Charge mentale des proches aidants : Que vivent-ils véritablement ?

Un quart des aidants déclarent ressentir une fatigue physique et morale et 29 % se sentir anxieux et stressés. Ces chiffres, issus du rapport d’observation et d’analyse de la Fédération Française des Aidants de 2016, intitulé « Les proches aidants : une question sociétale / Accompagner pour préserver sa santé », en disent long sur la charge mentale qui pèse sur une part non négligeable des aidants. D’autant que 59 % d’entre eux confessent se sentir seuls depuis qu’ils sont aidants. Que vivent-ils véritablement ? Témoignages et décryptage.  

La vie d’Alexandra a basculé du jour au lendemain, quand en septembre 2013, on diagnostique chez sa mère un cancer à un stade avancé. La jeune femme a 19 ans. Le père, autoentrepreneur, est sur les routes, les frère et sœur, plus âgés, ont quitté le domicile. Militaire, elle prend un congé sans solde d’aide à la famille. « J’étais la plus disponible, je me disais qu’il fallait que je sois là pour elle », raconte-t-elle. L’état de sa mère se dégrade vite, elle ne peut plus manger, se laver, parler. « C’est dur de voir sa mère de 55 ans, alitée, épuisée, elle qui avait toujours été pleine de vie. » Repas à préparer, médicaments à récupérer à la pharmacie, Alexandra s’occupe de tout, jusqu’aux pansements et à la toilette. « Ce n’est pas évident à vivre, ça marque quand on est si jeune. » Oncologue, médecin traitant : personne ne l’oriente vers une aide-soignante ou une infirmière. « Et ça ne m’est pas venu à l’esprit. Je n’étais pas en capacité émotionnelle de gérer tout ça, j’étais épuisée, déprimée. Quand vous êtes dedans, c’est difficile de prendre du recul. » Sa mère décède le 26 novembre. « Huit ans ont passé, mais cela reste un traumatisme. Et si je n’avais pas entamé une psychothérapie, il y a trois ans, je ne sais pas où je serais », dit-elle. Grâce à ce travail, elle a notamment compris que « le cancer l’aurait de toute façon emportée, quoi qu’on fasse ».

« Une accumulation de chocs »

Bien sûr, les enjeux diffèrent considérablement selon que l’aidant est jeune ou plus avancé en âge. Mais une certitude demeure, quelle que soit la maladie : « Les proches aidants vivent une accumulation de chocs d’une grande violence, note Emilie Gabillet, psychologue à l’Association Delta 7 et formatrice à l’Association Française des Aidants (AFA). C’est d’abord l’annonce du diagnostic, puis l’évolution de la maladie, le comportement de la personne qui peut changer, les traitements quand il y en a, une douleur non apaisable, etc. ». Depuis dix ans, Chantal, 67 ans, s’occupe de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. L’ancienne costumière pour le cinéma et le théâtre l’a installée chez elle, un deux-pièces du centre de Paris. « Cela s’est fait naturellement, mais, comme beaucoup, je ne savais pas vraiment ce qu’était cette maladie. J’imaginais que maman serait un peu fatiguée, mais qu’on pourrait continuer à faire des choses ensemble, comme aller au cinéma. » En fait, sa mère se montre très violente, et notamment avec les infirmières et les aides à domicile. Très vite, Chantal doit renoncer à travailler pour assumer le quotidien. Plus de tournée, plus de projet, plus de sortie, sinon l’après-midi, pour un café, des courses, une balade, et plus de vie de femme. Depuis quelques temps, la mère de Chantal, âgée aujourd’hui de 90 ans, ne veut plus marcher, préférant son fauteuil. « Que ce soit le malade ou l’accompagnant, personne n’est préparé à cette vie dans l’incertitude, au jour le jour, souligne Céline1, psychologue écoutante à la Ligue contre le cancer. C’est difficile de ne pas avoir de perspective. »

« Une autre temporalité »

De fait, avancer à tâtons génère un surplus d’angoisse. « Il y a deux choses qui sont dures : ne pas savoir comment évoluera la maladie et être capable de s’adapter sans cesse, au fur et à mesure que l’état de la personne se dégrade. Cela crée une grande instabilité et exige de l’aidant une remise en question permanente », constate Jacqueline, 72 ans, dont le mari, de huit ans son aîné, a été diagnostiqué au printemps 2019, malade d’Alzheimer, « mais dont les bizarreries remontent à plus de dix ans ». Assez rapidement, celui-ci perd toute autonomie. Quant à Jacqueline, elle souffre de problèmes de sommeil. « Tout ça tournait dans ma tête, mais je ne réalisais pas, je faisais les choses parce que c’était comme ça ». Parmi les autres signes qui peuvent se manifester chez certains aidants, ajoute Céline, « il y a les troubles de l’alimentation, l’irritabilité, les conduites addictives ou encore un état dépressif ». Et le manque de soutien (environnement familial, amical, médical…) peut les fragiliser davantage encore : « Ils peuvent se sentir dans une autre temporalité ». Il faut également prendre en compte « l’image que cette expérience renvoie de l’aidant », indique, pour sa part, Emilie Gabillet. « L’estime de soi peut être très fragilisée, par le sentiment d’échec ou de pas être à la hauteur. »

