Initier les plus jeunes à l’alcool en famille présente de nombreux risques

A quelques jours des fêtes de famille, beaucoup d’adolescents, et même un nombre conséquent d’enfants, vont probablement goûter leur première gorgée d’alcool, voire boire leur premier verre entier. C’est en France, presque, une tradition. Cependant, les connaissances scientifiques et les études s’accordent pour dire que cela représente des risques certains pour leur santé, que cela augmente le risque d’alcoolo-dépendance à l’âge adulte et par conséquent, tous les dangers indirects liés à la consommation d’alcool, comme les accidents de la route ou l’implication dans les violences, dont les violences intrafamiliales.

Beaucoup de parents pensent qu’une initiation en famille est plus sécurisante qu’une initiation entre amis, non contrôlée. Est-ce votre cas ? Avez-vous vous-mêmes été initiés à l’alcool en famille ? Servirez-vous de l’alcool à vos enfants ces prochains jours ou romprez-vous avec cette tradition ?

Quelques chiffres sur l’expérimentation des enfants à l’alcool

D’après l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et Tendances addictives), en France, le nombre d’enfants ayant expérimenté l’alcool à l’âge de 11 ans, soit environ l’âge d’entrée en classe de 6ème, est deux fois plus élevé que la moyenne européenne. En effet, l’enquête EnCLASS réalisée en 2018 et exploitée par l’OFDT, montre qu’en 6ème, 44% des élèves ont déjà goûté à de l’alcool. En revanche – et c’est rassurant – les chiffres montrent qu’il y a un net recul de l’âge de l’initiation à l’alcool puisqu’en 2010, 51% des élèves de 6ème en avait fait l’expérience. Cela pourrait être corrélé au fait que l’Observatoire rapporte également que les enquêtes montrent qu’en 2008 et 2012, 20% de la population française considérait comme acceptable de boire son premier verre d’alcool avant 16 ans, et qu’en 2018, ils n’étaient plus que 12% à trouver cela acceptable.

Une culture forte en France concernant la consommation d’alcool

Mentionner que la France est le berceau de vins d’exception et du champagne enfonce une porte ouverte, mais sans doute cela participe-t-il à cette initiation précoce de l’alcool en famille. Le fait également que dans notre pays, 25% des adultes dépassent les repères de consommation d’alcool considérés comme étant à risques (qui sont, rappelons-le, de deux verres par jour maximum et pas tous les jours) ne favorise sans doute pas non plus la prévention concernant l’alcool, surtout en périodes de fêtes. En effet, durant les fêtes de fin d’années, 82% des Français boivent par exemple du champagne (Etude de 2016 réalisée par le syndicat général des vignerons de la champagne). Valérie Lemaire, Chargée de mission Prévention Jeunesse à la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) souligne : « La consommation d’alcool pour les moments festifs fait tant partie de notre culture, que lorsque les enfants sont trop jeunes, on leur achète du champagne sans alcool. C’est déjà une manière de leur signifier inconsciemment qu’on les invite à un mode de consommation identique à celui des adultes, et que l’alcool est finalement un incontournable des fêtes. ».

Initier en famille pour protéger des dérives liées à l’alcool ?

En toute bonne foi, rapporte Valérie Lemaire, de nombreux parents pensent qu’une initiation raisonnable en famille, peut-être basée sur le goût, la qualité des boissons alcoolisées, préservera leurs enfants d’une tentation d’alcoolisations excessives avec des produits de mauvaise qualité, avec des jeunes de leur âge. Non seulement aucune étude ne prouve que cela fonctionne, mais celle réalisée en 2018 et intitulée « Consommation précoce d’alcool avec la permission des parents : caractéristiques psychosociales et consommation d’alcool à la fin de l’adolescence », montre l’inverse. Il s’agissait de suivre 765 familles américaines avec des enfants de moins de 13 ans, réparties en deux groupes : dans l’une, les enfants pouvaient goûter un peu d’alcool en famille. Dans l’autre, c’était interdit. Le suivi a révélé que les enfants du premier groupe ont eu une consommation d’alcool plus fréquente et importante à l’adolescence que les enfants du second groupe. Le fait est que même si l’on pense bien faire en initiant ses enfants à l’alcool à la maison, on fait plutôt entrer le loup dans la bergerie, on banalise, voire on sacralise l’alcool, alors que l’objectif est plutôt de le débanaliser.

