Enquêtes sur la crise Covid : le travail des associations de patients

De nombreuses associations de patients ont lancé des enquêtes sur la crise Covid auprès de leurs adhérents, patients, proches ou aidants, pendant ou à l’issue du premier confinement.
Cette crise exceptionnelle et déstabilisante méritait une « photographie » de la situation à travers la parole des usagers eux-mêmes. Cela a d’ailleurs parfois permis d’apporter des solutions urgentes aux problématiques rencontrées par les usagers.
A l’heure où le confinement est à nouveau d’actualité, ces enquêtes sont autant de données sur lesquelles s’appuyer pour tirer les leçons éventuelles du premier confinement. Certaines associations songent déjà à réitérer leurs enquêtes afin d’évaluer si la situation et le ressenti des usagers ont effectivement changé.

Voici la liste des enquêtes, réalisées pendant ou à l’issue du premier confinement par des associations d’usagers, et étudiées ici :

Une grande réactivité de la part des associations lors du premier confinement

Préparer une enquête prend du temps d’ordinaire. Il s’agit de n’oublier aucune situation, de réfléchir à l’exploitation des futurs résultats, etc. Mais fortes de leur expérience et de leurs réseaux, les associations d’usagers ont su réagir très vite malgré la stupeur et le manque de repères, afin de réaliser rapidement des enquêtes sur la crise Covid.

L’association AFA Crohn RCH a ainsi mobilisé 2168 répondants atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), moins d’un moins après le début du confinement de mars 2020.

Fibromyalgie France a publié ses résultats le jour du déconfinement. Pour Carole Robert, sa présidente, il était indispensable de prendre rapidement des nouvelles de ses adhérents qui s’étaient terrés dans le silence dès le début de la crise sanitaire. « Nous mettions beaucoup d’informations et d’activités sur notre site pour les aider à traverser cette période, mais nous n’avions aucuns retours, aucunes nouvelles d’eux, ce qui n’est pas habituel. Il nous a donc semblé qu’il fallait qu’on prenne activement les devants pour en comprendre les raisons et connaître leur ressenti en leur proposant une enquête. », commente-t-elle.

Pour Christian Baudelot, vice-président de Renaloo, le nombre important de réponses, extrêmement détaillées,  reçues en 15 jours à leur enquête menée auprès des patients insuffisants rénaux, dialysés et greffés, montre à quel point ces derniers ressentaient le besoin de s’exprimer.

Bénédicte Kail, conseillère nationale éducation familles chez APF France handicap et en charge pour APF France handicap de l’enquête menée par le CIAAF sur les aidant.e.s pendant le confinement explique : « Mes contacts réguliers avec des groupes de parents et de proches de personnes en situation de handicap se sont intensifiés dès l’annonce du confinement. Il paraissait important de recueillir au plus vite des informations sur leur situation et leur vécu pour envisager les solutions à leur proposer. ». Ainsi l’enquête, en collaboration avec l’IRES et co-conduites avec plusieurs autres associations membres du Collectif interassociatif des aidants familiaux (CIAAF), telles que France Alzheimer, l’AFSEP, l’AFM Téléthon, l’UNAPEI, l’UNAFAM ou l’UNAF, s’est-elle déroulée entre le 24 avril et le 25 mai 2020 pour délivrer des premiers résultats dès le mois de juin suivant.