Des pairs à l’écoute

Doute, culpabilité, impuissance : il n’y a pas une bonne manière de faire. « Personne n’a de baguette magique », rassure Céline. En revanche, encouragent les deux psychologues, il peut être salutaire, en cas de mal-être ou d’effondrement mental, de (s’autoriser à) demander de l’aide. « Il y a encore trop de personnes qui nous disent, quand elles viennent à l’association pour la première fois, qu’elles auraient aimé nous rencontrer plus tôt », signale Emilie Gabillet. C’est sur les conseils de l’orthophoniste qui a pris en charge son mari que Jacqueline entre en relation avec l’association France Alzheimer. « J’ai pu me former, comprendre ce qu’il ne fallait pas faire, comme insister, par exemple, et j’ai pu échanger lors des groupes de paroles, poser des questions car je n’avais personne avec qui parler : la famille de mon mari étant loin, elle ne pouvait pas comprendre. Ce sont ces moments d’échange qui nous sauvent », illustre Jacqueline qui dit se sentir mieux aujourd’hui. Six mois après la venue de sa mère à paris, Chantal a pris contact avec l’AFA, dont elle a trouvé les coordonnées sur Internet. « J’ai participé à plusieurs cafés des aidants. Les personnes que vous rencontrez vous comprennent, savent de quoi vous parlez, du coup on s’entraide, rapporte-t-elle. Moi, par exemple, au début, je n’avais pas compris qu’il faut toujours ruser avec un proche atteint de la maladie d’Alzheimer pour le détourner de ses obsessions, un peu comme avec un enfant. » Suite à l’un de ces cafés des aidants, et sur les conseils d’une psychologue-modératrice, Chantal a aussi entamé une psychothérapie, qui a duré environ trois ans. Et au fil du temps, de nouvelles amitiés se sont tissées lors de ces réunions d’aidants. « La nature a horreur du vide », dit-elle, pudiquement.

« Apporter sa pierre à l’édifice »

Soutien individuel ou collectif, activité physique et/ou culturelle, etc., dans tous les cas, plusieurs dispositifs d’aide et de soutien existent pour permettre aux aidants de souffler. « Cette soupape est parfois essentielle pour pouvoir continuer à être aidant », souligne Emilie Gabillet. Chantal, par exemple, se félicite de l’existence du relayage, un service qui assure le relais auprès du poche aidé, permettant à l’aidant de « s’échapper ». « Je suis partie pendant quatre jours, à Marseille, voir la mer. Je devais appeler tous les jours, mais être ailleurs m’a fait du bien ». Elle aimerait partir à nouveau, mais il y a le Covid-19. En attendant, elle tient un journal de bord, et apporte volontiers son témoignage, à l’instar de Jacqueline et Alexandra, chacune de leur côté, qui pour l’Association Française des Aidants, qui pour France Alzheimer, qui pour la Ligue contre le Cancer. « C’est une façon d’apporter ma pierre à l’édifice, pour que mon expérience n’ait pas été vécue en vain », explique Alexandra. Son combat, lutter contre l’invisibilité des jeunes aidants, dont le vécu est mal connu.

 

1 Le prénom a été changé pour garantir l’anonymat des écoutants de la Ligue contre le cancer.

Plus de 700 000 jeunes aidants

Mère, le plus souvent, père, frère ou sœur : les jeunes aidants seraient plus de 700 000 à donner de leur temps pour s’occuper d’un proche. Ils ont entre 7 et 25 ans, sont scolarisés ou font tout juste leur entrée dans la vie active, à l’instar d’Alexandra qui venait de rejoindre l’armée quand elle a dû s’occuper de sa mère atteinte d’un cancer de stade 4. Sont-ils conscients d’être des aidants ? « Ce n’était pas clair pour moi », avoue la jeune femme. Résultat, dans bien des cas, personne ne les repère. Chez certains, cette situation leur donnera de la maturité, chez d’autres, elle génèrera des difficultés d’apprentissage et émotionnelles. Mais globalement, cette lourde responsabilité est dommageable pour leur santé (problème de sommeil, veille permanente, isolement…). Contrairement à des pays comme le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark, le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, la France accuse un retard en matière de sensibilisation des jeunes aidants, via l’école, des campagnes d’affichage, la mise en place d’associations dédiées, de lieux de répit spécifiques, etc. En attendant, il ne faut pas hésiter à se confier à des personnes de confiance. À l’école, cela peut être l’infirmière, par exemple.

Ce qu’il faut savoir

Chaque situation est unique. Trop de facteurs entrent en ligne de compte pour esquisser un mode d’emploi universel (histoire du couple, de la famille, etc.). Tout au long du parcours de l’aidant, des précautions peuvent cependant être prises pour éviter, le cas échéant, qu’un mal-être s’installe durablement. Céline et Emilie Gabillet en retiennent trois :

  • Définir ensemble ses besoins et ses limites : qu’avez-vous envie de faire pour votre proche, qu’est-ce qui serait opportun pour lui et pour vous, qu’est-ce qui vous fait du bien. Objectif, mettre en place, si nécessaire, les relais qui permettront au couple aidant/aidé de vivre au mieux cette nouvelle situation.
  • Se demander s’il y a du plaisir dans la relation avec le proche : si l’équilibre psychique de l’aidant semble vacillant, il peut être important d’initier des activités, voire un soutien, qui feront du bien, et de faire appel à un tiers (accueil de jour, aide à domicile, plateforme de répit, etc.).
  • Questionner la possibilité de se séparer : rarement évidente, la séparation est souvent essentielle pour être un bon aidant pour son proche.

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