Les méfaits du tabac sur les dents et les gencives

Un risque accru de perdre ses dents chez les fumeurs

En France, le tabac tue 78 000 personnes chaque année. 13,3 millions de Français fument quotidiennement et 2/3 d’entre eux souhaiteraient arrêter.

Certains de ces décès sont directement imputables aux cancers de la bouche. Mais d’autres maladies bucco-dentaires sont particulièrement affectées par la consommation de cigarettes. Les chirurgiens-dentistes sont donc en première ligne sur le sujet de la prévention anti-tabac, comme le rappelle le Docteur Paul Samakh, Vice-Président du Conseil national de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes.

Partenaire en novembre dernier de la campagne « Moi(s) sans tabac », l’Ordre national des Chirurgiens-Dentistes s’est également engagé dans l’Appel des 100 000, une pétition qui souhaite rassembler 100 000 signatures pour alerter les politiques et les élus sur les enjeux de santé publique que représentent les méfaits du tabac.

Paul Samakh rappelle le rôle des chirurgiens-dentistes dans la lutte anti-tabac, qui peuvent orienter leurs patients vers des médecins ou des centres anti-tabac spécialisés et peuvent également prescrire les substituts nicotiniques (patchs, gommes, pastilles, inhaleurs, …), qui sont désormais remboursés à hauteur de 150€/an par l’Assurance Maladie sur prescription.

Troubles et pathologies de la bouche engendrés ou aggravés par le tabac…

Le docteur Samakh nous rappelle les méfaits causés par le tabac au niveau des dents et gencives des fumeurs :

  • La mauvaise haleine est fréquente.
  • Le goût et l’odorat sont altérés.
  • Le flux salivaire diminue, entraînant une sécheresse buccale.
  • Les risques de caries sont accrus car la composition de la salive protège contre les caries et qu’en outre la salive opère un « nettoyage » naturel des dents qui va s’atténuer.
  • Les colorations dentaires apparaissent.
  • Des lésions blanches (leucoplasies ou leucokératoses) peuvent apparaître sur les muqueuses de la cavité buccale. Elles ne présentent pas forcément un caractère dangereux mais peuvent évoluer en lésions cancéreuses, donc elles sont à surveiller.
  • Les maladies parodontales évoluent plus vite et les risques de déchaussement des dents sont plus importants car les composants du tabac perturbent la flore bactérienne au point que les bactéries pathogènes se manifestent en plus grand nombre entraînant des modifications cellulaires de la gencive.
  • Associée à une mauvaise hygiène dentaire, la maladie parodontale peut évoluer en une gingivite plus sérieuse que l’on appelle gingivite ulcéro-nécrotique.
  • La langue peut être touchée et prendre un aspect brun/noir avec l’impression qu’il y a comme des petits poils dessus… On appelle ce phénomène « la langue chevelue », heureusement sans gravité.
  • Des retards de cicatrisation sont fréquents et freinent les traitements d’ordre chirurgicaux et la pose d’implants.
  • Enfin, les cas les plus graves peuvent évoluer en divers cancers… Cancer des lèvres, du plancher de la bouche, de la langue, du pilier de l’amygdale, etc… Les risques de cancer augmentent lorsque le tabagisme est associé à l’alcoolisme. On estime qu’il y a 6 fois plus de risques de souffrir d’un cancer de la bouche lorsqu’on est fumeur.

Heureusement, certains de ces troubles sont réversibles si on arrête la cigarette !

  • Après 48h d’arrêt du tabac : le goût, l’odorat, l’haleine s’améliorent.
  • Après 3 à 6 mois : l’état de la muqueuse buccale s’améliore et revient à la normale au bout d’une année environ.
  • Après une dizaine d’années : le risque de cancer buccal est analogue à celui d’un non-fumeur.

