Quand les troubles des conduites alimentaires s’immiscent dans la famille

Du 2 au 8 juin 2025, la Semaine nationale de sensibilisation aux troubles des conduites alimentaires (TCA) met en lumière un pan souvent occulté de ces pathologies : leur impact sur les familles. Organisé à l’occasion de la 10e Journée internationale des TCA par la Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB), cet événement entend briser les tabous, répondre aux nombreuses interrogations des proches et rappeler leur rôle crucial dans la détection et la prise en charge de ces troubles. Au programme : déconstruire les idées reçues, alerter sur les signes précoces, orienter vers les bons relais et défendre une approche thérapeutique fondée sur des données probantes. Une semaine pour mieux comprendre comment les TCA bouleversent la dynamique familiale et pourquoi il est essentiel d’inclure les proches dans le parcours de soins.

Les troubles des conduites alimentaires regroupent plusieurs pathologies psychiatriques caractérisées par un rapport perturbé à l’alimentation et à l’image corporelle. La plus connue d’entre elles, l’anorexie mentale, débute généralement à l’adolescence. Elle se manifeste par une restriction alimentaire sévère, une peur intense de prendre du poids et une altération de la perception corporelle : les personnes atteintes se voient plus grosses qu’elles ne le sont en réalité. La boulimie, elle, se développe le plus souvent entre 18 et 25 ans et se traduit par des crises d’ingestion massive de nourriture, associées à des comportements compensatoires : vomissements, jeûne ou activité physique excessive. L’hyperphagie boulimique se traduit également par des épisodes de consommation massive d’aliments mais sans comportement compensatoire. Elle touche majoritairement les jeunes adultes.

Selon la FFAB, 900 000 personnes, dont une majorité de jeunes femmes, sont directement touchées par ces troubles en France. Alors que l’anorexie mentale est la maladie psychiatrique au taux de mortalité le plus élevé, des millions de vidéos circulent sur TikTok sous le mot-dièse #SkinnyTok. Des adolescentes y comparent la taille de leurs cuisses, alignent des repas frugaux ou partagent des « astuces » de perte de poids extrême. « Être souvent confronté à des corps idéalisés favorise le fait de se comparer, de se déprécier et augmente l’insatisfaction corporelle, facteur de risque majeur de déclenchement ou d’aggravation des troubles des conduites alimentaires » alerte Hugo Saoudi, médecin psychiatre spécialisé dans les TCA et membre de la FFAB.

« Alors que TikTok a signé la nouvelle charte alimentaire de l’Arcom visant à promouvoir des comportements alimentaires favorables à la santé, il est profondément incohérent de voir prospérer sur ce réseau social des tendances comme #SkinnyTok, qui valorisent des pratiques dangereuses et contraires à toute éthique » souligne Stéphanie Pierre, chargée de mission Santé publique à France Assos Santé

Des familles bouleversées et démunies

En effet, derrière l’image d’une adolescente souriante qui enchaîne les challenges sur TikTok, il y a la souffrance des personnes atteintes, les chiffres – le taux de mortalité d’un jeune souffrant d’anorexie mentale est douze fois plus élevé que celui des personnes du même âge qui ne sont pas malades – et un quotidien invisible : hospitalisations répétées, disputes à table, silences pesants et parents inquiets et démunis. Loin de se limiter à un enjeu personnel ou générationnel, les TCA bouleversent profondément l’équilibre des familles.

Chez Louise, dont la fille a développé une boulimie nerveuse à l’adolescence, la maladie a impacté toute la vie de famille : « Voir son enfant malheureux, se faire du mal, c’est insupportable. Ma fille Marie n’était pas en surpoids, mais vers 14 ans, elle n’a plus voulu manger que du pain et de l’eau et a commencé à se faire vomir en cachette. Cela a été un véritable raz-de-marée. »

Le premier impact des troubles des conduites alimentaires (TCA) sur la famille est un sentiment d’incompréhension. Il est difficile, pour des parents, de saisir pourquoi leur enfant ne parvient plus à manger normalement, s’isole ou refuse de participer à des moments autrefois conviviaux, comme les repas. « S’entendre dire en permanence de manger ou au contraire d’arrêter de se « goinfrer », alors qu’on ne peut pas faire autrement, est insupportable, on préfère donc rester seul » témoigne Claude Finkelstein, présidente de FNAPSY.

 « Au désarroi initial des parents succède l’inquiétude qui, si elle n’est pas accompagnée, peut se transformer en frustration et en colère car ce sentiment d’impuissance devient une source de souffrance qui déborde » explique Hugo Saoudi. Mise à l’écart, jalousie, ou crainte de dire ce qu’elles ressentent, les fratries aussi sont affectées. « J’ai arrêté de travailler pour accompagner Marie aux consultations, lui rendre visite à l’hôpital. Et pendant ce temps, je n’ai pas pu être là pour ma fille aînée, qui passait son bac. Quand un berger perd une brebis sur cent, il part la chercher. Moi, je ne pensais qu’à sauver la mienne. » se souvient Louise.

