Tendances e-santé 2016 et place de l’humain dans les soins

Lors de la visite de 66 Millions d’IMpatients au salon Paris Healthcare Week, porte de Versailles à Paris, du 24 au 26 mai, notre constat fut plein d’enthousiasme face aux progrès et aux innovations dans le domaine de la santé, plus mitigé sur la place laissée aux patients et à l’humain en général dans ce nouveau monde de plus en plus connecté.

Diagnostic et distribution de médicaments assistés par ordinateur, consultation à distance, robot-chirurgien, suivi médical à domicile et dispositifs médicaux connectés avec alertes intégrées… À l’heure de la réorganisation de l’hôpital autour des Groupement hospitaliers de territoire (GHT) et de l’évolution vers une médecine et une chirurgie ambulatoires en pleine croissance, les outils numériques deviennent indispensables. Il est heureux que soient inventées des solutions efficaces, mais il est également urgent d’humaniser ces dispositifs, qui doivent rester des outils dédiés à la sécurité et à la qualité des soins pour des professionnels de santé spécifiquement formés et des patients accompagnés avec bienveillance.

Le virage ambulatoire

L’un des principaux enjeux de l’hôpital aujourd’hui, notamment pour réduire les coûts de prise en charge des malades, est de faire en sorte que les hospitalisations ne durent pas plus de quelques heures et d’héberger de moins en moins de patients durant la nuit. Ainsi, que cela soit pour des soins, des examens ou même une chirurgie, lorsque c’est possible, le patient peut rentrer chez lui le jour même.

En France, en ce qui concerne la chirurgie ambulatoire, nous sommes de mieux en mieux organisés et l’objectif en 2016 est de faire en sorte qu’une intervention chirurgicale sur 2 se déroule sur le mode ambulatoire.

Monique Sorrentino, Directeur de l'hôpital Nord-Ouest, à Villefranche-sur-Saône-Tarare-Trévoux, précise que l’on accompagne désormais efficacement les patients de chirurgie ambulatoire avec des protocoles bien rôdés (appel des malades la veille ainsi que les jours suivants l’intervention) et qu’en outre cela a permis de réduire les infections nosocomiales.

Réinventer la relation soignant-soigné

En fait, pour Monique Sorrentino, la e-santé et les technologies de l’information sont des outils susceptibles de nous faire optimiser le temps mais également l’argent, afin que ces deux ressources soient alors réinvesties dans la relation soignant-soigné.

En effet, précise-t-elle, la culture de l’hôpital français est de mettre nos malades dans un lit, chose que nous savons très bien faire. Pourtant, selon elle, il faut désormais changer nos habitudes car mettre un malade dans un lit cela coûte très cher à la collectivité sans être forcément la meilleure option pour le malade, et ce sont des budgets que l’on ne met pas assez dans la relation soignant-soigné : « Il faudrait aujourd’hui que l’on investisse davantage sur l’embauche de métiers comme des infirmières coordinatrices, des psychologues, des diététiciens, des ergothérapeutes. Ce sont des activités qui sont très mal financées car tous les budgets sont consacrés aux patients installés dans un lit. Il n’est évidemment pas question de s’en passer pour tous ceux qui en ont besoin mais, contrairement aux idées reçues, la médecine ambulatoire ce n’est pas de réduire les interactions humaines, c’est au contraire les réinventer. On vit en ce moment une révolution culturelle à l’hôpital en travaillant sur des parcours de soins mieux adaptés et qui vont permettre d’intégrer une étape que nous maîtrisons mal en France, celle de la prévention aussi. »

L’accompagnement connecté

L’ambulatoire nécessite donc de nouvelles formes de prise en charge du patient et les outils connectés peuvent participer à cette prise en charge, en maintenant en outre un lien, nuit et jour, avec les équipes médicales dédiées.

La pertinence et la performance de ce suivi sont donc un enjeu primordial et les acteurs de la e-santé se sont largement emparés de ce sujet.

Ainsi à la Paris Healthcare Week 2016, nombreuses étaient les entreprises à proposer des solutions de suivi des patients à domicile via des objets et applications connectés. Citons parmi eux des start-ups comme H2AD, e-fitback, Maela, MyDocTool, qui proposent des dispositifs plutôt innovants et performants. Le seul hic est qu’il nous a semblé qu’ils cherchaient avant tout à séduire les établissements de santé sans trop demander leur avis aux patients… En effet, même si les coûts seront d’une manière ou d’une autre finalement répercutés sur les patients, les premiers commanditaires sont bel et bien les établissements de santé qui restent donc les « clients » visés de ces entrepreneurs.

