Webinaire franco-belge : regards croisés sur la démocratie en santé

Le 17 septembre dernier, la LUSS, ou Ligue des Usagers des Services de Santé (Belgique francophone), avait rendez-vous avec France Assos Santé à l’occasion d’un webinaire consacré à la démocratie en santé et, plus exactement, à sa mise en œuvre de part et d’autre de la frontière. Cette démarche inédite a permis d’apprendre des uns et des autres. Mais si la représentation des usagers ne se décline pas de la même manière, les défis restent les mêmes.  

Il aura fallu attendre 22 ans pour que l’équipe belge de la Ligue francophone des Usagers des Services de Santé (LUSS) et leurs collègues français de France Assos Santé, anciennement CISS, entament un dialogue autour des droits des usagers et de leur participation au système de santé, avec en Belgique comme en France une loi fondatrice sur ces enjeux entrée en vigueur en 2002, « une année exceptionnelle », a résumé Thierry Monin, chargé de projets à la Ligue des usagers des services de santé. La LUSS compte 94 associations de santé, pas nécessairement agréées, contrairement à la centaine qui constituent le réseau de France Assos Santé, toutes détentrices d’un agrément.    

Le soutien d’un cadre, d’un côté, la nécessaire créativité de l’autre 

Un même millésime donc, mais deux modalités d’exercice de la démocratie en santé distinctes, en raison, notamment, de l’organisation (fédérale) du royaume belge et de l’absence d’un financement durable des associations. Si en France le représentant des usagers, appelé aussi RU, est le maillon fort de la démocratie en santé, grâce à sa présence au niveau local dans les établissements de santé, via la commission des usagers, mais aussi dans bien d’autres instances tant régionales que nationales, en Belgique, peu de RU, mais des médiateurs professionnels dans les hôpitaux et des membres de la LUSS, le plus souvent des salariés de la ligue, mais aussi des bénévoles, mandatés pour porter les revendications des usagers et des patients dans des commissions/organes consultatifs principalement, au niveau fédéral.  

Et le témoignage de l’une des bénévoles, Viviane Dessouroux, RU au comité d’éthique hospitalo-universitaire de Liège, a été on ne peut plus clair : « Si l’on n’a pas du temps ni la possibilité de se former et de prendre connaissance des textes législatifs, ce n’est pas la peine de candidater ». En Belgique, il n’y a pas de formation obligatoire puisque les associations ne sont pas forcément agréées. La LUSS offre toutefois un accompagnement. En outre, a précisé Viviane Dessouroux, chaque hôpital travaille de façon différente. Ce qui réclame une grande faculté d’adaptation et, faute d’un cadre bien défini, de la créativité, a souligné Claire Servais, chargée de projets à la LUSS. « C’est un challenge », a-t-elle synthétisé.    

De ce côté-ci de la frontière, le cadre réglementaire qui régit la représentation des usagers facilite probablement sinon la reconnaissance du moins le travail des RU. En France, tout RU reçoit ainsi une formation a minima de base. France Assos Santé publie chaque année un catalogue de formations adaptées à tous les types de mandats existants, afin de permettre aux intéressés d’évoluer dans leur parcours de RU.           

De mêmes questionnements  

En dépit de ces différences, les enjeux sont identiques : construire une relation soigné/soignant plus équilibrée, trouver sa place dans un système de santé en crise permanente, mais aussi dans un écosystème qui évolue sans cesse (nouveaux espaces de concertation plus informels, nouvelles formes d’engagement, etc.) et réfléchir à une nouvelle forme de représentativité qui intègre le domicile, un des défis majeurs des prochaines années, avec le vieillissement des populations et l’augmentation des maladies chroniques. « La loi Kouchner de 2002 a été pensée dans un contexte hospitalier », a rappelé Nicolas Brun, coordinateur du pôle protection social santé de l’UNAF, avant d’ajouter que les textes de loi devront évoluer en ce sens. « Le virage ambulatoire nous imposera de trouver aussi de nouvelles formes de solidarité », a complété Thierry Monin, en bon adepte de la souplesse et inventivité « à la belge ».    

D’accords sur les défis, Belges et Français le sont également sur les points de vigilance qui se font jour. Ils pourraient tenir en une question, posée par Nele Van den Cruyce, chercheuse en sociologie à l’Université Catholique de Louvain (KU Leuven), à l’issue de son tour d’horizon de la démocratie en santé, au Canada et en Europe du Nord : « Est-il réaliste de remplir tous les mandats, est-ce même désirable ? ». Avec ou sans cadre juridique, les deux parties ont mis en avant le risque d’instrumentalisation. « C’est une réflexion à avoir, estime Thierry Monin. Il faut privilégier les lieux de concertation où les besoins des patients peuvent vraiment être entendus. » Cela induit aussi de s’interroger sur de nouvelles formes de représentation, a poursuivi la chercheuse néerlandophone, évoquant le sujet de la rémunération alors même que « les mandats se complexifient de plus en plus et que le travail accompli est quasi un travail d’expert ». Rester en dehors du système (bénévolat/volontariat) et ou rentrer dedans, Nele Van den Cruyce ne tranche pas, mais suggère de s’interroger sur ce que les uns et les autres veulent ? A moins qu’une troisième voie, qui reste à inventer, ne soit possible.  

Les intervenants se sont promis et d’ores et déjà engagés à échanger à nouveau. Dans tous les cas, cette première prise de contact a été fructueuse, de l’avis de tous, y compris de la centaine de participants au webinaire, jugé très instructif.  

« Je n’avais aucune idée de la manière dont la représentation des usagers était mise en œuvre en Belgique. A cet égard, cela a été une heureuse rencontre. J’observe qu’on a beaucoup de points et de questionnements communs, à commencer par notre ancienneté, même si nous avons pris des chemins différents. Nous nous retrouvons sur la problématique de l’instrumentalisation, de l’articulation à trouver vis-à-vis des nouveaux protagonistes, comme les patients experts, les pairs aidants, etc., pour réussir à travailler ensemble et enfin sur cet enjeu majeur pour les prochaines années qu’est le domicile. Nous n’avons aucune information sur ce qui s’y passe en cas de soins à domicile. Or cela concerne des millions de foyers. »

Anne Taquet Chargée de mission offre de soins, expérience patients, urgences et démocratie en santé à France Assos Santé

« J’avais l’impression que la France était un peu plus avancée en ce qui concerne la représentation des usagers, mais j’ai été surpris par le côté rigoureux du cadre réglementaire. J’imaginais la France un peu plus nonchalante ! Ce qui m’a positivement étonné, c’est le travail de terrain réalisé dans les hôpitaux par les représentants des usagers, mais ce n’est pas forcément transposable tel quel. Durant le webinaire, j’ai suivi le tchat et les réactions des Français qui semblaient étonnés de notre mode de fonctionnement étaient très sympathiques, très positives. On a perçu de l’enthousiasme, de la sympathie, et ça nous a réconfortés, par rapport aux actions que nous menons. »

Thierry Monin Chargé de projets à la LUSS sur les thématiques droits du patients, emploi et volontariat

Laisser un commentaire public

Votre commentaire sera visible par tous. Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Logo Santé Info Droits

Partager sur

Copier le lien

Copier