Lundi 19 mai, la Journée mondiale des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) braque, pour cette nouvelle édition, les projecteurs sur leurs impacts psychologiques et émotionnels. Isolement, fatigue chronique, déprime voire dépression… De nombreux patients et leurs proches y sont confrontés. Des impacts qui ne sont pas une fatalité, à condition de bénéficier d’un accompagnement et d’une écoute adéquats.
Dix millions de personnes sont atteintes de maladie de Crohn ou de rectocolite hémorragique (RCH) dans le monde. Plus de 300 000 en France, dont 10 % d’enfants. Ces cas pédiatriques, plus sévères et difficiles à traiter, sont en augmentation. D’ici 2030, les estimations parlent de 400 000 personnes touchées dans notre pays. Cette progression frappe la majorité des zones du globe au mode de vie occidental, où l’apparition des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin a coïncidé avec la survenue de la révolution industrielle.
Outre les causes de risque conventionnels (tabac, alimentation…), le stress et d’autres facteurs environnementaux au sens large sont une piste de plus en plus avancée pour expliquer cette courbe croissante. « Reconnaître les MICI comme étant des maladies environnementales est l’un de nos leitmotivs depuis plusieurs années », explique Corinne Devos, présidente de l’AFA Crohn RCH France.
Alerter sur les troubles psychologiques et émotionnels
Unique association française qui soutient et informe les malades de MICI et leurs proches, qui défend leurs droits et finance la recherche, l’AFA Crohn RCH France coordonne cette journée mondiale au niveau national. Pour cette édition 2025, elle souhaite notamment alerter sur les troubles psychologiques et émotionnels auxquels ils sont souvent confrontés. « Comme le montre notre dernière étude Regards croisés sur les MICI, vivre avec la maladie va bien au-delà de vivre avec elle et ses traitements, cela ressemble bien souvent aux montagnes russes. Inquiétude des premiers symptômes (diarrhées, douleurs abdominales…), annonce du diagnostic qui est souvent un choc, stress des poussées, parcours de soins souvent compliqué, poids de la maladie au quotidien… », détaille notre interlocutrice venue vers l’association davantage pour les retentissements de la maladie de Crohn sur sa vie que pour la maladie en elle-même – lire ci-dessous.
Parmi les conséquences de MICI figure le risque de se retrouver stomisé, même si très souvent, dans ce cadre-là, la stomie est temporaire, rarement définitive. Mais, bien sûr, l’obligation de porter une déviation chirurgicale d’un conduit naturel peut rajouter un poids mental supplémentaire. « L’impact d’une stomie est variable suivant les personnes. Pour autant, accepter la modification de son corps, en particulier quand on est jeune, demande psychologiquement de faire un grand chemin. Par ailleurs, de nombreuses questions souvent vertigineuses se posent : comment parler aux autres de ma stomie ? Serais-je jugé ? Est-ce qu’on va me comprendre ? Pourrais-je accéder au monde du travail, de la formation… », énumère Myriam Teyssié, présidente de l’Union des Associations Françaises de Stomisés, elle-même stomisée à la suite de plusieurs maladies chroniques.
Isolement, anxiété, épuisement chronique…
Plus globalement, le tabou des MICI, propice à l’isolement ou encore à l’anxiété, et l’épuisement chronique lié à la maladie, aux traitements et à la charge mentale, sont des éléments à risque pouvant entraîner jusqu’à une dépression. « Avec toutes ses répercussions dans toutes les sphères de la vie du malade (privée, professionnelle, sexuelle…), la maladie est un double fardeau qu’il faut alléger. Elle est invisible. Ce qui est vécu par le malade l’est tout autant car il est tu, dissimulé, parce que considéré comme honteux », précise Corinne Devos. Pour la présidente de l’association AFA Crohn RCH France, il est donc essentiel d’identifier au plus tôt ces troubles psychologiques et émotionnels liés aux MICI, afin de les prendre en charge. Longtemps sous-estimés par les professionnels de santé, ils le sont moins depuis quelques années, notamment car le sujet est notamment évoqué par certains malades qui se rendent en faculté de médecine et de pharmacie pour sensibiliser les futurs médecins et pharmaciens à leur pathologie dans sa globalité.
Ces troubles jouent un rôle essentiel sur la maladie en elle-même. « Les MICI fonctionnent sur un modèle biopsychosocial : les symptômes physiques sont importants, mais ceux psychologiques le sont aussi car ils ont un impact sur la stabilisation des premiers », énonce Anne-Sophie Bonvarlet, psychologue référente à l’AFA Crohn RCH.
