Le masque à l’école et l’impact sur les apprentissages

L’apparition du masque à l’école a-t-il un impact sur les apprentissages, notamment sur l’acquisition du langage chez les enfants ? C’est ce que nous avons cherché à savoir en interrogeant une orthophoniste et plusieurs enseignants et élèves en école primaire, au collège et au lycée.
Si pour certaines matières, comme les langues vivantes, et certaines classes charnières comme le CP, le port du masque est un obstacle au niveau des apprentissages, dans l’ensemble, ni les professeurs, ni les élèves ne se plaignent d’accumuler de retard particulier dans le programme de cette année.
Cependant, il faut rester plus que jamais attentifs au cas des enfants qui présentent des troubles de l’apprentissage et qui sont confrontés à des difficultés supplémentaires avec le port du masque.

 

INTERVIEW MARIE PLAZIAT-LECROQ, ORTHOPHONISTE ET MEMBRE DU LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ORTHOPHONISTES

66 Millions d’Impatients : À partir de quel âge le port du masque peut-il gêner les apprentissages, notamment du langage, chez les enfants ?

Marie Plaziat-Lecroq : L’impact du masque commence pour les petits dès la crèche, car à cet âge, ils apprennent le langage et la communication en imitant l’autre. Ils sont réceptifs et reproduisent ce qui est de l’ordre du para-verbal, c’est à dire les intonations par exemple, et du non-verbal comme les mimiques, la gestuelle notamment. On peut donc faire passer aux plus petits certains éléments de langage para-verbal et non verbal malgré le masque. Pour parer à l’obstacle du masque et mieux faire passer les messages aux petits enfants, on peut alors un peu exagérer les intonations, la prosodie (c’est à dire la mélodie du langage), la gestuelle, ou jouer avec le regard. Les éducateurs et instituteurs peuvent avoir intérêt à s’attacher les cheveux par exemple, pour bien dégager le haut de leur visage.
Dans les processus d’apprentissage du langage, la lecture labiale, chez les enfants qui n’ont pas de troubles particuliers de l’apprentissage ou de l’audition, se fait instinctivement. Ils n’en auront pas forcément besoin pour apprendre à bien parler.
A partir du collège, l’acquisition du langage est terminée mais des difficultés peuvent apparaître quand les élèves abordent de nouvelles matières et découvrent un nouveau vocabulaire, comme les langues vivantes.

66 Millions d’Impatients : Sait-on si le port du masque à l’école entraine du retard dans les apprentissages ?

Marie Plaziat-Lecroq : À ce stade, nous n’avons pas assez de recul pour mesurer l’impact sur les apprentissages potentiellement subi par les enfants, face au port du masque à l’école. Nous verrons dans les mois qui viennent si nous avons plus de demandes qu’avant dans les cabinets d’orthophonie mais on peut espérer que l’apprentissage du langage par l’entourage familial, notamment par les parents qui ne portent pas de masque à la maison, soit suffisant pour ne pas créer de retard particulier.

66 Millions d’Impatients : Pourrait-il y avoir des enfants pour qui le port du masque à l’école poserait pourtant un problème dans l’acquisition des apprentissages ?

Marie Plaziat-Lecroq : Effectivement, cela pourrait poser des problèmes chez les enfants qui présentent des troubles des apprentissages. Qu’ils soient déjà diagnostiqués, suivis par un professionnel de santé ou non, le masque représente pour eux une difficulté supplémentaire.
On peut déjà le constater dans nos cabinets d’orthophonie où il a fallu adapter les séances pour ces enfants. Certains exercices sont difficiles à mener à bien et les enfants petits ont parfois du mal à nous reconnaître.
Si pour un enfant qui ne présente pas de difficultés d’apprentissage, la lecture labiale est secondaire, elle peut être d’une grande aide chez un enfant qui souffre de troubles du langage. Il va notamment repérer que certains sons sont produits selon un mouvement particulier de la langue ou de la bouche.
De la même façon, les enfants porteurs d’autisme ont parfois des difficultés pour traduire les expressions du visage et le fait qu’il soit à moitié caché chez leurs interlocuteurs peut les perturber.

