flibanserin

Un viagra au féminin autorisé outre-Atlantique

Un laboratoire américain vient d’obtenir l’autorisation de commercialiser un médicament contre les troubles du désir chez la femme. Peu efficace et potentiellement dangereux, le traitement sera disponible en pharmacie d’ici quelques jours. Focus sur les stratégies peu glorieuses employées par le laboratoire.

Décidément les labos pharmaceutiques ne cesseront jamais de nous étonner par la créativité dont ils font preuve afin de nous faire gober leurs pilules. Dernier exemple en date, celui du Flibanserin, un médicament destiné à traiter les troubles du désir sexuel chez la femme qui vient d’être autorisé aux Etats-Unis.

Avant de lui accorder son blanc-seing en août dernier, la Food and Drug Administration (FDA), l’équivalent outre-Atlantique de notre Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), a refusé d’autoriser la vente du médicament à deux reprises au motif que les effets indésirables du médicament surpassaient largement les bénéfices qu’il apportait, ont estimé les experts de la FDA.

Le Flibanserin, un médicament déjà retoqué par deux fois

Las d’investir en vain dans des essais cliniques visant à prouver l’efficacité du Flibanserin, le laboratoire propriétaire de la molécule – l’Allemand Boerignher Ingelheim – jetait l’éponge et revendait en 2012 les droits d’exploitation de la molécule au laboratoire américain Sprout Pharmaceuticals. Un an plus tard, ce dernier se heurtait lui aussi à un nouveau refus de la FDA, invitant le laboratoire à produire des études plus convaincantes.

Que s’est-il passé depuis ce nouveau camouflet pour que l’autorité américaine plie enfin ? En 2014, le laboratoire présentait une étude montrant que le médicament n’affectait pas les fonctions cognitives ou encore la capacité de conduire des femmes pré-ménopausées. Mais sa bataille, Sprout Pharmaceuticals l’a surtout gagnée sur le terrain de la mauvaise foi avec une campagne grand public pseudo-féministe dénonçant l’inégalité d’accès entre les hommes et les femmes à des traitements du désordre sexuel. Voilà qui ne manque pas de sel…

Et tant pis si le conseil d’administration de la société est entièrement composé d’hommes à l’exception de Cindy Whitehead qui a remplacé il y a quelques mois son mari à ce poste, s’amuse Adriane Fugh-Berman, Professeure associée au département de pharmacologie et de physiologie à l’Université de Georgetown dans une tribune publiée en ligne, « Flibanserin and Feminism« . Pour elle, la campagne financée par le laboratoire bien qu’utilisant des arguments féministes présentait de fait toutes les caractéristiques d’un discours on ne peut plus sexiste.

La cause féministe grossièrement instrumentalisée

« Il n’y a pas de niveau normal de libido et si le désir est absent ce n’est pas un problème médical. Le manque de libido est une question de relationnel. Le laboratoire, qui dans ses études ne s’est intéressé qu’à des femmes en couple depuis longtemps avec le même homme, a mené une campagne faisant porter aux femmes seulement la responsabilité d’une vie sexuelle qui ne serait pas satisfaisante ».

« Il y a quelque chose qui ne va pas et c’est dans ta tête que ça se passe, ma chérie »… Tel est le message véhiculé par la campagne du laboratoire, estime l’auteure de cette tribune. La bonne nouvelle étant évidemment qu’un traitement existe à cette coupable absence de désir, « de tel sorte que ton mari ne te foute pas dehors ». On a, il est vrai, entendu plus féministe comme propos. Pour Adriane Fugh-Berman, l’absence de désir peut tout aussi bien être corrélé avec « le constat que le partenaire masculin est un crétin ».

Si Sprout Pharmaceuticals est parvenu à ses fins en obtenant l’autorisation de commercialiser un médicament pas très utile (4,4 expériences sexuelles satisfaisantes en un mois, contre 3,7 dans le groupe sous placebo) et potentiellement dangereux, ce n’est pas seulement grâce à ses arrangements avec l’éthique et à l’instrumentalisation grotesque d’arguments féministes. C’est aussi parce que le terrain est préparé de longue date, par l’industrie pharmaceutique notamment qui pousse à la roue afin de promouvoir à outrance la médicalisation du moindre trouble de la vie quotidienne.

Médicalisation à outrance des troubles du quotidien

Dans un article publié en décembre 2014, « Le désir sexuel des femmes, du DSM à la nouvelle médecine sexuelle« , Marilène Vuille, sociologue à l’Université de Genève, rappelle que les troubles du désir sexuel ont fait leur apparition en 1980 dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), un ouvrage de référence en matière de nomenclature des pathologies et troubles mentaux auquel se réfèrent nombre de médecins prescripteurs. D’abord unisexe, la définition des troubles sexuels s’est progressivement affinée aux deux genres à l’occasion des révisions successives du manuel jusqu’à sa dernière version publiée en 2013.

« La formulation actuelle du désir sexuel féminin et de ses « dysfonctions » dans le DSM découle de l’influence d’un modèle circulaire proposé par des médecins sexologues au début des années 2000 pour schématiser le désir sexuel des femmes. Cette modélisation a été depuis largement reprise dans la discussion sexologique internationale. Elle sert de point de convergence à des savoirs sur la sexualité produits par différentes disciplines. Elle fonctionne comme lieu de coproduction d’entités nosologiques (la nosologie est une branche de la médecine qui étudie les critères de classification des maladies, ndlr), de critères diagnostiques et de lignes de recherche neuroscientifique et pharmacologique ». Lieu de coproduction dont on imagine sans peine qu’il est lourdement investi par les laboratoires.

Sauf que pour la sociologue, cette modélisation de la sexualité la « déréalise en tant qu’expérience humaine, en l’extrayant des situations sociales dans lesquelles elle est pourtant nécessairement prise. De ce fait, la réponse sexuelle des individus pourrait servir à établir leur normalité ou leur dysfonctionnement. Ces modèles contournent le problème de la nécessaire intervention dans la vie et les situations sexuelles des conventions, des normes, des impositions sociales et de l’inégale distribution du pouvoir entre individus et entre groupes sociaux ».

Commercialisation dudit « Viagra féminin » : des sommes colossales en jeu

Autrement dit, ces influences extérieures jouent évidemment un rôle dans la sexualité, des femmes comme des hommes d’ailleurs, et justifient que la survenue d’un trouble ne soit pas forcément l’objet d’un traitement médicamenteux. N’en déplaisent aux fabricants de pilules. Pour l’industrie, les enjeux financiers sont énormes. Parvenir à imposer l’absence de désir comme un trouble qu’il convient de traiter, puis trouver un médicament suffisamment efficace pour berner les autorités sanitaires est une gageure qui peut rapporter gros.

Deux jours après l’annonce de l’autorisation de commercialisation du Flibanserin par la FDA, Sprout Pharmaceuticals était racheté par une société pharmaceutique canadienne pour la modique somme d’un milliard de dollars. Espérons que les autorités sanitaires canadiennes et celles des autres pays sauront montrer un peu plus de discernement quand elles seront à leur tour sollicitées pour se pencher sur le médicament contre les troubles du désir féminin.
Sollicité par 66 Millions d’Impatients, le siège de Sprout Pharmaceuticals n’a pas souhaité s’exprimer sur ses velléités d’investir le marché français.

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