Les dangers d’une alcoolisation précoce

Les dangers de boire de l’alcool chez les jeunes sont avérés et immédiats notamment sur le développement de leur cerveau. Valérie Lemaire précise que le parent qui fait boire un fond de coupe de champagne à son enfant risque d’altérer son cerveau et que cela peut engendrer des troubles cognitifs ou des troubles de l’apprentissage et bien évidemment avoir des incidences, notamment sur la scolarité des jeunes. Notons au passage que le développement du cerveau n’est réellement achevé qu’à l’âge de 25 ans, et que s’il est utopique d’imaginer que tous les jeunes éviteront l’alcool jusqu’à cet âge, il n’est pas superflu de leur expliquer qu’une trop grande consommation, même dès 18 ans, âge où ils deviennent officiellement responsables pour eux-mêmes, peut encore nuire au développement cérébral.

L’autre principal danger est l’augmentation du risque d’alcoolodépendance chez les jeunes qui expérimentent l’alcool précocement. Comme nous l’avons vu avec l’étude ci-dessus, plus un enfant boit tôt, et plus il a de risques de consommer plus fréquemment et en plus grande quantité de l’alcool durant l’adolescence. Or, de son côté, l’Inserm rapporte que des études montrent que la pratique largement répandue du « binge drinking », qui consiste à boire au moins 6 à 7 verres d’alcool en moins de deux heures pour atteindre un état d’ivresse le plus rapidement possible, chez les jeunes entre 18 et 25 ans, augmente significativement le risque d’alcoolodépendance.

Parler d’alcool en famille oui, mais ne pas en proposer…

Bien sûr, l’exemplarité est intéressante quand on veut éviter de transmettre de mauvaises habitudes à ses enfants, mais il n’est pas non plus question de s’interdire de boire un peu d’alcool pendant les fêtes de fin d’années ou de famille, ni de proscrire définitivement l’alcool de la maison. Alors comment aborder la question ? Pour Laurent Muraro, coordinateur général à Entraid’Addict, une association qui intervient régulièrement auprès des adolescents dans les collèges et les lycées, il est important de parler du sujet de l’alcool en famille et de ne pas attendre de le faire, un verre à la main, durant un dîner festif, où il serait alors compliqué de faire entendre pourquoi l’alcool est dangereux pour la santé. « Avant 13 ans, l’interdit protecteur est de rigueur, et a priori à cet âge, les enfants ont plutôt confiance en leurs parents et ne remettent pas trop en cause ce qui leur est demandé. Cependant, même chez les plus jeunes, il est important d’expliquer pourquoi on pose cet interdit, afin de lui donner du sens. Après 13 ou 14 ans, un interdit strict sur l’alcool pourrait engendrer chez les adolescents une envie de transgression. Le dialogue est alors essentiel. Les parents peuvent parler du fait qu’ils se doutent que leurs enfants ont peut-être déjà, ou pourraient bientôt, expérimenter l’alcool mais ils peuvent alors en rappeler les dangers. Ils peuvent aussi expliquer qu’en tant que parents, ils ne souhaitent pas leur en servir, même occasionnellement en famille, et faire incidemment passer le message que l’alcool est une boisson comme une autre, qu’il est banal de boire, voire que c’est incontournable lors d’une fête. », explique Laurent Muraro.

Pour finir citons Nicolas Prisse, président de la MILDECA qui estime que : « Les deux premiers tueurs en série en France restent l’alcool et le tabac. ». Malheureusement nos enfants y sont quotidiennement exposés. Il s’agit d’une formule « choc » mais les chiffres parlent d’eux-mêmes. Avant 30 ans, la première cause évitable de mortalité est liée à la consommation d’alcool. Rappelons que l’alcool représente chaque année en France 41000 décès qui pourrait être évités.

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