Lutte contre l’antibiorésistance : le sursaut de l’industrie pharmaceutique ?

Alors que les cas de résistance bactérienne aux antibiotiques se multiplient, les fabricants de médicaments se sont désengagés de ce marché et ne produisent quasiment plus aucunes molécules nouvelles. Le point…

« Pendant de nombreuses années, la découverte et la commercialisation de nouveaux antibiotiques ont permis de répondre aux impasses thérapeutiques générées par le développement des mécanismes de résistance », pointait en 2012, le Centre d’analyse stratégique (CAS) dans une note sur la question du développement alarmant de l’antibiorésistance. « Aujourd’hui cependant, les nouveaux antibiotiques mis sur le marché sont rares, du fait notamment de la baisse d’investissement des leaders pharmaceutiques dans ce domaine ».

La preuve par les chiffres : entre 1988 et 1992, la Food and Drug Administration (l’équivalent américain de notre Agence du médicament) a autorisé la mise sur le marché de 14 nouveaux antibiotiques. Entre 1993 et 1997, ce nombre est tombé à 10 puis à 7 sur les 4 années suivantes. De 2003 à 2007, 5 nouveaux antibiotiques ont été approuvés par les autorités sanitaires américaines. Seulement 2 l’ont été de 2008 à 2012.

Des milliers de décès chaque année en Europe

Avec quelque 25 000 décès par an au sein de l’Union européenne attribuables aux bactéries résistantes, les conséquences de ce désengagement sont déjà lourdes. Ses causes sont diverses. D’abord, explique le CAS, « le développement de ces médicaments – dont la consommation est très ponctuelle – est devenu moins rentable pour l’industrie pharmaceutique que ceux ciblant des pathologies chroniques ».

Les antibiotiques agissent rapidement, en quelques jours la plupart du temps, et sont donc beaucoup moins rentables que les médicaments utilisés dans le traitement des maladies chroniques (Alzheimer, Parkinson, virus de l’hépatite, etc.). Sans compter qu’afin de limiter le développement de bactéries résistantes, la tendance est plutôt au raccourcissement de la durée des traitements.

« Les antibiotiques les plus faciles à mettre au point ont de plus déjà été commercialisés, ajoute le CAS, et les rares nouvelles molécules ont tendance à être réservées aux impasses thérapeutiques, diminuant d’autant la taille du marché pour les industriels ». Pour le CAS, cette situation « conduit à un décalage dangereux entre le poids croissant des infections à bactéries résistantes et les rares nouveaux antibiotiques commercialisés pour y faire face ».

Les freins au développement de nouveaux antibiotiques

Sollicitée par 66 Millions d’impatients, Isabelle Diaz, directrice de la Commission Biotechnologies et recherche, convient que ces aspects de rentabilité constituent des freins au développement de nouveaux médicaments. Ils ne sont toutefois pas les seuls, estime-t-elle, pointant notamment la difficulté à mettre au point des essais cliniques fiables sur des personnes atteintes d’infections résistantes, compte tenu du faible nombre de patients. La lourdeur des procédures réglementaires « d’accès au marché » est une autre raison permettant d’expliquer le peu d’entrain des fabricants de médicament à investir dans le développement de nouvelles molécules.

S’il est vrai que l’industrie pharmaceutique s’est désengagée de la recherche sur le développement de nouveaux antibiotiques, Isabelle Diaz note depuis deux ans un véritable regain d’intérêt. « Je ne peux pas dire que ces investissements constituent le gros du portefeuille des industriels mais le constat est là ». Confirmation de l’Organisation mondiale de la santé qui en 2013 saluait ce récent regain « porté en grande partie par les petites sociétés de biotechnologie et le milieu académique ».

En mai 2012, la Commission européenne lançait le programme « New Drugs 4 Bad Bugs » en partenariat avec les industriels de la pharmacie visant à revitaliser la recherche de nouveaux antibiotiques et accélérer le développement de médicaments contre les bactéries résistantes prioritaires (nous en parlions dans un précédent billet qui peut être consulté ici). Les projets soutenus dans le cadre de cette initiative représentent à ce jour près de 400 millions d’euros.

Un regain d’intérêt motivé par la gravité de la situation

Le premier, Combacte (Combattre les résistances bactériennes en Europe), a été lancé en février 2013. Son objectif : mettre sur pied un réseau pan-européen de sites spécialisés dans les essais cliniques spécifiquement conçus pour les antibiotiques. Combacte vise également à améliorer leur conception afin de les adapter aux contraintes que posent ces médicaments. En 2014, ce réseau d’environ 300 sites cliniques a commencé à accueillir les essais sur des produits développés par les sociétés participantes à cette initiative.

Autre axe de recherche, le programme Translocation a été mis sur pied afin de développer des médicaments capables de détruire les bactéries mais aussi d’inhiber les mécanismes biologiques permettant le développement de la résistance. Les bactéries « gram négative », responsables des deux tiers des 25 000 décès enregistrés chaque année en Europe sont plus particulièrement dans le viseur des promoteurs de ce programme.

Outre la recherche de nouveaux antibiotiques, Isabelle Diaz cite, « l’approche préventive complémentaire ». Le principe : l’administration d’une molécule en même temps que l’antibiotique permettant de mieux cibler son action afin de limiter la mise en contact avec la flore intestinale. Ces bactéries, amies de l’organisme, sont comme les autres sensibles à la présence d’un excès d’antibiotiques. Leur destruction favorisant la prolifération de bactéries résistantes, il est essentiel de faire en sorte de les préserver, explique Isabelle Diaz.

De nombreuses pistes envisagées par les scientifiques

Le recours aux bactériophages constitue une autre voie de recherche potentiellement prometteuse, assure-t-on au Leem. Ces micro-organismes, qui sont aux bactéries ce que les virus sont à l’organisme humain, se reproduisent en injectant leur matériel génétique au sein de la bactérie (lire notre article sur les bactériophages). Le processus biologique est fatal à ces dernières.

Début 2012, 109 nouveaux antibiotiques étaient en cours de développement, selon l’OMS. La plupart d’entre eux n’en sont néanmoins qu’aux premières phases de développement. Pour Isabelle Diaz, la balle est désormais dans le camp des pouvoirs publics qui doivent participer à « bâtir une vraie stratégie de retour sur investissement ».

Comment ? Par exemple en augmentant le temps de protection du brevet aujourd’hui fixé à 20 ans, ce qui permettrait d’améliorer le retour sur investissement ou encore en adaptant les conditions d’obtention de l’autorisation de mise sur le marché aux spécificités des antibiotiques. En juillet 2012, les Etats-Unis allaient dans ce sens en adoptant le GAIN Act (GAIN pour Generating Antibiotics Incentive Now). Bientôt des mesures similaires de notre côté de l’Atlantique ?

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