Promouvoir l’observance : contrôle ou autonomie du patient ?

Dans un même mouvement, Le Figaro et Le Monde nous apportent, hier et aujourd’hui des nouvelles des patients. Dans des termes presque identiques, sans doute inspirés par une communication remarquablement concertée de l’industrie pharmaceutique et de ses alliés, les deux quotidiens joignent leurs voix aux discours sur la non-observance des traitements par les patients. Pensez donc, 60 % d’entre eux suivent mal leurs traitements ! Coûtant ainsi à la collectivité pas moins de 9 milliards d’euros de dépenses indues que l’on économiserait bien pour renflouer une assurance maladie dont l’équilibre est à la peine.

Pour ceux qui dissèquent nos défaillances, il n’y a qu’une solution : le retour à l’observance rendu possible par les avancées du numérique. En attendant le pilulier électronique, qui délivre le traitement à l’heure dite, l’industrie pharmaceutique et ses alliés promeuvent la généralisation des SMS de relance. L’Etat quant à lui est allé plus loin en décidant, l’an dernier, une mesure de déremboursement (pour l’instant suspendue par le Conseil d’Etat) du traitement de l’apnée du sommeil en cas de non utilisation de l’appareil à pression positive continue, principal traitement disponible aujourd’hui. Une puce électronique transmet les données de non-utilisation de l’appareil à l’Assurance maladie qui décide donc de l’arrêt du traitement à la place du médecin. On n’arrête pas le progrès !

L’Etat, guère plus malin que l’industrie pharmaceutique : « Surveiller et punir » serait ainsi selon lui le nouvel horizon du soin. Quelle tristesse. Et quelle bêtise : on voudrait torpiller les bienfaits du numérique en santé que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Car, le numérique a deux visages. Au choix : le numérique qui permet l’autonomie et la responsabilité du patient ou le numérique qui instaure le contrôle des populations. Manifestement, c’est la deuxième voie que l’on emprunte.

Sans autre raison que les économies. Pourtant, dans un pays où 30 % des soins prescrits sont reconnus comme inutiles par leurs prescripteurs eux-mêmes, ce n’est plus 9 milliards mais plutôt 50 milliards d’économies que nous devrions attendre ! Pensons à la chirurgie prostatique : d’un département à l’autre, à population comparable, on opère quatre fois plus. Etonnant, non ? Autre exemple : après dix années de robotisation de la chirurgie, à très grand frais, nous ne pouvons même pas mettre la main sur une étude médico-économique digne de ce nom et démontrant l’intérêt de tels équipements. Des économies nous pouvons en faire. Nous devons en faire. Mais, pas question de déranger les habitudes des acteurs de la gabegie dénoncée à longueur de rapports de l’Inspection générale des affaires sociales ou de la Cour des Comptes. Ce sont les patients que l’on préfère viser : sans que personne ne s’interroge sur les raisons de la non-observance.

Pourtant, les patients ne renoncent pas à l’observance par plaisir. La non-observance a des causes que nos responsables publics, nos soignants et nos industriels de santé refusent de regarder en face : difficultés d’acceptabilité de la maladie, incompréhension du diagnostic, inadaptation et illisibilité de la prescription, non-prise en charge des effets secondaires comme la douleur liée à certains traitements, conditions de vie du malade, isolement social. Au temps des maladies chroniques, qui durent dix ans, vingt ans ou bien plus, ce qui n’a rien à voir avec un épisode hospitalier de quelques jours ou de quelques semaines, c’est le renoncement à agir contre ces freins qui provoque les impasses dans l’observance. Ne nous trompons donc pas de combat : ce dont les patients ont besoin c’est de soutien et d’accompagnement, pas de contrôles ni de sanctions. Demain, si vous êtes diabétique et que votre balance électronique transmet à l’assurance maladie des données indiquant que vous n’avez pas résolu votre surpoids, souhaitez vous vraiment, Mesdames et Messieurs les responsables publics, que votre traitement du diabète ne soit plus remboursé ? Ou préfèrerez-vous plutôt que la médecine, cet humanisme, retrouve son rôle. En remettant au coeur de sa pratique l’approche globale de la personne pour prendre en compte les freins à l’observance. Certains pourront être résolus par l’envoi d’un SMS, mais évitons de penser que c’est la solution à tout faire. Surtout, évitons de faire du numérique en santé un outil de contrôle des patients au nom d’une normalisation médicale robotisée ! Enfin, s’il faut tirer des enseignements des expériences, essentiellement anglo-saxonnes d’ailleurs, de ce que l’on appelle le disease management, faisons-le. Correctement, en conduisant un débat contradictoire que permet par exemple le mécanisme d’audition publique devant la Haute autorité de santé. Car les questions à résoudre ne sont pas simples : surveillance ou contrôle, l’immixtion du numérique dans la relation médecin-malade, sécurité des données électroniques de santé, nouveaux partages de responsabilité entre acteurs de la prise en charge.

Nul doute que la soutenabilité de la dépense d’assurance maladie doit retenir toute notre attention. De ce point de vue, il y a plus à gagner pour l’équilibre de nos comptes publics à éduquer et à accompagner les patients, y compris par des actions de disease management « à la française », pour qu’ils se soignent de façon optimale plutôt que de laisser sans soins appropriés tous ceux dont la vie, les conditions de vie avec la maladie ou le destin font qu’ils ont tant de mal à se tenir à des standards d’observance. Ces questions-là ne se résolvent pas par SMS ! Il y faut un peu plus : cette dimension que l’on appelle l’humain. Et à laquelle, l’esprit du temps semble avoir si facilement renoncé.

Christian Saout

Christian Saout, Secrétaire général délégué au CISS, est notamment l’auteur d’un ouvrage publié en décembre 2013 : Santé, citoyens ! Il a un long parcours de militant dans la santé depuis 1993. De 1998 à 2007, il a présidé l’association Aides, première association française de lutte contre le sida. Puis, il a été élu à la présidence du CISS – le Collectif interassociatif sur la santé, qui regroupe toutes les grandes associations de patients et d’usagers de la santé – avant de présider la Conférence nationale de santé.

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