cigarette électronique et industrie du tabac

Cigarette électronique : les fabricants de tabac sont dans la place

Echaudés par les baisses de leurs ventes, les industriels du tabac investissent massivement pour se tailler une place de choix sur le marché de la cigarette électronique.

Imperial Tobacco, Altria, Japan Tobacco International, Philipp Morris, British American Tobacco… Les fabricants de cigarettes investissent en masse dans la vape. Et pour cause, depuis que l’utilisation de la cigarette électronique a commencé à exploser en 2012, le chiffre d’affaires des cigarettiers en a pris un sérieux coup.

Rien que dans l’Hexagone, l’observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) relève une lente diminution des ventes de tabac à partir de 2010 suivie par « une baisse importante en 2012 (- 5 %), qui s’est confirmée en 2013 (- 7,6 %) et en 2014 (- 5,3 %) ». Une diminution inédite qui « pourrait, selon l’OFDT, s’expliquer par la régularité de l’augmentation des prix, conjugué à l’essor prononcé de la cigarette électronique au cours de l’année 2013 ».

Des millions d’euros d’investissements

Les fabricants de cigarettes n’emploient pas le conditionnel, eux ! Depuis quelques années, ils dépensent sans compter pour développer des nouveaux produits. L’enjeu est de taille : selon le cabinet Xerfi, le marché de la cigarette électronique évalué à 275 millions d’euros en 2013 pourrait atteindre 1,2 milliard d’euros en 2016.

« Nous pensons que la cigarette électronique ainsi que d’autres produits innovants contenant de la nicotine peuvent jouer un rôle important en aidant à réduire le risque pour la santé que présentent la cigarette et les autres produits du tabac », peut-on lire sur les e-cigarettes sur le site de la British American Tobacco (BAT), un des leaders du secteur (marques Dunhill, Lucky Strike, Rothmans, etc.).

En 2013, BAT lançait au Royaume-Uni l’e-cigarette Vype puis l’année suivante la Vype eStick et la Vype ePen. « Si nos produits rencontrent les attentes des consommateurs qui souhaitent une alternative plus sure au tabac, cela permettra de satisfaire les objectifs des professionnels de la santé publique. Et bien sûr, cela représente un intérêt commercial direct pour nous et nos actionnaires ». On ne saurait être plus clair…

Une percée encore timide en France

En 2013, toujours, Imperial Tobacco (IT, marques Gauloises, John Player Special, Peter Stuyvesant, etc.) sortait le carnet de chèques afin de racheter les brevets de l’inventeur auto-proclamé de l’e-cigarette pour la modique somme de 75 millions d’euros. Ajoutez à cela 5 millions d’euros supplémentaires pour la mise au point de la cigarette électronique JAI lancée il y a quelques semaines par Fontem Venture, une filiale d’IT.

Histoire de rester bon copain avec les buralistes, le fabricant de tabac leur a réservé l’exclusivité de la distribution de ce produit. « L’objectif est d’atteindre en France 10% de part de marché de la cigarette électronique d’ici un an », indiquait en février dernier à BFM TV Heidi Theys, directrice du développement chez Fontem Ventures (lire « Le fabricant des Gauloises mise sur le vapotage » sur BFM TV).

Autre exemple de l’appétit de conquête des fabricants de cigarettes avec la Ploom, un produit disponible depuis un an en France mis sur le marché par Japan Tobacco International (JTI, marques Camel, Winston, Benson & Hedges, etc.). A la différence des dispositifs commercialisés par BAT et IT, la Ploom fonctionne avec du vrai tabac dont la saveur est exhalée sous la forme de vapeur par chauffage. Cet appareil est lui aussi proposé dans les bureaux de tabac.

Des parts de marché déjà honorables

De l’autre côté de l’Atlantique, le marché est trusté par la firme Njoy, indépendante des industriels du tabac. Ces derniers se montrent toutefois très actifs à l’image d’Altria (Marlboro) et sa MarkTen, de Lorillard (marques peu commercialisées en France) qui en 2012 déboursait près de 120 millions d’euros pour l’achat de la société Blu eCigs (depuis acquise par IT), ou encore de la société RJ Reynolds Tobacco Company (marques Camel et Winston aux Etats-Unis) avec sa Vuse.

Aux Etats-Unis, la cigarette électronique MarkTen est disponible « dans plus de 130 000 points de vente », explique Ghyslain Armand fondateur du site d’information spécialisé ma-cigarette.fr. On ne connaît pas les chiffres de vente de ces vaporisateurs mais on sait en revanche que les revenus de la firme ont progressé de manière globale de 2,9% en 2014. Depuis avril, la MarkTen est commercialisée en Espagne sous le nom Solaris. Coucou, les vapoteurs européens !