La voix des patients

Pour de nombreux patients, la prise en charge ambulatoire représente un confort car ils apprécient de se retrouver rapidement chez eux, avec leurs proches, et de ne pas passer un séjour parfois inconfortable, ennuyeux, voire angoissant à l’hôpital.

Cependant les associations de patients, ainsi que le rappelle Muriel Londres du collectif Impatients chroniques et associés, se mobilisent et militent pour que l’ambulatoire reste un choix et qu’il bénéficie d’un véritable accompagnement !

En effet, si bien pensées et efficaces soient-elles, les solutions de suivi connectées des malades ne doivent en aucun cas être une façon pour les établissements de santé de se désengager d’un suivi humain et personnalisé aussi ! Car que deviennent, par exemple, les personnes âgées peu à l’aise avec le monde digital, les malades vivant seuls et qui seraient davantage rassurés de passer une ou deux nuits à l’hôpital ou encore les patients qui n’ont pas de smartphones ou d’accès au wifi chez eux ? Cette médecine innovante ne doit en aucun cas stigmatiser des personnes encore fragilisées ou en situation de précarité.

L’équipe de e-fitback, à qui l’on a posé la question, reconnaît que ce sont des points qui n’ont pas fait partie de leurs priorités durant leur première phase de développement mais qu’elle va désormais réfléchir en proposant le prêt de tablettes tactiles, par exemple, aux patients qui n’y auraient pas d’elles-mêmes accès.

Le « social digital » au service de la santé

La question de savoir si le « social digital » (l’aspect communautaire des services sur internet, dont les réseaux sociaux), rapproche ou éloigne les gens les uns des autres se pose a fortiori lorsqu’il concerne la santé. L’indéniable contradiction tient dans le fait que nous restons plusieurs heures par jour, absorbés par nos écrans d’ordinateur et de téléphone, potentiellement connectés à des dizaines voire des milliers de contacts partout dans le monde. Les secteurs médicaux et paramédicaux n’échappent pas à cette dissonance et Cédric Arcos, Délégué général adjoint de la Fédération hospitalière de France (FHF), a conscience que les outils digitaux ne doivent pas être un prétexte pour éviter le contact humain à l’hôpital et délaisser la communication « les yeux dans les yeux ».

Ainsi s’est-on interrogé sur deux start-ups, Famileo et Familizz, rencontrées à la Paris Healthcare Week, qui proposent toutes deux des services internet pour rester plus facilement en contact avec des proches vivant en maison de retraite. Grâce à ces deux services, les proches peuvent recevoir des nouvelles de la personne âgée et être tenus au courant de la vie générale de l’établissement, et inversement, la personne âgée reçoit des messages numériques de ses proches, qui sont également édités en version papier. C’est malicieux, bienveillant, dans l’air du temps, cela rapproche les générations, mais cela n’est-il pas également une bonne excuse pour moins se déplacer jusqu’à la maison de retraite ?

L’émergence de l’aspect communautaire dans le domaine de la santé a également été utilisée dans le cas de deux applications mobiles, Smoke Watchers et Smokitten, repérées sur le salon, dont le but est l’aide au sevrage tabagique. Dans les deux cas, les créateurs ont imaginé que les fumeurs en sevrage puissent être soutenus et encouragés par une communauté (proches, professionnels de santé, anciens fumeurs et même des enfants…). Des projets connectés plutôt pleins d’humanité !

Finissons sur une interrogation légitime de Frédéric Worms, professeur de philosophie morale à l’ENS et co-fondateur de la première chaire de philosophie à l’Hôtel Dieu, que nous avons rencontré lors de la Paris Healthcare Week et qui déclare : « Le numérique et l’ambulatoire sont-ils des façons d’externaliser et de médicaliser la vie à la maison ou de rendre au contraire de l’autonomie ? C’est certainement un peu des deux mais c’est certainement également générateur de tensions.»

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1 commentaires

  • Profession médicale dit :

    Le rôle de la nouvelle technologie doit se limiter à la phase de prise de rendez-vous. J'associe une consultation ou la distribution de médicaments assistée par ordinateur à un niveau de risque élevé.

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