et d’expérience du réseau ALMA, pour Allô Maltraitance, intégré, depuis sa création en 2014, à la Fédération 3977, soutenue et financée par les pouvoirs publics. Entretien avec Vincent Le Scornet, Directeur Général de la Fédération 3977.

Comment fonctionne la Fédération 3977 ?

Vincent Le Scornet – La Fédération 3977 regroupe 600 bénévoles, un numéro d’appel national (3977) et 52 centres qui couvrent 74 départements en France. Nous ciblons principalement les maltraitances envers les personnes âgées et/ou en situation de handicap. Chaque année, nous recevons 60 000 appels, dont 11 000 qui concernent plutôt des suspicions de maltraitance. Les appels reçus font l’objet d’une qualification et les appelants sont, le cas échéant, recontactés par nos centres départementaux en fonction de leur situation géographique. Nos centres sont animés par celles et ceux que nous appelons des « professionnels en situation de bénévolat ». Il s’agit le plus souvent de retraités issus du secteur social ou médico-social. Cependant, notre mission s’arrête à l’échange et au conseil téléphonique. Dès lors qu’il s’agit d’intervenir sur le terrain, nous réorientons les personnes qui ont besoin d’aide vers les services compétents.

Une telle plateforme ne devrait-elle pas faire l’objet d’une professionnalisation ?

Vincent Le Scornet – C’est un argument auquel nous sommes régulièrement confrontés. Or, notre rôle est important dans les situations familiales compliquées. Les appelants se confient en effet plus facilement à des tiers, bénévoles, anonymes, issus de la société civile. Par ailleurs, nos trois décennies de combat et d’expérience sur cette problématique sont précieuses. Mais le sujet est suffisamment grave et délicat pour que nous portions évidemment une grande attention dans le recrutement de nos écoutants ainsi qu’à la qualité de nos formations – notre organisme de formation est l’un des 5 piliers stratégiques que nous mettons en valeur dans le futur Institut des Maltraitances. Enfin, la légitimité de notre mission est renforcée via le soutien de l’Etat qui considère que notre réseau remplit une mission d’intérêt général.

Quels sont les types de situations auxquels les écoutants sont le plus souvent confrontés ?

Vincent Le Scornet – Dans 70 % des cas, les faits de maltraitance qui nous sont rapportés ont lieu au domicile. Or ce sont les situations les plus délicates à évaluer du fait de l’intrication familiale inhérente. Lorsqu’il s’agit de cas de maltraitance qui se déroulent en établissements médico-sociaux ou en maisons de retraite, il est, en général, plus facile de prendre contact avec le directeur et de résoudre le problème. On considère toutefois qu’à peine 5% des situations de maltraitance sont révélées.

Comment remédier à ce défaut d’alertes ?

Vincent Le Scornet – Les politiques publiques ne se sont pas suffisamment emparés du sujet. Le manque de promotion autour du numéro 3977 en est la preuve si on compare avec les campagnes de communication – légitimes – déployées pour promouvoir, par exemple, le 3919, le numéro d’écoute, d’information et d’orientation pour les femmes, ou le 119, l’accueil téléphonique de l’enfance en danger. Cela nous a conduit à « démarcher » pour nous faire connaître, en particulier auprès des établissements ou services médico-sociaux, ou des EHPAD. Mais rappelons que ce public « ne représente que 30 % de nos appels ». C’est donc auprès du grand public qu’il convient de cibler nos efforts en matière d’information et de prévention contre la maltraitance à l’endroit des personnes âgées ou en situation de handicap.

Vous menez donc plusieurs combats au niveau de la prévention ?

Vincent Le Scornet – Effectivement, il est indispensable qu’un maximum de cas de maltraitance avérés soient rapportés, mais dans le même temps il faut faire en sorte que cette maltraitance n’ait pas lieu. Il est essentiel de sensibiliser la population sur ce que sont ces maltraitances. En effet, il s’agit parfois de maltraitance sans intention de malveillance. Prenons l’exemple d’un couple âgé dont l’un des deux est devenu l’aidant de son conjoint, en situation de dépendance ou de handicap. Si l’entourage de l’aidant ne le soutient pas, l’aidant s’épuise littéralement et parfois la maltraitance peut apparaître sans aucune mauvaise intention a priori. Sur un tel sujet, la prévention est forcément systémique. Chacun doit prendre sa part de responsabilité pour que se mette en place une véritable solidarité autour de la vieillesse et du handicap. L’Institut que nous créons ambitionne d’imaginer et de coordonner des solutions concrètes pour lutter contre ces maltraitances.

Pourquoi créez-vous aujourd’hui l’Institut des Maltraitances ?

Vincent Le Scornet – Notre volonté est de valoriser la richesse de notre écosystème, que nous avons l’intention d’étoffer encore. Les premières pièces de cet écosystème, qui correspondent à nos 5 piliers stratégiques, sont un conseil scientifique, un comité éthique, un observatoire des maltraitances, un organisme de formation et un fonds de dotation. Nous espérons que tous ces outils pourront venir en appui des politiques publiques. Le fonds de dotation pourra nous permettre d’engager des actions, des appels à projets, afin de travailler avec davantage de moyens. Nous espérons aussi que cet écosystème, un outil unique puisque le premier de ce genre en Europe, entraîne des dynamiques vertueuses, permettant d’offrir à cette thématique une réelle visibilité. Enfin, notre but est que les pouvoirs publics mettent en place une politique forte de lutte contre les maltraitances faites aux personnes âgées ou en situation de handicap.

L’Institut des maltraitances est lancé ce 22 janvier, à l’occasion d’un colloque autour du thème : « Agir pour les adultes vulnérables en situations de maltraitances. Le sociétal, le domicile, l’intime ». Organisée au ministère des Solidarités, cette journée se déclinera en débats et tables rondes, réunissant médecins gériatres, magistrats, avocats historiens et personnalités de l’associatif.

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