Du côté des Petits Frères des Pauvres, du fait que l’association mène chaque année une étude quantitative et qualitative, les moyens et le calendrier étaient déjà à disposition pour une nouvelle enquête. Pour l’association, c’était une évidence de changer la thématique prévue pour 2020 et de l’orienter sur l’isolement des personnes âgées et le confinement. Cela a donné lieu à ce rapport publié dès le mois de juin 2020. Isabelle Sénécal, responsable du Pôle Plaidoyer des Petits Frères des Pauvres précise : « Bien que nous ayons travaillé dans l’urgence, les questions à aborder nous paraissaient évidentes. Nous avons modifié un peu la méthodologie puisque d’habitude les entretiens qualitatifs se déroulent en face à face et que nous les avons donc menés par téléphone. Etant donné le contexte, les répondants sur la phase qualitative, qui étaient toutes des personnes isolées et accompagnées par notre association, étaient finalement ravis d’avoir quelqu’un au téléphone et de se sentir entendus, existés. Même les entretiens concernant un panel représentatif de la population française ont été souvent beaucoup plus longs qu’à l’accoutumée. Les échanges étaient d’une grande richesse. Nous voulions vraiment recueillir la parole des personnes isolées, ne pas parler à leur place. »

La peur d’être contaminé par le coronavirus était prégnante

Bien entendu, certains malades étaient plus à risques que d’autres face au Covid-19. C’est le cas des patients insuffisants rénaux, dialysés et greffés. Ils ont été plus de 2000 à répondre en quelques jours à l’enquête lancée en juin par l’association Renaloo. Les résultats parlent d’eux-mêmes puisque :

  • 86% des répondants savent qu’ils sont « à risque de développer une forme grave » de COVID-19
  • 66% considèrent que leur risque est « très supérieur » à celui de la population générale
  • 2 répondants sur 3 ne sont pas sortis plus d’une fois par semaine durant le confinement, et 1 sur 5 ne sont jamais sortis.

Les 2168 répondants de l’enquête menée en avril par l’AFA Crohn-RCH ont déclaré, pour 71% d’entre eux, avoir peur d’être contaminés.

Pour les adhérents de Fibromyalgie France, face à une éventuelle situation d’urgence, 42% auraient craint d’être contaminés à l’hôpital et de contaminer ensuite leurs proches.

Ainsi que le précise Bénédicte Kail d’APF France handicap, cette peur de la contamination a persisté au-delà du confinement et certaines familles n’ont jamais cessé, depuis le mois de mars, de tout désinfecter et de vivre dans un certain isolement.

Isabelle Sénécal des Petits Frères des Pauvres corrobore cet état de fait et constate que certaines personnes accompagnées par l’association ne sont quasiment pas sorties depuis le mois de mars. Déjà durant le confinement de mars 2020, 15% des 1502 répondants de plus de 60 ans ayant participé à l’enquête des Petits Frères des Pauvres déclaraient n’être jamais sortis pendant le confinement. Cela représenterait 2,5 millions de personnes à l’échelle nationale.

Solitude, isolement, anxiété sont les invités réguliers des enquêtes sur la crise covid

L’une des difficultés majeures révélée par les enquêtes sur la crise Covid et rencontrée par les usagers confinés, malades ou non, est l’isolement. C’est ce qui ressort en premier lieu de l’enquête Flash menée par l’Union régionale des associations familiales (URAF) des Pays de la Loire, dans le cadre de son Réseau d’Observation des Réalités Familiales. En effet, parmi les 52 répondants, 22 ont manifesté rencontrer des difficultés par rapport à l’isolement imposé par le confinement et 10 ont souffert de la solitude. Note positive cependant, 14 n’ont ressenti aucune difficulté particulière et 27 ont même vu un bénéfice en termes de renforcement des liens familiaux, amicaux, de voisinage (réseaux sociaux, contacts téléphoniques, etc.).

Du côté des Petits Frères des Pauvres également on relève aussi un aspect positif puisque 69 % des 1502 répondants âgées de plus de 60 ont constaté un élan de solidarité envers eux pendant la crise. Cela n’empêche malheureusement pas, d’après Isabelle Sénécal, que l’isolement des plus fragiles, déjà concernés par l’isolement avant le confinement, s’est accru. Ainsi l’enquête révèle-t-elle que :

  • 720 000 personnes âgées n’ont eu aucun contact avec leur famille durant le confinement
  • 650 000 personnes âgées n’ont eu aucun confident
  • 500 000 personnes de 60 ans et plus n’ont pas reçu l’aide dont elles avaient besoin
  • Plus de 2 millions de personnes âgées n’ont eu aucun contact avec leurs amis