Encourager la prise de parole
Anne-Sophie Bonvarlet assure une permanence téléphonique permettant d’orienter les usagers de l’association vers un accompagnement approprié. « Des thérapies cognitives et comportementales (TCC), pour travailler notamment sur la régulation émotionnelle au sens large et sur des stratégies d’ajustement à la maladie, peuvent être conseillées. Cet accompagnement peut aussi consister à briser le cercle vicieux de l’interaction entre stress et poussées, à travers par exemple des techniques psychocorporelles, comme la relaxation musculaire pratiquée quotidiennement. La méditation pleine conscience peut également être une piste pour réduire son stress et contribuer à s’accepter soi-même avec la maladie, en se recentrant sur le moment présent », décrit-elle.
Cet accompagnement psychologique passe avant tout par une libération de la parole des malades et de leurs proches, et une écoute. Pour l’AFA Crohn RCH, cette journée mondiale des MICI 2025 doit contribuer à les encourager dans ce sens pour améliorer leur santé mentale. « Reconnaître les fardeaux multiples de la maladie ne signifie pas être faible. C’est déjà un premier pas pour trouver des ressources pour apprendre à les gérer », insiste la responsable de l’association.
« Être écoutée m’a beaucoup aidée “
« Les premiers symptômes remontent à mes 7 ans. Diarrhées, selles impérieuses, douleurs abdominales, articulaires ou encore problèmes dermatologiques… Malgré une quinzaine d’hospitalisations, je n’ai pas eu de diagnostic avant l’âge de 36 ans, soit une trentaine d’années d’errance médicale. Entre les années 1970 et 1990, voire 2000, les MICI étaient moins connues qu’aujourd’hui et il existait peu de traitements spécifiques. Enfant, je me suis construite avec la maladie. En l’absence de diagnostic, je n’étais pas inquiète de ne pas pouvoir réaliser certaines choses, comme une sortie au restaurant ou un anniversaire chez des copains, pas consciente que cela allait durer. Je ne me posais pas trop de questions. Je fonçais quand j'allais bien, dans le cas contraire, j'étais sur pause. La notion de handicap ne m’a jamais effleurée, simplement, je n’avais pas tout à fait l’enfance de tout le monde, avec l’impression de grandir plus vite. La seule chose perturbante, c’était que je me sentais sale et que je devais avoir un change. J’avais un sentiment de honte. Les angoisses sont venues plus tard. J’ai malgré tout suivi des études supérieures, travaillé, comme responsable juridique dans un grand groupe, des enfants... L’impact psychologique est apparu dans le cadre professionnel. De nombreuses absences dues à des hospitalisations ont rendu ma carrière compliquée. Lors de poussées, j’étais nourrie parfois par sonde, je pouvais perdre 10 kg en 15 jours : cela m’a coupée du monde. Jamais je ne parlais de ma maladie, je pensais être seule avec ça. Longtemps on m’a dit qu’elle était dans ma tête, que je ne savais pas gérer mon stress. Ce qui a contribué au repli sur soi.
A la suite d’une nouvelle poussée extrêmement sévère, le diagnostic est tombé. Soulagée enfin d’en avoir un, ainsi que des traitements adaptés, j’ai dans le même temps pris conscience de l’épée de Damoclès que j’avais désormais au-dessus de la tête, à savoir une maladie dont on ne guérit pas, et qui a pris toute la place. S’en est suivie une vraie dépression, une mise en inaptitude au travail, avec le sentiment d’être devenue inutile socialement. Heureusement, une prise en charge thérapeutique avec un psychologue, l’écoute et la bienveillance de mes proches et surtout de mes enfants, vis-à-vis de l'ensemble des impacts sur ma vie, m’ont beaucoup aidée. Je pouvais enfin parler librement, être accompagnée. Pousser la porte de l’association m’a également énormément servie. Je m’y suis nourrie de l’expérience d’autres patients pour mieux comprendre comment je pouvais avancer, m’inspirant de parcours différents, en sachant que les solutions de l’un ne sont pas forcément les miennes, et inversement. J’ai également suivi le cursus diplômant de l'Université des patients de la Sorbonne. Cette formation pour devenir patiente-experte m'a aidée à faire la paix avec ma maladie, à me retrouver dans mon identité, et a donné du sens à mon parcours de vie. Aujourd’hui, à 60 ans, j’ai toujours un colocataire dont le bail n’est pas résiliable. Mais j’ai moins peur et j’ai appris à vivre avec plutôt qu’à lutter contre. Je ne me définis plus comme une malade, mais comme une personne avec une maladie. »
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