Focus sur les maladies parodontales (qui entraînent déchaussement voire perte des dents), l’implantologie et le traitement des colorations des dents chez les fumeurs avec le Dr Jacques Penaud*

Le tabagisme est, parmi d’autres causes, un facteur de risque et d’évolution des maladies parodontales, d’autant plus que le tabac compromet grandement le succès de leur traitement (voir notre courte vidéo pour comprendre ce qu’est la maladie parodontale et comment elle entraîne un éventuel déchaussement, voire une perte des dents).

Pourquoi le tabac a-t-il un effet particulier sur les maladies parodontales ?

La fumée du tabac est riche en monoxyde de carbone qui appauvrit en oxygène le sang circulant dans les capillaires gingivaux. Il va donc y avoir une asphyxie des tissus parodontaux. En outre, la nicotine entraîne une vasoconstriction des vaisseaux (c’est-à-dire une diminution du calibre des vaisseaux sanguins) au niveau de la bouche et notamment au niveau de la gencive. On le voit car les tissus au lieu d’être d’un joli rose sont violacés chez un fumeur. Cela a pour effet de réduire les apports nutritionnels dans les tissus. Tous ces changements métaboliques induisent une moins bonne réponse des tissus parodontaux aux agressions bactériennes chez le fumeur.

Le tabac a également une action sur les cellules immunitaires dont les principales sont appelées les polynucléaires neutrophiles. Ce sont elles qui nous défendent contre les agressions. Or on a observé que chez les fumeurs ces polynucléaires sont moins nombreux à agir. Les bactéries de la plaque dentaire sont donc favorisées par rapport à un non-fumeur.

Tout ceci explique que l’évolution des maladies parodontales est beaucoup plus rapide chez le fumeur.

Problème de diagnostic accentué chez les fumeurs

Par ailleurs, le diagnostic de la maladie parodontale chez un fumeur va être perturbé par le phénomène de vasoconstriction. En effet, la vasoconstriction a pour effet de diminuer les saignements ; or ils sont l’un des signes révélateurs de la maladie parodontale. Cela n’empêche pas les bactéries de s’infiltrer bel et bien entre la gencive et l’os, lequel est attaqué. Il faut savoir d’ailleurs que si un patient arrête de fumer, les saignements vont apparaître en cas de maladie parodontale… C’est en fait le signe d’un retour à la normale du flux sanguin dans les capillaires sanguins, dont le délai va dépendre de l’ancienneté du tabagisme.

Des traitements parodontiques malheureusement inefficaces chez les fumeurs

Les traitements posent un gros souci, car toutes les études ainsi que l’expérience clinique montrent que la réponse aux traitements parodontaux est très mauvaise chez le fumeur. Le meilleur traitement à prodiguer à un fumeur reste de lui apprendre les bonnes techniques de brossage car tous les traitements disponibles pour soigner les maladies parodontales seront de toute façon inefficaces, voire contre-indiqués chez un fumeur. Il sera ainsi confronté au risque de voir son état s’aggraver jusqu’à la perte éventuelle de ses dents.

En effet, si la plaque bactérienne n’a pas été bien éliminée sous l’effet d’un bon brossage, elle se calcifie pour former du tartre qui peut s’accumuler jusqu’à s’infiltrer sous la gencive. On peut alors, sous anesthésie locale, détartrer les dents jusque sous la gencive puis « nettoyer » le cément (la pellicule qui entoure la dent au niveau de la racine) afin que la gencive adhère à nouveau autour de la dent. Ce dernier traitement est appelé un surfaçage. Il y a cependant parfois des lésions osseuses très sérieuses qui nécessitent d’inciser la gencive, de la décoller afin d’avoir un accès direct sur les lésions osseuses pour les assainir. Si le détartrage est indispensable tous les 6 mois chez un patient fumeur pour éviter que le tartre ne s’infiltre sous la gencive, le surfaçage en revanche est très peu efficient si l’on n’arrête pas de fumer. Quant au traitement chirurgical, dans le cas où il faille inciser la gencive, il est tout simplement contre-indiqué chez un patient qui fume plus de 10 cigarettes par jour depuis plusieurs années, du fait de la vasoconstriction des capillaires sanguins qui induit que la plaie ne saignera pas assez, donc ne cicatrisera pas et sera exposée aux infections. Les risques de complications post-opératoires sont réellement très importants.