Isabelle Sénécal ajoute à propos de ces chiffres : « Le nouveau confinement, à quelques semaines de Noël, est une source d’inquiétude pour les aînés. Les fêtes de fin d’année sont un moment important pour les personnes que nous accompagnons, comme pour les équipes de bénévoles. Quelle que soit l’évolution de la situation nous imaginerons une façon de rester en contact et de profiter ensemble des fêtes de fin d’année. »

L’enquête de Renaloo révèle aussi que : « Les mots Angoisse, Anxiété, Inquiétude, Peur et leurs dérivés (angoissé e s, anxieux se inquiet e, etc.) sont ceux qui apparaissent le plus souvent dans les commentaires, immédiatement après confinement et loin devant courses, masques ou pharmacie. ».

Enfin du côté des patients interrogés par l’AFA Crohn-RCH :

  • 1 répondant sur 2 a ressenti de l’anxiété et de la tension plusieurs fois durant la semaine
  • 1 personne sur 3 a ressenti plusieurs fois dans la semaine colère, peur et tristesse

Enfin, Bénédicte Kail chez APF France handicap rappelle que l’accompagnement des personnes aidées a également été très perturbé, notamment à cause de la fermeture des structures d’accueil de jour. En outre, le manque d’équipement dont bénéficiaient les aides à domicile, comme les masques notamment, les a souvent découragées à venir auprès des malades, soit de leur propre initiative, soit à la demande des patients et familles, qui craignaient d’être contaminés. Ainsi les tâches, soins, ou activités normalement assurés par des professionnels ont dû être parfois entièrement assumées par les aidants familiaux.

Le point le plus marquant de cette enquête est d’ailleurs l’isolement des aidants familiaux qui se sont souvent retrouvés sans aide extérieure. Ainsi :

  • Dans 79% des cas, l’isolement s’est imposé pour des aidant.e.s.
  • 52% des aidant.e.s déclarent avoir été seuls à accompagner leur proche pendant la période du confinement, contre 33% avant le confinement.
  • 56 % déclarent avoir dû assumer la charge des soins (infirmiers et de rééducation).

Rupture de soins, un constat unanime dans les enquêtes sur la crise covid

Le silence des adhérents de Fibromyalgie France était en réalité une réponse cohérente par rapport à ce qu’ils ressentaient. En effet, l’enquête a révélé que la plupart ne se sentait pas légitime à se plaindre car le traitement de leur douleur ne leur semblait pas prioritaire dans ce contexte de crise sanitaire.

  • 43% des patients fibromyalgiques interrogés estimaient que leur prise en charge pouvait attendre
  • Dans le même temps, 51% ont subi l’annulation de leur rendez-vous chez des spécialistes, ce qui a pu accroître leur sentiment de ne pas être prioritaires
  • 48 % se disaient indécis à l’idée d’appeler le SAMU en cas d’urgence

Ces chiffres montrent bien le constat unanime lors du confinement de mars 2020 qui faisait état d’une rupture de soins désastreuse chez les malades chroniques, soit parce que les patients craignaient de déranger, soit d’être contaminés, soit du fait que leurs médecins ou praticiens (kinésithérapeutes, orthophonistes, infirmièr.e.s etc.) ne pouvaient plus assurer leurs consultations.

Du côté des patients insuffisants rénaux, dialysés et greffés pour l’enquête de Renaloo, 1 répondant sur 4 seulement indique avoir « pu être régulièrement en contact avec son néphrologue et obtenir les réponses à ses questions et à ses inquiétudes » durant le confinement. Selon Christian Baudelot, vice-président de Renaloo : « La déception des patients face au manque de disponibilité des médecins et services de néphrologie a été très grande, à la hauteur finalement de leurs attentes. ».

