SNANC : y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Après plus de trois années de travaux, la Stratégie nationale alimentation nutrition climat (SNANC) échoue à nouveau à sortir, après une séquence pour le moins cacophonique, dénuée de tout portage politique clair. Le document devait paraître ce vendredi, au terme d’un déplacement des trois ministres mobilisés sur cette stratégie (Santé, Transition écologique et Agriculture), déplacement annulé dans la matinée sans autre forme de procès et sans aucune annonce officielle de la part des trois ministres concernés. Un tel lancement en catimini envoyait déjà un signal particulièrement inquiétant pour une stratégie qui devait pourtant fixer un cap national sur un sujet majeur : notre alimentation.

Mais le pire restait à venir : malgré un brief presse déjà effectué et une version transmise à l’Agence France Presse (AFP), sa publication a été brutalement gelée en raison d’un blocage de dernière minute. D’après nos informations, ce blocage proviendrait du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (MASA). Les raisons, encore inconnues, pourraient être liées à l’objectif de réduction de la consommation de viande.

Ce revirement de situation est aussi incompréhensible qu’inacceptable. Alors que l’urgence écologique, sanitaire et sociale n’a jamais été aussi forte, le gouvernement se refuse de publier une stratégie pourtant travaillée depuis plus de deux ans, co-construite par trois ministères, nourrie des avis des plus hautes instances scientifiques françaises et ayant reçu plus de 4 000 contributions dans le cadre de la consultation publique. Ce processus rigoureux et les fortes attentes de la société civile laissaient espérer une stratégie à la hauteur de l’enjeu : garantir une alimentation saine, durable et accessible, réduire l’impact du système alimentaire sur le climat et la biodiversité, améliorer la santé publique et soutenir la souveraineté alimentaire. Or ces enjeux ne relèvent pas de concepts abstraits : ils percutent directement la vie des Français — explosion des maladies chroniques et impasse budgétaire pour la Sécurité sociale, fragilisation de la filière agro-alimentaire, conditions de travail dégradées pour les agriculteurs, précarité alimentaire qui explose. Il est temps que le politique en prenne la pleine mesure.

Le paradoxe est d’autant plus frappant que, durant ces deux années de retards accumulés, les acteurs, toutes parties prenantes confondues, n’ont pas chômé : contributions multiples, expertises de qualité, constats partagés, propositions constructives, vaste consultation citoyenne publique. Bref, tout pour construire une stratégie solide, ambitieuse, cohérente. Or, plus les travaux avançaient, plus la SNANC semblait se vider de sa substance. Aujourd’hui, la montagne n’accouche même pas d’une souris : elle n’accouche pas du tout.

Il est d’autant plus scandaleux d’observer que ce blocage intervient alors même que les institutions scientifiques convergent sur les mesures prioritaires à mettre en œuvre : réduction de la consommation de viande, régulation stricte de la publicité pour les aliments ultra-transformés destinés aux enfants et adolescents, amélioration de l’accès à une alimentation saine pour les ménages les plus précaires… Ignorer ces recommandations, ou empêcher leur traduction dans une stratégie nationale, revient à céder aux pressions de certains lobbies agro-industriels au détriment de l’intérêt général.

L’État ne peut plus se permettre de différer indéfiniment une stratégie aussi fondamentale. Les dépenses publiques liées aux conséquences environnementales et sanitaires de notre système alimentaire atteignent déjà 19 milliards d’euros par an : une aberration économique autant qu’un non-sens sanitaire et écologique.

Nous appelons donc à la publication immédiate de la SNANC. La société civile restera pleinement vigilante pour que ce blocage soit levé au plus vite et pour que les ambitions de la SNANC ne soient ni édulcorées ni sacrifiées.

Nous appelons donc de toute urgence à :

  • Réintégrer explicitement la notion d’« aliments ultra-transformés » dans la SNANC ;
  • Adopter des mesures concrètes : encadrement de la publicité et du marketing des aliments ultra-transformés ciblant les enfants et les adolescents et promotion d’une alimentation fondée sur des produits peu ou pas transformés, soutien à l’accès pour tous à une alimentation saine ;
  • Créer les conditions d’un suivi réel, avec une gouvernance claire et transparente, capable de remobiliser l’ensemble des acteurs. Nous demandons de la transparence et la fin d’un processus perçu comme mené dans un « entre-soi ». Nous proposons de confier ce suivi à un collectif disposant d’un mandat précis — par exemple le Conseil national de l’alimentation (CNA) — afin de reconstruire une dynamique fondée sur des constats partagés et une réflexion collective. Sans cela, la SNANC restera un texte de plus qui ne changera rien, là où l’enjeu exige au contraire ambition, cohérence et courage politique.

Le rôle de l’État est au cœur de cette responsabilité. Il ne peut plus repousser l’action ni reculer devant les lobbies. La santé publique, le climat, l’environnement, la justice sociale et la souveraineté alimentaire exigent une stratégie à la hauteur de ces préoccupations majeures — pas un texte vidé de ses principes fondamentaux.

La société civile restera pleinement vigilante, et n’acceptera ni suppression ni dilution des enjeux.

Foodwatch révèle le texte qui aurait dû paraître :

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