Contre-indication de l’implantologie chez les fumeurs

Chez un patient fumeur, les actes de chirurgie dentaire ne sont pas les seuls à être contre-indiqués. Il en va de même pour les actes d’implantologie dentaire. En effet, en dehors des éventuels problèmes de surinfections, il y a de fortes probabilités de rejet de l’implant. Chez un non-fumeur, il y a 97 à 98% de succès en implantologie alors que chez un fumeur on tombe à 50%. Au prix des implants, c’est une probabilité qui peut coûter très cher…

Pour envisager une chirurgie dentaire ou la pose d’implants, un fumeur qui fume plus de 10 cigarettes par jour depuis plusieurs années doit cesser de fumer 3 à 6 mois avant l’intervention pour normaliser la vascularisation des capillaires sanguins. Il devra bien entendu poursuivre aussi son sevrage après l’intervention.

Bien sûr, tous les soins ne sont pas à proscrire chez un fumeur ! On soigne les caries, on peut dévitaliser une dent, pratiquer des détartrages, etc., mais dès que la maladie parodontale s’installe, il y a toutes les chances qu’elle s’aggrave sans qu’aucun traitement, aussi coûteux soit-il, ne puisse être efficace. La seule réponse valable pour envisager un traitement de maladie parodontale est le sevrage ou du moins la diminution de la consommation de tabac réduite à une dizaine de cigarettes quotidiennes.

Traitement de la coloration des dents du fumeur

Le tabac entraîne souvent une coloration noire des dents et a tendance à laisser un dépôt rugueux sur les dents sur lequel la plaque dentaire a des facilités à s’accrocher. Il faut donc être particulièrement méticuleux sur l’hygiène dentaire lorsqu’on est fumeur pour ne pas laisser ces dépôts s’installer.

En cabinet, le chirurgien-dentiste peut pratiquer un détartrage par ultrasons qui va ôter les colorations. Si celles-ci sont tenaces, le chirurgien-dentiste peut pratiquer un aéropolissage qui consiste à projeter sur les dents un mélange d’eau ou d’air et de bicarbonate de soude sous pression. Cela permet, non pas de blanchir les dents, mais de retrouver leur couleur naturelle. Le praticien peut ensuite appliquer sur les dents une pâte à polir pour rendre la surface de la dent bien lisse, limitant l’accroche de la plaque bactérienne. L’idéal est de pratiquer ces traitements tous les 6 mois pour retirer les colorations éventuelles (cela fonctionne aussi avec les tâches dues à la consommation de café, de thé ou de vin).

A la maison, on utilise sa brosse à dent à sec, on ne la passe pas sous l’eau avant utilisation, sous peine de ramollir les brins de la brosse. Les plus scrupuleux achèteront leurs brosses à dent en pharmacie ou parapharmacie et choisiront des brosses aux brins 25/100ème de diamètre (20/100ème pour les gencives plus fines). En supermarché, les indications de souplesse ou dureté des brosses sont peu fiables en réalité. Une brosse à dent se change toutes les 3 semaines. Les brosses à dent électriques sont particulièrement efficaces et recommandables.

Côté dentifrice, le plus intéressant lorsque l’on a des colorations sur les dents est de prendre ceux contenant du bicarbonate de soude. A noter qu’il y a eu une mode qui a consisté à conseiller aux patients de se brosser les dents avec un mélange de bicarbonate de soude et d’eau oxygénée… Cependant cette technique fait débat car l’eau oxygénée semble cancérigène pour la cavité buccale.

 

* Le Dr Penaud est maître de conférences dans le département de parodontologie et d'implantologie à la faculté d'odontologie de Nancy, Fellow ITI (International Team of Implantology), Fellow de l'Académie Pierre Fauchard, lauréat de l'Académie nationale de Chirurgie dentaire.

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