66 Millions d’Impatients : Comment vous êtes-vous adaptés dans les cabinets d’orthophonie ?

Marie Plaziat-Lecroq : Certains orthophonistes se sont équipés d’hygiaphones pour pouvoir retirer leur masque quand c’est indispensable lors de certains exercices. Nous utilisons aussi la visière.
Ce serait formidable que les professionnels de la petite enfance puissent être équipés de masques transparents. Cela est vrai également pour les instituteurs de primaire jusqu’au collège et pour de nombreuses autres professions bien sûr. Cependant, pour l’instant ce type de masque n’est pas homologué pour les professions de santé.
Nous avons eu l’autorisation de continuer les téléconsultations et c’est un bon outil finalement pour les orthophonistes car en téléconsultation, on ne porte évidemment pas de masque et pour certains de nos patients, cela représente un réel bénéfice ! L’idéal, pour ces derniers, est d’alterner des séances en présentiel et en téléconsultation, tant que l’on ne pourra pas se passer du masque en présentiel.

 

PAROLES D’ENSEIGNANTS ET D’ÉLÈVES SUR LE PORT DU MASQUE À L’ÉCOLE

Jeanne, institutrice en maternelle
J’ai une classe à triple niveaux (petite, moyenne et grande section) et je n’ai pas trouvé que le port du masque changeait grand-chose au niveau du premier contact, pour ceux qui ne me connaissaient pas. Très rapidement les moyens et les grands ont pris les plus petits sous leurs ailes et les ont aidés.
Lors de la lecture et de la phonologie, lorsque je peux être à distance à plus d’1m50 des élèves, j’enlève le masque car il me semble essentiel qu’ils puissent voir ma bouche et l’expression de mon visage, qui fait partie de l’écoute de l’histoire. Le reste du temps, je garde mon masque bien entendu.
Au niveau des apprentissages, le masque est un frein surtout pour des enfants qui ont déjà des retards en phonologie. Je pense notamment à une petite fille que j’ai en grande section, qui articule très mal et que j’ai beaucoup de mal à comprendre. C’est certain que mon masque ne l’aide pas du tout.

 Carole, institutrice en CP
Au mois de septembre, accueillant des CP, je baissais mon masque en permanence lorsque j’étais au tableau, à bonne distance des élèves, pour qu’ils aient quand même une maîtresse avec un visage. Ma direction m’a tout de même gentiment rappelée à l’ordre. Cela dit, c’est difficile d’enseigner la lecture et les différences entre certains sons avec le masque. Une paroi en plexiglass aurait été bienvenue pour les moments où on leur fait la lecture notamment.
J’ai également remarqué que cette année, les enfants sont particulièrement « volatiles » et remettre un peu de discipline lorsqu’ils sont dissipés est plus compliqué avec le masque. Je le retire parfois pour bien montrer mon mécontentement.
Au niveau du contenu et des apprentissages, j’ai accueilli cette année des élèves qui étaient prêts pour le CP, à une ou deux exceptions près. Dans l’ensemble, les parents s’étaient énormément impliqués pendant le 1er confinement, à tel point que c’est la première fois où je découvre des enfants qui écrivent si bien par exemple.
À la rentrée des vacances d’automne, ils se sont habitués en 2 jours environ à porter le masque. Ils se sont adaptés bien plus vite que les adultes.
Cela dit, on a souvent du mal à se comprendre et on perd souvent du temps à se répéter les uns et les autres. Le côté positif peut-être c’est que cela oblige les élèves à plus projeter leur voix, à parler plus fort, à articuler davantage. C’est un bon travail de diction finalement mais cela reste un obstacle pour la compréhension.
J’ai fait un petit sondage pour recueillir leurs impressions sur le port du masque à l’école :

  • Les 2/3 trouvent que cela ne change rien dans les apprentissages, que cela ne les bloque pas.
  • 1/3 trouve que ça change un peu les choses, qu’ils comprennent parfois moins bien.
  • 1/4 avouent avoir eu peur face à la généralisation du port du masque.
  • 1/4 se sentent mal à l’aise d’avoir à porter un masque et de ne pas voir tout le visage et les expressions des autres.