Une famille est un ensemble d’individus qui trouvent, au fil du temps, un certain équilibre : chacun y occupe un rôle. Cet équilibre familial peut être bouleversé par tout changement majeur : naissance, deuil, séparation ou apparition d’un trouble comme l’anorexie ou la boulimie. Le trouble agit alors comme un élément perturbateur, obligeant tous les membres de la famille à s’ajuster, consciemment ou non. Ignorer cette dimension revient à passer à côté d’une part essentielle de la réalité : les comportements de chacun peuvent involontairement renforcer ou, au contraire, apaiser le trouble. « C’est pourquoi il est crucial de considérer la personne qui souffre non seulement dans sa singularité, au-delà de sa pathologie, mais aussi en tenant compte de l’influence de ses proches dans le processus de soin. Les recommandations de bonne pratique concernant l’anorexie mentale aujourd’hui placent avec un niveau de preuve intéressant, la thérapie familiale chez les adolescents » souligne Hugo Saoudi.

Ce n’est pas la faute des familles

« J’ai rencontré des gens négatifs aux discours culpabilisants mais aussi des personnes qui m’ont soutenue et aidée, notamment au sein de l’UNAFAM » témoigne Louise, la maman de Marie. En effet, la souffrance de la famille est souvent doublée d’un sentiment de stigmatisation. La société, et parfois certains professionnels de santé, entretiennent encore l’idée que les troubles sont des « caprices » ou le résultat de conflits intrafamiliaux, de carences affectives ou d’une mère trop présente. Ces représentations anciennes pèsent encore lourd sur les épaules des proches alors qu’elles sont scientifiquement dépassées, c’est la raison pour laquelle informer et accompagner les familles est indispensable.

En effet les troubles des conduites alimentaires (TCA) résultent d’un enchevêtrement de facteurs multiples : sociaux, familiaux, psychologiques et biologiques. Sur le plan social, la pression qui s’exerce sur le corps, en particulier celui des femmes, est omniprésente. Dans notre société, le corps est perçu comme un objet à maîtriser : minceur rime avec réussite, beauté et contrôle de soi. La souffrance imposée au corps pour atteindre cet idéal est souvent considérée comme normale, voire valorisée. Cette norme est largement relayée par les médias, les publicités, les films et les réseaux sociaux, qui diffusent une vision réductrice de la beauté et encouragent des comportements alimentaires restrictifs.

À l’école, ces normes peuvent se traduire par des moqueries ou du rejet. Vécues comme du harcèlement, elles altèrent durablement l’image de soi et peuvent inciter les jeunes à modifier leur comportement alimentaire de manière radicale dans une tentative d’échapper à ces humiliations. Le contexte familial peut également renforcer ces vulnérabilités, notamment lorsque la minceur est valorisée ou que l’on apprend à ignorer ses sensations alimentaires — par exemple en forçant un enfant à finir son assiette, au mépris de sa satiété.

À un niveau plus individuel, des événements traumatiques, certains traits de personnalité ou encore des antécédents familiaux peuvent constituer un terrain propice. Autrement dit, ce n’est jamais un seul facteur qui déclenche un TCA, mais bien un ensemble de fragilités qui interagissent. Il est donc crucial de rappeler que les familles ne sont pas à blâmer, mais qu’elles doivent être considérées comme des partenaires à part entière dans le processus de soin.

Des réponses claires et un message d’espoir

Les TCA soulèvent aussi des questionnements liés à la famille qui ne sont pas suffisamment abordés : Comment protéger ses enfants ? Quels sont les comportements qui peuvent aider ou au contraire renforcer les difficultés ? Qu’est-ce qui se passe quand on a souffert ou qu’on souffre d’un trouble des conduites alimentaires et qu’on décide de fonder une famille ? Dans quelle mesure peut-on transmettre ce trouble ? Comment l’anorexie mentale impacte le désir sexuel, la fertilité ?

Face à l’impact des TCA sur le quotidien des familles et à la déferlante d’idées reçues, d’approximations et de fausses informations, les experts de la FFAB apporteront lors cette semaine de sensibilisation des réponses claires et sourcées aux questions que peuvent se poser les familles, informeront sur les possibilités de s’en sortir et sur les dispositifs qui existent pour soutenir les proches en souffrance. Pour être accessibles à tous, ces tables rondes, conférences et débats seront également disponibles en replay sur le site https://www.journeemondialetca.fr/

Aujourd’hui, on estime qu’environ la moitié des personnes atteintes de TCA n’accèdent pas à des soins spécialisés, faute d’un repérage efficace et d’une offre de soin suffisante. Pour Hugo Saoudi, il est essentiel de rappeler que des solutions existent : « Oui, les troubles des conduites alimentaires sont des pathologies graves mais lorsqu’un accompagnement adapté est mis en place, la guérison est possible. Même si le chemin est long, il vaut la peine d’être entamé dès les premiers signaux d’alerte. »

Ressources utiles : 

  • Comment aider votre fille à sortir de l’anorexie, Yves Simon & Isabelle Simon-Baïssas, Éditions Odile Jacob (2009)
  • Comment sortir de la boulimie et se réconcilier avec soi-même, François Nef et Yves Simon, Éditions Odile Jacob (2004)
  • Maigrir, c’est fou, Gérard Apfeldorfer, Éditions Odile Jacob (2000)

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