Concernant les patients souffrant de MICI, pour l’enquête AFA Crohn-RCH :

  • 41% des patients estiment que leur parcours de soin a été modifié du fait de la pandémie, dont 28% estiment que l’impact a été négatif
  • Seulement 16% des patients interrogés ont bénéficié d’un dispositif de suivi par internet (application, téléconsultation)

La santé des plus fragiles en confinement s’est dégradée

Alors même qu’ils n’ont pas osé s’en plaindre, les malades fibromyalgiques déclaraient dans l’enquête de Fibromyalgie France :

  • Pour 49%, que leurs douleurs ont été majorées par le stress de la situation
  • Pour 48%, que leurs troubles du sommeil et la fatigue ont également été majorés

Les troubles du sommeil ont également touché 74% des malades atteints de MICI interrogés par l’AFA Crohn-RCH.

Près d’un tiers des malades interrogés par Renaloo considèrent que leur moral s’est dégradé durant la crise.

Bénédicte Kail d’APF France Handicap fait part de retours de nombreuses familles qui lui ont confié que leur proche en situation de handicap avait perdu des années de rééducation en 3 mois de confinement et ils craignent bien sûr de revivre la même situation avec ce nouveau confinement.

Chez les Petits Frères des Pauvres, l’enquête montre que le confinement a généré un impact négatif sur la santé morale pour 41 % des personnes âgées et 31 % sur la santé physique.

Isabelle Sénécal précise que les équipes de l’association ont constaté une grande perte de mobilité, parfois difficilement réversible chez les personnes âgées qu’ils accompagnent. Ils ont également déploré de nombreux « syndromes de glissement » c’est à dire l’incapacité à se projeter dans l’avenir et à continuer à tenir à la vie.

Tirer les leçons de ces enquêtes sur la crise covid

Dans un premier temps, ces données recueillies lors des enquêtes sur la crise Covid par les associations d’usagers, leur a permis de mieux se réorganiser en interne. Ainsi l’AFA Crohn-RCH a par exemple mis en place une cellule d’écoute et d’orientation psychologique ainsi qu’un e-atelier sur le thème du déconfinement.

Pour Bénédicte Kail d’APF France Handicap : « Ces retours d’expérience sont essentiels pour aider aux décisions des pouvoirs publics. Nous avons d’ailleurs obtenu, par exemple, la possibilité d’arrêt de travail pour les parents d’enfants en situation de handicap quel que soit leur âge, alors qu’au début du confinement, cela ne concernait que les enfants jusqu’à 16 ans. Cela a ensuite été étendu aux conjoints de personnes en situation de handicap. ».

Le travail de recueil des retours d’expérience par les associations, lors de tels enquêtes sur la crise Covid, sert bel et bien l’organisation de la vie sociale et sanitaire dans cette crise exceptionnelle mais elle permet également d’éclairer le travail des chercheurs. Ceux de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) ont d’ailleurs immédiatement collaboré à l’enquête du CIAAF sur les aidants.

L’enquête de Renaloo, quant à elle, a été publiée dans le prestigieux British Medical Journal. Yvanie Caillé de chez Renaloo, commente : « Nous étions très enthousiastes de cette publication dans le BMJ. Malheureusement cela n’a pas eu l’effet escompté sur les pratiques. Nous avons même ressenti que les équipes médicales avaient perçu notre publication comme une critique à leur endroit. Pour le moment, nous n’avons pas l’impression que les patients seront mieux préparés et pris en charge au cours de ce second confinement. Il y a le même défaut d’informations que durant le premier confinement, le renoncement aux soins par peur d’être recontaminé reprend, et les greffes rénales ralentissent à nouveau, avec déjà des déprogrammations de greffes de donneurs vivants. D’ores et déjà, on pressent que les patients sont presque plus angoissés encore que lors du premier confinement. A cette période, on était dans une sorte de pensée magique et l’on espérait qu’à l’issue du confinement et de l’été, cette crise sanitaire serait derrière nous. Malheureusement, les malades comprennent désormais que ce sera un combat au long cours. ».

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