Manon, institutrice en CE1
J’ai montré mon visage rapidement une fois à la rentrée en septembre pour me présenter et je n’ai pas senti que le fait que les enseignants portent un masque à l’école leur posait problème. Cela m’arrive aussi de le retirer un instant pour l’apprentissage en phonologie et en anglais.
À la rentrée de vacances d’automne, quand les élèves également ont été contraints à porter le masque à l’école, j’ai proposé des lectures du Petit Quotidien pour leur montrer que le port du masque à l’école était déjà mis en place depuis le mois de septembre dans d’autres pays. On a discuté autour de ce thème, des inconvénients techniques, de leurs inquiétudes mais les enfants n’ont pas eu de difficultés particulières à porter le masque en classe. Je pense qu’ils se sont sentis responsabilisés et qu’ils en avaient parlé avec leurs parents avant.
Au niveau des apprentissages, on doit bien évidemment veiller à parler plus fort, à se rapprocher d’eux pour mieux se faire comprendre, à répéter parfois. Eux-mêmes parlent un peu plus fort et il y a plus de brouhaha lors des ateliers où ils travaillent en petits groupes. Je ne pense pas pourtant que l’on prendra du retard dans les apprentissages, d’autant que les élèves sont arrivés en septembre avec un bon niveau. La plupart avait bien travaillé pendant le confinement.

Evelyne, institutrice en CE2
Bien que j’étais nouvelle dans l’établissement où j’enseigne cette année, je n’ai eu aucune difficulté pour faire connaissance avec ma classe. La rentrée de septembre s’est donc très bien passée. Au retour des vacances d’automne les élèves devaient à leur tour porter le masque à l’école. Pour en avoir parlé avec mes collègues, nous trouvions tous que les enfants s’y faisaient relativement bien. On était surpris de leur capacité de résilience.
La prise de parole de leur part est la même. Cela ne les empêche pas de bavarder, d’interagir entre eux, ni de poser des questions. J’ai simplement un peu modifié la façon dont j’interagis avec eux et j’ai par exemple davantage recours aux ardoises pour les faire participer. C’est plus facile pour eux et ça leur évite de répéter quand il y a des quiproquos.

Fabienne, professeure au lycée
Je démarrais cette année dans un nouveau lycée et je trouve que cela a été difficile pour apprendre à reconnaître mes élèves, d’autant qu’ils portent un uniforme ! Il se peut que l’on prenne un léger retard en classe car certains filoutent un peu… Souvent ils bavardent derrière leur masque et je n’arrive pas à savoir qui parle. Ils se lèvent également pour changer leur masque… Cela les amuse un peu, mais ce n’est pas bien méchant.
Au niveau des apprentissages, c’est vrai qu’à l’oral, on les comprend moins bien mais cela ne freine pas leur participation. Certains m’ont demandé s’ils pouvaient retirer leur masque à l’oral ce que j’ai refusé. L’autre jour, ils ont confondu cannelloni avec Calédonie. On en a rigolé mais non globalement il n’y a pas de difficultés majeures. Je prends simplement le temps d’écrire les termes nouveaux ou compliqués au tableau. 

Clotilde, professeure d’histoire-géographie et d’anglais au lycée
J’ai eu un peu plus de mal que d’habitude cette année à retenir les noms de mes 230 élèves ! En histoire-géographie, je ne sais pas si cela freine beaucoup les apprentissages. C’est juste un peu pénible de répéter et de faire répéter les élèves car souvent on ne se comprend pas bien. En revanche, je donne également des cours en anglais et les apprentissages en langue vivante avec un masque sont vraiment difficiles. Je me rends compte qu’il y avait énormément de choses que je mimais sur les lèvres et la communication est beaucoup plus difficile qu’avant. Je crains qu’il y ait des élèves qui perdent en phonologie et au niveau du travail sur l’accentuation.
De manière générale, à mon sens, faire cours avec un masque est aberrant. Quand on est orateur et qu’on parle en public, on doit capter l’attention des élèves et le masque est une barrière importante. En outre, on a demandé aux professeurs de se déplacer le moins possible dans la classe. Nous restons beaucoup à notre bureau alors que dans une classe de 35 élèves c’est plus dynamique, meilleur pour la concentration de pouvoir passer dans les rangs. Le fait également que les sorties et les voyages de classe aient été annulés rend peut-être le climat au lycée un peu moins enthousiaste, moins motivant pour les élèves.