Des produits à l’esthétique proche de la cigarette classique

Les cigarettes électroniques mises au point par les industriels du tabac ressemblent à s’y méprendre aux cigarettes classiques et fonctionnent avec des cartouches scellées. Elles sont rechargeables ou non (nous en parlions dans un article sur « la cigarette électronique dans tous ses états » publié sur notre site l’année dernière). Ces « Cigalikes » sont loin d’emporter l’adhésion des vapoteurs. De fait, en dépit de leurs efforts, les industriels du tabac « ne sont pas parvenus à surpasser les petits fabricants spécialisés, explique Ghyslain Armand, qui proposent de leur côté des vaporisateurs rechargeables et très modulables, beaucoup plus populaires auprès des fumeurs cherchant à se sevrer ou à réduire les méfaits de leur tabagisme ».

Le double jeu de l’industrie du tabac

C’est là tout le défi des industriels : parvenir à occuper un marché émergeant et florissant (afin notamment de compenser la diminution des ventes de cigarettes observée ces dernières années), marché dont le développement signe pourtant à terme l’arrêt de mort de leur cœur d’activité, à savoir la vente de produits issus du tabac. On connaît néanmoins la capacité de cette filière à tirer son épingle du jeu face aux situations complexes, elle qui depuis des décennies vend avec le sourire et l’assentiment des pouvoirs publics des produits provoquant le décès prématuré d’un client sur deux.

Dans le milieu de la vape, on entretient volontiers la théorie selon laquelle les JTI, BAT, IT et autres Altria auraient trouvé la parade en optant pour des produits dont on sait qu’ils sont nettement moins efficaces que les vaporisateurs de deuxième et troisième générations dans le sevrage tabagique. Cette stratégie pourrait paraître grossière. Elle ne l’est pas. Car en parallèle les industriels font tout ce qu’ils peuvent pour savonner la planche des concurrents qui ont structuré le marché avec des produits plus populaires auprès des vapoteurs car plus performants. En 2015, l’industrie du tabac va renforcer son emprise sur le marché de la cigarette électronique, explique Jean-François Etter, Professeur de santé publique et politologue à l’Institut de Santé Globale, de la Faculté de Médecine de l’Université de Genève.

« Ils ne peuvent pas imaginer faire des affaires dans ce domaine sans utiliser leur influence pour obtenir une législation ‘amicale’. Cela signifie qu’assis derrière des portes closes avec des hauts fonctionnaires et des députés, ils vont ensemble construire un mur de règlements et de lois autour de ces produits. Quand ce mur sera construit, les petits distributeurs et fabricants (notamment chinois) seront éliminés de ce marché, car ils ne pourront pas payer les équipes d’avocats et de scientifiques et les frais de R&D nécessaires pour entrer dans ce marché et franchir ce mur de réglementations ».

La directive tabac bientôt transposée

Ce « mur », les députés européens ont déjà commencé à la construire, d’une certaine manière, en adoptant l’année dernière la nouvelle directive tabac qui prévoit entre autres dispositions d’obliger les fabricants à déposer un dossier d’autorisation six mois avant la commercialisation de tout nouveau produit ou encore d’indiquer aux autorités des Etats membres où ils souhaitent commercialiser leurs produits ainsi que la liste exhaustive non seulement des ingrédients contenus dans les e-liquides (information déjà disponible sur l’emballage des flacons de liquide) mais aussi dans les vapeurs dégagées.

Ces nouvelles règles sont certes de nature à mieux informer le consommateur pour qu’il puisse se protéger, ou en tout cas se rassurer. Et c’est un aspect important de cette réglementation qui contraint toutefois, par ailleurs, les fabricants à mettre en œuvre une batterie de tests compliqués et coûteux, écrivions nous l’année dernière (« Cigarette électronique : dans la ligne de mire du législateur« ). Il ne faudrait pas qu’elles fassent de ce fait la part belle aux industriels du tabac rompus à la complexité de la machine administrative. Moins pessimiste que Jean-François Etter, Ghyslain Armand estime que la filière de la vape, forte de plusieurs années d’une croissance explosive, a les reins suffisamment solides pour engager les démarches qui lui permettront de satisfaire aux exigences du législateur européen.

« De gros efforts en ce sens sont consentis en ce moment même autant par les fabricants de liquide que par ceux de matériels ». Les vapoteurs seront rapidement fixés. Le projet de loi santé qui vient d’être adopté à l’Assemblée nationale prévoit en effet une transposition de la directive tabac en droit français un an après sa promulgation.

1 commentaires

  • lbdv dit :

    "Ces nouvelles règles sont certes de nature à mieux informer le consommateur pour qu’il puisse se protéger, ou en tout cas se rassurer." : oui pourquoi pas, mais vu l'engouement autour de la cigarette électronique, il faut croire que globalement et même si cela ne mange pas de pain d'avoir un peu plus d'informations, les consommateurs se sont bien rendus compte que ce produit aurait beaucoup de mal à être plus malsain qu'une cigarette de tabac.

Laisser un commentaire public

Votre commentaire sera visible par tous. Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Logo Santé Info Droits

Êtes-vous satisfait
du site internet de
France Assos Santé ?

Donnez votre avis, en moins de 10 min !

ENQUÊTE

Non merci, je ne veux pas donner mon avis

Partager sur

Copier le lien

Copier