 Brigitte, professeure d’anglais en lycée
À la rentrée de septembre, j’ai demandé aux élèves qui sont dans ma classe pour la première fois de baisser un instant leur masque pour que l’on fasse connaissance. J’avoue que tout est plus compliqué cette année avec le masque à l’école. Je perds déjà un certain temps à leur demander de mettre correctement leur masque car certains (toujours les mêmes) le mettent sous le menton et font des réflexions du type : « Madame, je suis asthmatique. Madame, il fait chaud. Madame, j’ai du mal à respirer… »
Au niveau des apprentissages, certains élèves font l’effort de parler plus fort quand d’autres, plus timides ou qui ne veulent pas faire cet effort, se cachent derrière le masque pour ne participer à l’oral. C’est donc encore plus compliqué de faire participer les élèves, qui à la base ne participent déjà pas beaucoup. J’envisage d’ailleurs de leur demander de me rendre des devoirs enregistrés en fichiers audio afin de les encourager à s’entraîner à l’oral. Il ne faut pas que les élèves soient pénalisés à cause masque.

Éric, élève en classe de terminale
En anglais ou en espagnol on entend moins bien la prononciation, et en histoire, où le prof parle très vite, c’est parfois difficile de suivre, mais c’est plutôt de manière générale que le masque me pose problème. Avec le masque je fatigue très vite. Au bout d’une heure et demie, je suis K.O., j’ai souvent mal à la tête. Heureusement, j’ai surtout des matières scientifiques où l’important est davantage de comprendre ce qui est écrit au tableau. Socialement non plus ce n’est pas simple car je suis nouveau dans ce lycée et j’ai eu du mal à reconnaître les gens de ma classe et donc à me faire des amis.
Je ne sais pas si je prendrais du retard cette année, ni si le masque va me pénaliser pour le bac mais ce qui est sûr, c’est que j’ai plus de travail à la maison pour assimiler mes cours. Honnêtement je trouve parfois cette histoire de masque incohérente dans le sens où, en sport on ne le porte pas, on fait la course, on se crache quasiment dessus, on est côte à côte pour jouer au basket ou au volley et deux heures plus tard on est avec les mêmes personnes, en classe, et on doit porter un masque.

Adèle, élève en classe de seconde
Je n’ai pas ressenti de problèmes particuliers pour faire connaissance cette année avec mes professeurs et mes camarades. Je me suis habituée au port du masque, même si au début, j’avais des maux de tête et je crois que je n’étais pas la seule. Je n’ai pas non plus l’impression que cela me pose de problèmes dans mes apprentissages alors que j’ai plutôt tendance à m’asseoir au dernier rang ! Dans l’ensemble tout le monde fait l’effort de parler plus fort pour que tout se passe bien mais je dois avouer que le climat dans la classe est finalement un peu chahuté.

Magali, élève en classe de troisième
Au début j’ai eu du mal à m’habituer à porter le masque, j’avais du mal à respirer, j’avais chaud mais maintenant ça va mieux, surtout qu’avec l’hiver le masque nous réchauffe ! Cela ne m’empêche pas spécialement de me concentrer et malgré le masque, je crois que je continue à être toujours aussi bavarde en classe. Dans l’ensemble je ne trouve pas que cela freine la participation générale des élèves. On voit bien cependant que c’est plus difficile pour les professeurs de se faire comprendre et entendre, qu’ils sont obligés d’articuler beaucoup plus. Ce qui nous fait peut-être perdre un peu de temps c’est qu’il y a souvent des rappels à l’ordre pour 4 ou 5 élèves, toujours les mêmes, qui portent mal leur masque, mais je crois que cela n’aura pas d’impact sur le niveau de la classe.

 

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